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Economie : retour à la case « pré-Covid »

Publié le 21 octobre 2023
Par Yves Rivoal
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Après deux années euphoriques marquées par la pandémie de Covid-19, 2023 est bien partie pour marquer un retour à la normale pour l’économie officinale. Le taux de marge et la rentabilité, en baisse notable, devraient donc sensiblement revenir au même niveau qu’en 2020.

 

Sur les huit premiers mois de l’année 2023, le chiffre d’affaires (CA) des officines est resté stable par rapport à 2022. Ce qui a changé, c’est que les activités liées au Covid-19, sur lesquelles les officines margeaient à 95 %, ont été globalement remplacées par les médicaments chers qui affichent, eux, un taux moyen de marge de 5 % », constate de façon imagée Joël Lecœur, expert-comptable au cabinet LLA et président du groupement Conseil Gestion Pharmacie (CGP). Mécaniquement, la marge brute globale des officines devrait donc se réduire. De janvier à août 2023, elle est déjà passée de 31,79 % à 28,69 %. En cause, les médicaments chers. Selon Joël Lecoeur, le secteur de la pharmacie devrait retrouver sensiblement les mêmes niveaux de marge en euros qu’en 2020, malgré l’augmentation de l’activité.

Au revoir le Covid-19 et ses marges élevées

 

Olivier Delétoille, expert-comptable au cabinet AdequA, table, lui, sur une diminution du taux de marge de 32,74 % à 30 %. « L’activité globale est incontestablement marquée par l’évolution très significative des produits chers et très chers qui représentaient déjà 34 % de l’activité liée au taux de TVA à 2,1 % en 2022, et qui devraient encore enregistrer un sursaut en 2023. Dans le même temps, les activités liées au taux de TVA à 0 % sont presque atones, et le secteur issu de la TVA à 5,5 % n’est plus porté par les masques et les gels hydroalcooliques », observe-t-il. Iqvia confirme cette analyse : « Les activités “Covid-19”, qui représentaient 1,2 milliard d’euros de CA en 2022, atteignent aujourd’hui à peine 62 millions d’euros en cumul fixe à août 2023, confie Antoine Collet, responsable du panel Pharmacie Iqvia France. Et la progression des produits chers qui alimente une augmentation de 0,6 % du CA cache en réalité une baisse du volume de 1,6 % du segment des médicaments remboursables. »

 

Cette baisse de la marge doit toutefois être relativisée pour Olivier Delétoille. « Sans les activités portées par le Covid-19, le taux de marge en valeur reste relativement stable, car l’activité des officines demeure soutenue, notamment en ce qui concerne les médicaments génériques », souligne-t-il. Même point de vue chez Iqvia. « En 2022, la marge “Covid-19” représentait donc à elle seule 1,2 milliard d’euros sur les 5,4 milliards d’euros de marges dégagées par les officines. Lorsqu’on retire cette activité, la marge en 2023 devrait décroître légèrement, de 0,2 %, et passer à 4,2 milliards », abonde Antoine Collet.

Et bonjour les difficultés de trésorerie

 

Cette diminution de la marge entraîne deux conséquences notables pour les pharmacies. La première concerne la rentabilité. Car ce qui est finalement un retour à la normale intervient dans un contexte économique qui n’a rien à voir avec celui de 2020. « Avec l’inflation et l’explosion des charges d’exploitation, la masse salariale ayant, par exemple, à elle seule progressé en moyenne de 5,1 % sur les huit premiers mois de l’année, la rentabilité moyenne en valeur devrait elle aussi revenir à son niveau de 2020, estime Olivier Delétoille. Mais les pharmaciens se souviennent que l’augmentation de 24 % de la rentabilité de leurs officines en 2021 et de 11 % en 2022 a été nourrie par le Covid-19. » 

 

La baisse du taux de marge aura également une incidence sur la trésorerie des officines. « Après s’être considérablement renforcée jusqu’en 2022 grâce à une économie porteuse et au décalage d’emprunts, de charges et autres prêts garantis par l’Etat (PGE), leur situation financière se tasse naturellement. La manne du Covid-19 a disparu et les titulaires ont dû commencer à rembourser les PGE et leurs cotisations sociales, en sachant que le décalage de six mois sur le remboursement des emprunts a lui aussi vécu. Certaines d’entre elles risquent donc de se retrouver en difficulté après une parenthèse enchantée de presque trois années », détaille Olivier Delétoille. « Les officines subissent actuellement un effet de ciseau, complète Joël Lecoeur. D’un côté, le CA stagne et la marge diminue, de l’autre, elles sont confrontées à une augmentation des tarifs des laboratoires sur les produits en vente libre qu’elles ne peuvent pas toutes répercuter sur leurs clients, ainsi qu’à une explosion des frais d’exploitation et de la masse salariale. Cette dernière a grimpé de 20 % en deux ans. Cela se répercutera forcément sur l’excédent brut d’exploitation, les frais de personnel absorbant à eux seuls plus d’un tiers de la marge brute. » Ces difficultés ne devraient toutefois pas affecter de la même manière toutes les officines. « Elles devraient relativement épargner celles qui ont pu se constituer un trésor de guerre grâce au Covid-19, estime Michel Watrelos, expert-comptable au cabinet Conseils Auditeurs Associés. Les titulaires qui disposaient en début d’année d’une trésorerie de 400 000 € devraient encore détenir en réserve 150 000 € à la fin de l’année, réserve dans laquelle ils pourront puiser. La situation sera plus compliquée pour les pharmacies qui, par manque d’espace ou de ressources, n’ont pas pratiqué la vaccination ou les tests antigéniques. Celles qui étaient déjà “limite” au niveau trésorerie se situent d’ores et déjà un peu en dessous du niveau recommandé de 1 ou 1,5 mois d’achat TTC. La situation s’annonce aussi préoccupante pour les titulaires qui ont acheté leur officine à des valorisations à 100 % et plus en 2022 ou en 2023. » Cette réduction de la trésorerie commence d’ailleurs à se manifester. « Des grossistes-répartiteurs m’ont confié qu’ils commençaient à enregistrer des impayés, chose qu’ils n’avaient pas vue depuis trois ans », relève Joël Lecoeur.  

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Rester optimiste malgré tout

 

Reste à savoir si le dernier trimestre de l’année, qui est en général favorable aux officines, est susceptible d’inverser la tendance. Michel Watrelos ne croit pas à un tel scénario. « Nous sommes déjà en octobre et, pour le moment, on n’observe pas de frémissement sur l’activité. Je ne pense donc pas que ce dernier trimestre permettra de compenser la baisse observée sur les neuf premiers mois. Au mieux, il pourra l’atténuer », confie-t-il. Joël Lecoeur est du même avis : « En 2022, le printemps, l’automne et l’hiver avaient été exceptionnels sur le plan des pathologies. Je ne vois pas la situation se reproduire en 2023. »

 

Antoine Collet ne compte pas non plus sur le dernier trimestre pour sauver une année qu’il qualifie de mal embarquée. « Même si nous observons ces deux dernières semaines une augmentation respectivement de 37 et 39 % des ventes d’autotests et que l’autorisation de prescrire et d’administrer certains vaccins devrait entraîner une croissance de l’activité, cela ne suffira probablement pas à compenser la baisse de marge. D’autant que sur la parapharmacie, la croissance de 1 % du CA en valeur cache en réalité une réduction de 4,5 % des volumes en unités, puisque les clients achètent moins de produits à cause de l’inflation », explique-t-il.

 

Olivier Delétoille se veut, lui, plus optimiste. « Le quatrième trimestre est toujours une période très importante pour les officines, rappelle-t-il. Un certain nombre de signaux positifs, qu’il s’agisse des pathologies, de la vaccination ou des tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) sont susceptibles de générer des flux importants. J’invite donc les pharmaciens à ne pas paniquer. Oui, ils devront effectivement consentir à revenir à une situation comparable à celle qu’ils ont connue trois ou quatre ans plus tôt, mais le marché officinal devrait rester stable cette année, à 40 milliards d’euros. Ils doivent simplement accepter un retour à la normale, avec une vie sans le Covid-19. »

           

A retenir

La marge des officines diminue en raison de l’arrêt des activités liées au Covid-19 et de l’augmentation des ventes de médicaments chers.

Cette baisse de la marge a des conséquences sur la trésorerie des pharmacies qui sont confrontées dans le même temps à une explosion des charges.

Le dernier trimestre de 2023 ne devrait pas renverser ces tendances de fond.  

Une rémunération plus basse pour certains

« Quand votre chiffre d’affaires stagne, que votre marge baisse de 2 ou 3 % en un an et que vos charges liées à l’exploitation et à la masse salariale explosent, il y a une répercussion automatique sur la rémunération des pharmaciens, estime Michel Watrelos, expert-comptable au cabinet Conseils Auditeurs Associés. Cela étant dit, tout dépendra du niveau de trésorerie de l’officine. Les titulaires qui avaient constitué un trésor de guerre de 300 000 ou 400 000 € pendant la pandémie puiseront dans cette réserve pour maintenir leur rémunération. Ceux qui étaient déjà justes en trésorerie devront, eux, réduire leurs prélèvements. Avec, pour certains, des réductions qui pourraient aller jusqu’à 20 ou 30 %. »

Joël Lecœur, expert-comptable au cabinet LLA et président du groupement CGP, estime que 75 % des titulaires ont pu se constituer ce fameux trésor de guerre avec le Covid-19. Ces pharmaciens pourront donc maintenir leur niveau de vie. Idem pour ceux qui ont fini de rembourser leur pharmacie, même si la marge et l’excédent brut d’exploitation se tassent. « Ça risque d’être plus compliqué pour les titulaires qui ont acheté leur pharmacie ces dernières années à des valorisations élevées et avec un fort niveau d’endettement. Un pharmacien qui se paie confortablement pourra aussi absorber plus facilement une baisse de sa rémunération que celui qui a déjà du mal à se rétribuer », remarque l’expert-comptable.

Pour Olivier Delétoille, un autre paramètre pourrait obérer la rémunération des pharmaciens qui viennent de s’installer : « Ceux qui ont acheté leur officine à des taux d’emprunts élevés subiront peut-être une diminution de leurs revenus, celle-ci étant aggravée en valeur absolue par l’inflation et l’augmentation du coût de la vie. »