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Faut-il ouvrir le capital aux adjoints ?

Publié le 27 avril 2018
Par Francois Pouzaud
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L’ouverture du capital aux adjoints par le biais des SPF-PL n’a pas, jusqu’ici, soulevé un enthousiasme débordant. D’après l’Ordre des pharmaciens, moins d’une cinquantaine d’adjoints se sont emparés de cette opportunité au 1er janvier 2017. Pourquoi en serait-il autrement avec l’entrée au capital des SEL ?

DES avantages…

Les sentiments sont très partagés sur l’intérêt de ce nouveau dispositif qui vise à faciliter les transmissions d’officines et l’installation des jeunes diplômés. Les avantages ne font aucun doute quand la perspective est certaine de transmettre progressivement son officine à un adjoint destiné à devenir son associé puis son successeur. En dehors de ce scénario idéal, Philippe Becker, expert-comptable, directeur du département pharmacie de Fiducial, voit dans l’entrée au capital de l’adjoint trois grands avantages pour le titulaire. « Le premier est de fidéliser un adjoint en qui on croit, et qui pourrait aller voir ailleurs. Le deuxième intérêt est d’enclencher un processus de cession progressive des titres dans le cadre d’une association, voire même une reprise de la société d’officine. Le troisième avantage, c’est de motiver un adjoint qui, potentiellement, sera intéressé à la bonne marche de la pharmacie via des dividendes. »

Accédant à la première marche d’une carrière d’entrepreneur, « l’adjoint peut percevoir cette proposition d’intégration comme une forme de reconnaissance et l’accepter. C’est aussi l’occasion pour lui et le titulaire de se déclarer une confiance mutuelle », ajoute Joël Lecoeur, expertcomptable associé du cabinet Lecœur, Leduc et associés. Avec un impact positif lié au fait que le nouvel associé sera invité à consacrer plus de temps et d’énergie dans l’entreprise. « Ce qui libérera d’autant le ou les titulaires, ajoute Philippe Becker. Une telle association s’inscrit toujours dans un projet d’entreprise, il ne faut pas le faire si on n’a pas défini les objectifs. Le titulaire pourra ainsi confier des tâches plus valorisantes à son adjoint associé qui seront sources de profits pour l’entreprise. »

ET DES inconvénients.

Reste que cette prise de participation s’accompagne de son lot d’inconvénients. « Ouvrir le capital de sa société à un adjoint, c’est lui ouvrir ses comptes, prévient Michel Watrelos, expertcomptable du cabinet Auditeurs et Associés, qui souligne un risque d’ingérence et d’indiscrétion. Il faudra dorénavant partager l’information financière avec lui, il participera aux assemblées et aura son mot à dire, même en tant que minoritaire. » « Cette situation nouvelle peut créer des tensions et des frustrations si l’adjoint perçoit que sa rémunération actuelle n’est pas en phase avec les résultats de la pharmacie et ses responsabilités nouvelles, complète Philippe Becker. Même si beaucoup d’adjoints ont une idée sur les chiffres moyens d’une officine, ils ne connaissent pas dans le détail ceux de l’officine où ils travaillent. »

Comprenant la philosophie du texte, qui est de permettre aux adjoints de grimper une marche pour un jour devenir titulaire en se constituant plus facilement un apport, Serge Gilodi, président de Serendipity Conseil, fait remarquer que la combinaison d’un contrat de travail et d’un contrat d’association ne sera pas facile à orchestrer. « Ce modèle est hybride, donc difficile à positionner et à mettre en place. » Un avis partagé par Thomas Crochet, avocat aux barreaux de Toulouse et de Paris. « Le titulaire va attendre de son adjoint associé un investissement supérieur à celui de simple salarié, notamment en termes de temps de travail… C’est peu compatible avec le droit du travail, et pas du tout économique car le salariat coûte plus cher en cotisations sociales qu’un travailleur non salarié. »

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Sur ce point, aucune solution alternative. « Payer l’adjoint associé en forfait jours, pour avoir plus de souplesse, n’est pas possible dans la mesure où la pharmacie est tenue par des temps de présence de pharmaciens diplômés, précise Matthieu Blaesi, avocat du cabinet Sapone-Blaesi. De plus, ce type de contrat n’est pas prévu par la convention collective et n’est donc pas applicable. »

UNE ÉPINE dans le pied.

Mais le plus gros frein tient au fait qu’en cas de cession à un tiers, la participation minoritaire sera un inconvénient pour le repreneur, mettent en garde à l’unanimité les experts interrogés. « Investir 10 % du capital d’une officine peut, en effet, se révéler être un piège si l’intégration en tant que titulaire ne se produit pas, car il n’y a pas de marché pour revendre 10 % des parts », estime Philippe Becker. « Si on ne veut pas que cette ouverture du capital se transforme en piège, ni pour l’un ni pour l’autre, il faut absolument qu’un pacte d’associés envisage les différentes hypothèses », ajoute Thomas Crochet. En cas de cession à un tiers, « une clause d’obligation de sorties conjointes est très courante », rappelle Serge Gilodi.

En dehors d’un contexte de transmission, Matthieu Blaesi considère que « la situation serait tout aussi complexe à gérer si le titulaire était amené à exclure l’adjoint en tant qu’associé et à le garder en tant que salarié, les deux n’étant pas forcément liés. » En effet, selon lui, un salarié qui aurait été associé exclu sera probablement plus compliqué à gérer en termes de management.

Dans le cas tout aussi épineux d’un licenciement de l’adjoint associé, quelle qu’en soit la cause, « on le réglera en traitant préalablement le rachat par le ou les titulaires des titres de l’adjoint, car il faut à tout prix éviter les situations de blocage qui sont coûteuses en temps et en argent », recommande Philippe Becker. Pour que cette prise de participation ne se referme pas comme un piège sur le titulaire et l’adjoint salarié, « il ne faut donc pas penser cette entrée au capital comme un investissement à moyen ou long terme, sinon elle sera vouée à l’échec », conclut Joël Lecoeur.

LE CAS DU MOIS

Quand l’heure sera venue de vendre votre officine, vous risquez de connaître des difficultés à trouver un repreneur. Or, vous avez un adjoint de qualité qui pourrait potentiellement vous succéder. Vous lui avez même proposé de devenir votre associé à 50/50, mais pour des raisons financières et personnelles, il ne se sent pas prêt à abandonner son statut de salarié pour épouser celui d’entrepreneur libéral. Pour ne pas brusquer les choses, vous allez lui proposer d’acquérir jusqu’à 10 % des parts de votre SEL, sans lui faire perdre sa qualité de salarié comme l’autorise un décret paru au Journal Officiel du 22 mars 2017. Mais faire entrer un adjoint au capital n’est pas une décision à prendre sur un coup de tête. Mieux vaut s’informer auprès de vos conseils habituels : expert-comptable, avocat, notaire…

LES EXPERTS

Philippe Becker DIRECTEUR DU DÉPARTEMENT PHARMACIE DE FIDUCIAL

Thomas Crochet AVOCAT AUX BARREAUX DE TOULOUSE ET DE PARIS

Michel Watrelos GÉRANT DU CABINET AUDITEURS ET ASSOCIÉS

Joël Lecoeur ASSOCIÉ DU CABINET LECOEUR, LEDUC ET ASSOCIÉS

Matthieu Blaesi AVOCAT DU CABINET SAPONE-BLAESI

Serge Gilodi PRÉSIDENT DE SERENDIPITY CONSEIL

TÉMOIGNAGE

Un système bancal

François Auger Titulaire à Parigné-l’Évêque (72)

Les raisonnements les plus simples sont les meilleurs. » C’est ainsi que François Auger, titulaire sexagénaire de la Pharmacie de Parigné-l’évêque dans la Sarthe, résume sa ligne de conduite à l’égard de l’installation de ses deux adjointes. Ce pharmacien a enchaîné les opérations de croissance (transfert en centre commercial, puis rachat/fermeture d’une pharmacie du centre-ville), nécessitant l’apport de nouveaux capitaux. « Ma pharmacie a atteint une taille suffisante pour faire vivre trois titulaires, confie François Auger. J’ai trouvé plus honnête de transmettre la moitié de mon officine à mes deux adjointes, plutôt que de leur céder à chacune 5 % de parts qu’elles n’auraient jamais pu revendre. C’est en ce sens que ce nouveau dispositif d’entrée des adjoints au capital est une escroquerie morale. Ce système est bancal car il ne permet pas au jeune de capitaliser. Pour acheter chacune 24 % des parts, elles ont dû constituer un apport personnel, ce qui renforce leur motivation. Et elles sont encore plus impliquées dans l’officine en raison des perspectives de capitalisation. »

AH OUI !

Dans le pacte d’associés, prévoyez un mécanisme de calcul de valorisation des titres en cas de séparation et de montée au capital afin d’éviter des scénarii qui peuvent avoir un impact négatif sur l’officine.

OH NON !

La cession de parts sociales peut être perçue par l’adjoint comme un enrichissement personnel de son patron auquel il a déjà largement contribué par son travail. L’augmentation de capital est donc plus appropriée.