Économie : Post-Covid-19, le retour « à la normale » fait mal

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Économie : Post-Covid-19, le retour « à la normale » fait mal

Publié le 24 décembre 2024
Par Annabelle Alix
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L’ère des activités Covid-19 touchant à sa fin, les trésoreries fondent comme neige au soleil. À moins d’avoir su s’adapter au changement, les officines peinent à faire face aux conséquences de l’inflation et de la hausse des frais en personnel. Pour survivre, elles doivent poursuivre leur transition vers les nouvelles missions.

« En 2023, la marge et la rentabilité ont nettement baissé par rapport à 2022, tout en conservant des niveaux honorables », résume Olivier Delétoille, expert-comptable chez AdéquA. L’année 2024 s’inscrit dans la continuité de l’année précédente, et affiche un retour « à la normalité », avec la disparition complète des activités Covid-19 très rémunératrices : tests antigéniques et vaccination anti-Covid-19 en masse. Toujours dopé par le marché des médicaments chers, le chiffre d’affaires (CA) de l’officine poursuit sa course vers le haut. Il progresse de 5,5 % sur le remboursable et de 7,2 % sur les génériques, premiers contributeurs à la marge – en cumul fixe annuel à septembre (source : CSRP). « Les rentabilités sont préservées en valeur, assure Olivier Delétoille, mais ne compensent pas le rythme inflationniste », tempère l’expert. Ainsi, selon Emmanuel Leroy, associé leader national santé chez KPMG, « 40 % des officines sont en situation de grande difficulté, avec, à rémunération constante du dirigeant, une capacité d’autofinancement insuffisante pour rembourser l’emprunt. Il leur manque, en moyenne, 10 000 à 15 000 euros, ce qui n’est pas de nature à les mettre en faillite, sauf si ces déficits s’accumulent d’année en année ». Dans ces cas-là, « la trésorerie engrangée durant les années Covid-19 a fini par disparaître, et il faut maintenant trouver des crédits fournisseurs, revoir la rémunération du titulaire, renégocier la dette d’emprunt avec vigilance, car les taux d’intérêt ont augmenté… », précise-t-il.

Les fermetures s’accélèrent

Ces leviers de rentabilité ne sauveront pas les officines déjà en grande difficulté avant la crise sanitaire. « Elles ont pu assainir leurs comptes ou combler des découverts via les excédents de trésorerie générés pendant le Covid-19, mais si leur mode d’exploitation n’a pas changé, en 2024, leur trésorerie s’essouffle de nouveau », développe Emmanuel Leroy. Et, en 2024, la situation ne pardonne pas. Ainsi, « les officines en redressement ou en liquidation judiciaire sont plus nombreuses qu’en 2023, ce qui n’est pas le cas pour les procédures de sauvegarde », constate Jérôme Capon, directeur du réseau Interfimo. « Le nombre de fermetures d’officines monte en flèche, constate aussi Pierre-Olivier Variot, président de l’Union de syndicats de pharmaciens d’officines (USPO). La sortie de la crise sanitaire nous a permis de couvrir l’inflation et la hausse des frais en personnel, mais ensuite, les marges se sont écroulées et beaucoup de titulaires ont dû licencier ou fermer, alors même qu’ils étaient installés depuis longtemps. D’autres ne se versent plus de rémunération depuis plusieurs mois ». 300 pharmacies ont définitivement baissé le rideau entre janvier et octobre 2024. « Certains chefs d’entreprise ne trouvent pas de repreneurs et partent à la retraite sans revendre leur fonds de commerce », pointe Emmanuel Leroy. Les petites officines urbaines sont celles qui souffrent le plus, « d’une part, parce qu’elles ont plus de mal à absorber la hausse des charges, et d’autre part, parce qu’elles n’ont pas la possibilité d’augmenter leur zone de chalandise, développe l’expert. Certaines se regroupent, mais en pratique, la plus grande rachète la plus petite, qui rend sa licence, et ainsi, le maillage se modifie ».

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La capacité d’adaptation ne suffit pas

« Globalement, depuis quatre ans, la profession a su s’adapter, constate Olivier Delétoille. Elle a incontestablement amélioré son offre, sa gestion, son image. La rentabilité des officines a même augmenté par rapport aux années précédant la crise sanitaire. » La transition des missions et des rémunérations fait son œuvre, lentement mais sûrement. En 2023, les honoraires confortent et stabilisent l’économie de l’officine, sans toutefois compenser l’inflation, selon le cabinet CGP. Les honoraires représentent le premier vecteur de marges en valeur (source AdéquA), et 10,43 % du chiffre d’affaires (selon CGP), avec une proportion toutefois plus faible dans les grandes officines – au chiffre d’affaires supérieur à 4 millions d’euros – et dans celles des centres commerciaux, où le vigneté représente une part plus faible de l’activité. « L’avenant 11 à la Convention pharmaceutique arrive à maturité et les honoraires représentent aujourd’hui près de 54 % de la rémunération du pharmacien sur le médicament remboursable, génériques compris », précise un document du cabinet CGP.

Une transition à poursuivre

« Une évolution des honoraires est maintenant nécessaire pour compenser l’effet ciseaux subi par le secteur, ajoute Louis Maertens, expert-comptable du cabinet CGP, car si les honoraires ont joué pleinement leur rôle (compensateur) face à la baisse de prix, il en est autrement en période d’inflation. » Leur revalorisation ainsi que celle des nouvelles missions prévues dans l’avenant économique à la convention nationale pharmaceutique, signé en juin dernier par la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) avec l’Assurance maladie, feront-elles le poids ? Un début de réponse est attendu en 2025. Au premier semestre, seront aussi versées les rémunérations sur objectifs de santé publique (Rosp) remplies en 2024. De son côté, l’inflation se stabilise et les effets se feront, eux aussi, sentir à partir de l’année prochaine. Le cadrage de la substitution des biosimilaires, le statut des remises qui sera appliqué tant sur les biosimilaires que les génériques feront aussi pencher la balance économique de l’officine. Quoi qu’il en soit, pour les experts-comptables, l’officine ne devrait pas se passer de l’appui des groupements. « Ni se séparer des équipes, selon Emmanuel Leroy. Les pharmaciens ont besoin d’elles. Il faudra toutefois en revoir la gestion, accélérer la formation pour optimiser le rendement sur les nouvelles missions, mais aussi sur les ventes associées et les marchés porteurs, comme la micronutrition. »