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« IL Y A DES MARGES POUR FAIRE BAISSER LE PRIX DES GÉNÉRIQUES »

Publié le 23 mars 2013
Par Magali Clausener
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Président du Comité économique des produits de santé (CEPS) depuis septembre 2012, Dominique Giorgi est notamment chargé par le gouvernement de maîtriser la dépense de médicaments. Les baisses de prix sont donc à l’ordre du jour du Comité. Explications sur les différents mécanismes.

LE MONITEUR : Quelles sont les missions du CEPS ?

DOMINIQUE GIORGI : Le CEPS a des compétences législatives très claires : la fixation des prix au moment de l’inscription ou de la réinscription des produits, la révision des prix, la régulation de la dépense de médicaments, le bon usage du médicament avec l’ensemble des clauses – volumes, posologies… – qui accompagnent la fixation des prix. Le comité a également une mission d’impulsion, de réflexion et de propositions relatives à la politique économique du médicament au sens large.

Le gouvernement invite le CEPS à poursuivre une politique de baisses de prix. Quels sont les outils dont vous disposez pour mener à bien cette mission ?

Le CEPS en 2012 et 2013 a multiplié par deux le rendement des baisses de prix de médicaments qui lui sont demandées au titre de la maîtrise des dépenses de l’assurance maladie. Entre 2007 et 2010, le rendement de baisses de prix était de l’ordre de 400 à 500 millions d’euros, et en 2012, puis en 2013, les rendements sont de l’ordre de 900 millions d’euros. C’est dire qu’il nous a fallu avoir recours à de nouveaux instruments de baisses de prix. Pour 2013, nous avons de manière volontariste engagé une baisse de prix des médicaments génériques. Traditionnellement, l’outil utilisé était le suivi du Répertoire et des taux de substitution. Lorsque ces derniers n’étaient pas suffisamment élevés, des baisses de prix étaient appliquées. Nous avons poursuivi dans cette optique, mais nous avons dû ajouter un deuxième outil qui est la comparaison entre les prix français et les prix européens. Cette mesure de rapprochement a conduit à des baisses de prix pour les génériques de l’ordre de 85 millions d’euros en année pleine.?Les baisses de prix sont appliquées depuis le 1er mars dernier.

Le CEPS utilise-t-il l’étude menée par l’UNCAM sur les prix des génériques en Europe ?

L’UNCAM fait partie du CEPS et, à ce titre, elle nous a proposé son appui méthodologique pour approcher ces comparaisons de prix européens. Nous lui avons demandé de mener un travail spécifique en s’appuyant sur les données de son étude initiale, mais en faisant les adaptations nécessaires aux objectifs du CEPS. Ces comparaisons ne sont pas simples sur le plan méthodologique et elles reflètent surtout des différences dans le modèle économique de production et de distribution des génériques de chaque Etat. Le système français s’appuie sur une industrie nationale forte et un système de distribution qui bénéficie, d’une part, de marges réglementées et, d’autre part, de marges commerciales supplémentaires.

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Quels autres outils utilisez-vous ?

Le troisième instrument qui concerne princeps et génériques, est la convergence des prix au sein d’une classe fortement génériquée. Cette année, nous avons conduit cette opération sur la classe des inhibiteurs de la pompe à protons. Nous faisons converger le prix des princeps vers le plus bas prix des princeps et le prix des génériques vers le plus bas prix des génériques. Nous attendons de cette mesure un rendement de 95 millions d’euros en année pleine, dont une bonne partie liée aux baisses de prix des génériques. L’application de la mesure est effective depuis le 1er mars. Il est probable que l’année prochaine, nous examinerons à ce titre la classe des statines pour une telle convergence. Globalement, sur les génériques, avec ces trois opérations, nous attendons plus de 150 millions d’euros, soit près de 5?% de baisses de prix sur le marché des génériques, lequel représente à peu près 3 milliards d’euros.

L’objectif est-il d’atteindre le niveau de prix le plus bas en Europe ?

Je pense qu’il y a des marges pour faire baisser le prix des génériques. En 2013, nous avons réduit l’écart avec l’Allemagne d’un quart, sachant que l’étude de la CNAM montrait que les prix allemands étaient inférieurs de 20 % aux prix français. Nous pouvons continuer en ce sens, à condition d’être prudent sur les effets de cette politique sur le modèle de production et en ayant conscience des conséquences sur les marges commerciales non réglementées.

Allez-vous poursuivre la politique des TFR ?

La politique des TFR n’est pas du tout abandonnée. Les taux de substitution étant revenus à des niveaux élevés, les TFR trouveront sans doute moins à s’appliquer*. Néanmoins, il reste quelques groupes de génériques sur lesquels on pourra les mettre en œuvre. Par ailleurs, maintenant que nous sommes revenus à un taux de 83 %, on peut aussi penser à relever le seuil de mise en œuvre du TFR.

Quelles sont les alternatives aux baisses de prix pour développer le marché des génériques ?

Il y a plusieurs sources pour développer ce marché et permettre à l’assurance maladie de réaliser des économies légitimes. La première est le développement du Répertoire. Les chutes de brevet ont été nombreuses en 2012 et il y en aura d’autres dans les prochaines années. Le rôle du CEPS est d’accompagner l’arrivée des génériques par des fixations de prix adaptées. La deuxième source, c’est la substitution. Il faut saluer les efforts des pharmaciens réalisés ces derniers mois pour que le taux de substitution retrouve le niveau atteint en 2008 et 2009. Il faut que ce niveau soit maintenu dans la durée. La troisième source d’économie est le prix des génériques et je pense que nous avons encore des marges de manœuvre, d’autant plus que le marché connaît une croissance importante en 2013. Enfin, le quatrième vecteur qui est à mon sens le plus important, c’est la prescription. Il faut absolument convaincre les médecins de prescrire dans le Répertoire. Nous avons des structures de prescription complètement atypiques. Prenons l’exemple des statines. En Allemagne et au Royaume-Uni, la simvastatine est prescrite à 60 ou 80 %. En France, elle est largement dépassée par l’atorvastatine et la rosuvastatine. L’IGAS a formulé, dans son récent rapport sur les génériques des propositions fortes pour susciter la prescription dans ce Répertoire.

Le CEPS va également se pencher sur les médicaments généricables mais non génériqués. Vous allez aussi procéder à des baisses de prix ?

Absolument. Ces situations conduisent à ce que la collectivité ne bénéficie pas de baisses de prix alors que les brevets de ces médicaments sont tombés. Pourquoi laisser les laboratoires qui exploitent ces produits, bénéficier d’une rente de situation ? Il faut s’interroger sur les baisses de prix applicables avec pour référence la règle de 20 % de baisse comme si le générique était arrivé. Nous commençons cette année, comme prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, à étudier le sujet des sprays dans le traitement de l’asthme. Nous négocions actuellement des baisses de prix avec les laboratoires concernés. Et progressivement, nous allons examiner l’ensemble des produits généricables mais pas encore génériqués pour différentes raisons.

Quelles autres baisses allez-vous mettre en œuvre sur les médicaments dont le brevet n’est pas tombé ?

Toutes les marges de manœuvre seront examinées. Pour les princeps, la logique d’adaptation des prix par rapport à l’augmentation des volumes reste valable. Malgré un marché atone, certaines classes pharmaco-thérapeutiques progressent encore significativement. Par ailleurs, pour diverses raisons, certains médicaments hospitaliers, innovants et chers, inscrits sur la liste en sus ont obtenu des extensions d’indications moins innovantes. Ces indications correspondant à une ASMR IV ou V doivent, à terme, être radiées de la liste. Le CEPS va anticiper ces radiations par des baisses de prix.

Les négociations sont-elles faciles avec les industriels ?

Malgré le contexte d’involution du marché, j’ai le sentiment que les négociations avec les industriels sont facilitées lorsqu’on leur donne une plus grande visibilité sur les baisses sollicitées et du temps pour les mettre en œuvre. Plus l’effort est important, plus le contexte est difficile, plus il faut donner la capacité d’anticipation à nos interlocuteurs. Je n’hésite pas à programmer dès le début de cette année 2013 des baisses pour 2014, voire pour la fin 2014.

Le montant des baisses de prix en 2014 sera-t-il identique à celui de 2013 ?

Pour 2013, on nous a demandé 900 millions d’euros de baisses de prix. Nous sommes en train de finaliser les négociations sur les dossiers qui permettront d’atteindre ce montant. Si nous pouvons anticiper certaines baisses de prix en 2014, nous le faisons, mais je ne peux pas dire quel sera le montant total pour l’année prochaine: cela relève du Gouvernement et du Parlement. Je note cependant que des baisses de prix récurrentes et très importantes conduisent en France à une réelle maîtrise des prix des médicaments, qui se situent globalement dans le bas de la fourchette européenne. En revanche, je répète que les volumes et la structure de prescription restent très atypiques.

Lors de diverses interventions, vous avez abordé le sujet de l’automédication. Que peut faire le CEPS pour son développement ?

Le CEPS sera amené à faire au gouvernement des propositions importantes sur l’automédication responsable, ou la « médication officinale » selon l’expression des pharmaciens, sur au moins trois points. Le rôle du pharmacien me paraît essentiel dans le conseil et la délivrance de médicaments d’automédication et ce rôle devrait être conforté si l’on voulait faire de l’automédication une phase identifiée du parcours de soins. Si l’on voulait disposer d’une gamme adaptée de médicaments d’automédication, il faudrait examiner avec l’ANSM les produits à prescription médicale facultative et les indications ouvertes à un usage en automédication, notamment au regard de ce qui se passe chez certains de nos voisins européens. Et le troisième point sur lequel il faut insister, c’est l’information et la responsabilisation des patients.

* Le TFR s’applique si le taux de substitution n’atteint pas 80 % trois ans après l’arrivée d’un générique.

REPÈRES

Le CEPS est composé d’une vingtaine de membres dont le président, Dominique Giorgi. Il s’agit d’une instance collégiale délibérative.

Il comprend des représentants du ministère des Affaires sociales et de la Santé, du ministère de l’Economie et des Finances et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

La Direction générale de la santé (DGS), la Direction de la sécurité sociale (DSS), la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), la Direction générale de la compétitivité de l’industrie et des services (DGIS), la DGCCRF, l’UNCAM, le RSI et l’UNOCAM sont aussi représentés.

Le CEPS rend 10 500 décisions par an.

1/3 des décisions concernent une première inscription de produits, 1/3 une réinscription ou une extension de l’indication et 1/3 des baisses de prix.

Vers une convergence des prix à 5 ans ?

Le projet de lettre d’orientation du gouvernement au CEPS comprend également l’instauration d’une convergence des prix des princeps et des prix des génériques après 5 ans. A priori, après les baisses de prix du princeps génériqué d’abord de 20 % puis, 18 mois après, de 12,5 %, il s’agirait d’appliquer une convergence des prix, 5 ans après la commercialisation du premier générique. M.C.