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Etes-vous du bon côté de la barrière ?
Le déséquilibre de l’évolution de l’activité entre petites et grandes officines est flagrant d’année en année. 2018 n’échappe donc pas à la règle malgré les effets amortisseurs de la nouvelle rémunération sur les baisses de prix des médicaments. Une dislocation qui risque de décourager les vocations pour les nouvelles missions et d’accentuer ainsi le déclin des petites officines.
La grève des gardes entamée le 10 avril et maintenue pendant une semaine en Gironde, à l’initiative du syndicat des pharmaciens de ce département, politiquement proche de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), est plus qu’un coup de colère ou un ras-le-bol général. C’est surtout un cri d’alarme lancé au gouvernement sur la fracture officinale. Car même si pour la troisième année consécutive le chiffre d’affaires progresse légèrement (+ 0,8 % en 2018, source : Interfimo), force est de reconnaître que les moyennes ne veulent plus dire grand-chose. Le constat est toujours le même d’année en année : là où les petits chiffres d’affaires perdent encore, les officines de taille supérieure continuent de progresser.
« La fracture est à deux niveaux, à la fois sur la croissance et sur le niveau de rémunération des titulaires, les deux étant étroitement corrélés à la taille des officines », constate Carole Lejas, expert-comptable du cabinet Exco Valliance FP à Mérignac (Gironde). Elle raconte que dans le centre de Bordeaux, qui concentre un nombre important de petites officines, les regroupements, restitutions de licences et rachats de clientèle sont actifs. Face à la concurrence et à la baisse des prix des médicaments remboursables, ces pharmacies urbaines sont peu à peu asphyxiées. Et d’ajouter, que faute de moyens humains et de temps, elles sont les « laissées pour compte » des nouvelles missions. « C’est une arme à double tranchant car, en ne proposant pas ces nouveaux services, elles risquent de perdre de l’attractivité et de la clientèle », reprend-elle.
Ce n’est pas plus facile pour les petites officines situées dans les zones rurales et quartiers dits « sensibles », confrontées au problème de désertification médicale ou à un déplacement de l’offre médicale avec la création de maisons de santé éloignées de leur point de vente.
La clause de sauvegarde collective pourrait déjà s’appliquer
« Ces petites officines sont toutes sensibles aux baisses de prix car 90 % de leur rémunération dépend de la convention pharmaceutique et des missions conventionnelles, explique Philippe Besset, président de la FSPF. Il faut mener un travail d’identification précis car beaucoup d’entre elles sont indispensables par la place qu’elles tiennent dans l’offre de santé locale. »
C’est la raison pour laquelle la FSPF souhaite qu’une discussion reprenne avec l’Assurance maladie. Le syndicat annonce avec certitude que la clause de sauvegarde collective* sur la marge du réseau, destinée à corriger l’impact des baisses de prix des médicaments, sera déclenchée en 2021 par rapport aux chiffres de 2020. « Avec une ROSP générique divisée de moitié et la disparition complète du CICE, le réseau va perdre 150 millions d’euros au titre de l’année 2019, il est impossible qu’il en soit autrement, soutient Philippe Besset. En 2018 et par rapport à l’année de référence 2016, le réseau a perdu 166 millions, ce qui tire déjà la marge du réseau sous le seuil de déclenchement de la clause de revoyure. » Toujours selon lui, ce sera aussi le cas cette année, en dépit d’un gain de marge de 70 millions pour le réseau lié à l’introduction de trois nouveaux honoraires de dispensation.
Une rémunération spécifique pour les plus fragiles
Pour les « petites » pharmacies, les effets de la nouvelle structure de rémunération (marge + honoraires) restent un sujet polémique, tant les pharmacies ont été impactées jusqu’ici de manière variable par l’application des deux derniers avenants sur la rémunération : celui signé en mai 2014 par la FSPF (avenant n° 5 introduisant l’honoraire à la boîte) et celui signé en juillet 2017 par l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), le fameux avenant n° 11. Dans un contexte de baisse structurelle des volumes qu’elles peuvent difficilement compenser par une augmentation de la fréquentation, « l’honoraire à la boîte a mis en grande souffrance les petites officines, mais à travers les nouveaux honoraires de dispensation mis en place au 1 er janvier 2019, les bilans partagés de médication, les revalorisations des gardes, des indemnités pour la transmission des FSE, etc., elles vont retrouver un ballon d’oxygène plus important qu’en 2018 et des perspectives », assure Gilles Bonnefond, président de l’USPO.
C’est bien parce que le compte n’y est toujours pas – même avec l’apport des nouveaux honoraires – que la FSPF souhaite négocier des mesures d’urgences, telles que la prise en charge par l’Assurance maladie des cotisations retraite des pharmaciens, à l’instar de ce qui existe déjà avec les autres professionnels de santé. Et de demander pour les pharmacies les plus fragilisées une rémunération complémentaire appliquée en fonction de la localisation des pharmacies. « On pourrait imaginer une majoration sur les honoraires de dispensation avec l’application d’un coefficient multiplicateur différent par rapport à des zones sensibles ou, autre piste, la mise en place d’une ROSP structure », précise Philippe Besset, qui dérogerait ainsi à la sacro-sainte philosophie de la FSPF « Pas de réseau dans le réseau ». Mais le principe « Toutes les officines logées à la même enseigne » ne correspond plus à la réalité et, selon lui, « il faut désormais avoir une autre vision afin de maintenir la présence de pharmacies dans les territoires ».
Gilles Bonnefond ne croît pas une seconde à ce système de subventions de l’Etat-providence qui serait « le meilleur moyen de casser la profession en deux ». La fracture serait alors consommée. L’idée de la FSPF est finalement assez proche dans l’esprit de celle défendue par Joël Lecoeur, expert-comptable du cabinet LLA et président du groupement CGP, de « mettre en place un forfait journalier, selon le modèle de l’indemnité de garde, pour maintenir l’ouverture des pharmacies situées dans les déserts médicaux. Il serait destiné à maintenir un niveau de revenu du pharmacien titulaire. »
Mieux s’organiser, ça peut payer
Plus que d’autres, les petites officines ont besoin d’organisation avant de nouvelles compétences (qu’elles ne peuvent d’ailleurs pas s’offrir) pour réaliser des entretiens et s’impliquer dans de nouvelles fonctions (bilans partagés de médication, etc.). « Ces nouvelles missions ne sont pas à négliger car elles permettent d’aller chercher de la croissance, 50 bilans, c’est 3 000 € de marge nette », rappelle Gilles Bonnefond qui demande aux titulaires des petites officines « de consentir à des efforts de restructuration de leur temps de travail pour en dégager pour le patient, en faveur de tâches rémunératrices ». Une planche de salut qui passe, selon lui, par l’éviction de toutes les tâches chronophages du back-office. « Externalisez les tâches non rentables et sans réelle valeur ajoutée telles que le recouvrement du tiers payant, profitez en ce domaine d’avances de trésorerie, faites-vous aider par les groupements… », invite-t-il. Et si l’officine en question a la possibilité de se regrouper avec une voisine, autant ne pas s’en priver car « la taille est un élément déterminant qui facilite la mutation du métier », conclut Joël Lecoeur.
* Cette clause de sauvegarde collective a été conçue pour être actionnée à compter de 2021, si le bilan annuel établi par l’observatoire économique met en évidence une évolution négative, cumulable d’une année sur l’autre, d’au moins 1 % de la rémunération globale du réseau par rapport à celle de 2016, année prise pour référence lors des négociations.
À RETENIR
• Le chiffre d’affaires (CA) moyen a progressé en 2018 avec des disparités importantes d’une pharmacie à l’autre.
• Les marges régressent dans les officines de moins de 1 million d’euros de CA. Plus inquiétant, le recul de l’excédent brut d’exploitation (EBE) est de près de 7 %, ce qui peut représenter 30 % de la rémunération du titulaire.
• Une rémunération complémentaire spécifique selon la localisation , la prise en charge des cotisations retraite, un forfait journalier ou une réflexion autour de l’organisation comptent parmi les idées évoquées.
REPÈRES
L’ÉCONOMIE EN 2018 D’APRÈS LES MOYENNES PROFESSIONNELLES DES CABINETS D’EXPERTISE COMPTABLE
PAR FRANÇOIS POUZAUD
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