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ÉCONOMIE : L’effet domino

Publié le 27 octobre 2001
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La forte croissance des dépenses pharmaceutiques enregistrée en 2000 et la poursuite de cette tendance au cours du premier semestre 2001 ont fait du bien dans les chaumières officinales. Mais un réajustement est à craindre. Pourtant l’érosion de la marge brute continue, certes plus lentement qu’avec la MDL à six tranches.

MARGEPour une base 100 en janvier 1994, la marge brute de l’officine se situe à un indice (cumulé sur douze mois) de 124 en juillet 2001 (contre un indice de 148 pour le CA industriel), alors qu’il n’aurait été que de 118 en cas de maintien de la précédente MDL à six tranches. Cela signifie que l’évolution de la nouvelle marge des pharmaciens dépend moins que par le passé des volumes et se rapproche davantage, en tendance, de celle du CA de l’industrie.

Après deux années de nouvelle marge, l’heure est à nouveau venue de faire les comptes de l’officine. Le rendement de la « marge Aubry » donne pour l’instant lieu à se réjouir – dans le cadre d’une croissance soutenue de l’activité – si l’on s’en tient à l’évolution des principaux indicateurs pour l’ensemble du réseau.

En redonnant un peu de linéarité à la marge du pharmacien, la MDL à deux tranches a procuré un supplément de ressources aux officines.

2000 : une année de rattrapage

« 2000 a permis de rattraper les trois années de disette durant lesquelles les pharmaciens ont regardé passer l’ONDAM », tempère Bernard Capdeville, président de la FSPF. Certes, le taux de l’ONDAM a été dépassé par la profession en 2000, mais Claude Japhet, président de l’UNPF, juge les prévisions de cet objectif irréalistes : « Ce taux ne reflète pas les besoins réels de santé et ne tient pas compte du progrès thérapeutique, des nouvelles technologies médicales, de l’accroissement de la population et de l’allongement de la durée de vie qui entraînent une augmentation du poids des pathologies coûteuses comme la maladie d’Alzheimer. »

Face à d’aussi bons résultats, la profession peut craindre pour sa marge. « La marge à deux tranches a été négociée dans le but de protéger l’économie de l’officine d’une stagnation des volumes et d’un marché de misère, rappelle Jean-Marc Yzerman, chargé du dossier économie à la FSPF. Or, nous avons connu en 2000 un marché d’aubaine que personne n’attendait. »

La reprise économique et la croissance de la consommation pharmaceutique qui en a résulté (+ 3,49 % du nombre des unités vendues selon la FSPF) ont faussé depuis un an et demi les prévisions établies sur les évolutions de la marge. De son côté, Gérard Boucher, président de l’Association pharmaceutique libérale d’union syndicale (APLUS), insiste sur le fait que la progression de la marge correspond à une augmentation équivalente du nombre de décomptes de Sécurité sociale (autour de + 8 %) et donc de l’activité. « Ce gain de rémunération correspond donc à une surcharge de travail et n’est en rien usurpée, ni anormale ! », tempête-t-il. « En période de croissance et en cas de dérapages, il est toujours plus facile de faire pression sur les professionnels de santé que sur les consommateurs, mais à un moment donné, il faudra bien y venir !», observe Bernard Capdeville.

ACTIVITÉLe réseau des officines a réalisé un CA de 171 milliards de francs, en progression de 10,8 % par rapport à 1999. Par contre, la répartition des ventes reste inchangée. Le médicament remboursable prescrit contribue toujours pour 78 % de l’activité. Rappelons que le pharmacien ne maîtrise ni les prix ni les marges sur 80 % de son activité !

A fin juillet 2001, l’enveloppe pharmacie s’est élevée à 32,2 milliards de francs. Entre le surplus de marge induit par le passage d’une marge de six à deux tranches, le bonus obtenu par la substitution et le forfait de 2 F par boîte pour la délivrance des médicaments d’exception, les gains cumulés de la nouvelle rémunération depuis janvier 2000 représentent à fin juin 2001, selon les données GERS*, quelque 1,5 milliard de francs, sans compter les remises sur les génériques (Bernard Kouchner a, lui, avancé le chiffre de 2 MdF…).

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Selon les données de CA d’IMS Health Pharmatrend arrêtées à juillet 2001 en année glissante, le CA moyen des officines France entière s’établit pour 2000 à 7,38 MF, contre 6,86 MF en 1999. Compte tenu de son quorum avantageux à l’est, la région Nord-Est domine toujours la scène en terme de CA moyen par officine, avec une valeur de 8,28 MF. Les parts de marché de chaque typologie d’officines sont stables d’une année sur l’autre. Cependant, les écarts au niveau du CA tendent à se resserrer légèrement, notamment entre le haut du pavé tenu par les pharmacies de centre commercial (18 MF) et les pharmacies de centre-ville qui, en 2000, ont fermé la marche (avec un CA moyen de 6,17 MF), alors que les pharmacies rurales étaient les lanternes rouges en 1999. Par contre, avec un CA moyen de 14,67 MF l’an dernier, les grosses pharmacies reprennent de la distance sur les petites (4,80 MF) et moyennes (7,57 MF) officines.

Pour le premier semestre 2001, la croissance des dépenses de médicaments a atteint + 7,2 % (chiffres CNAMTS). Sur les sept premiers mois de l’année, Jean-Marc Yzerman constate une « flambée des ordonnances ALD » qui, en nombre, progressent de 25 % par rapport à la même période de 2000. Les ordonnances hors 100 % facturées à l’assurance maladie, quant à elles, sont en hausse de 9 %. « Sans omettre la croissance de l’activité due à la CMU, insiste Gérard Boucher. La facture sociale n’a pas progressé pour enrichir les pharmaciens. Elle correspond à de l’activité, des stocks, des immobilisations financières… »

GÉNÉRIQUESMême si l’objectif fixé dans le protocole d’accord Etat-Officine pour octobre 2000 n’a été atteint qu’aux trois quarts, les pharmaciens n’ont pas démérité. Entre septembre 1999, coup d’envoi officiel de la substitution, et juillet 2001, le marché du générique a plus que doublé, passant de 2,6 milliards à 5,6 milliards de francs sur cette période. Pour relancer le développement du générique, un nouvel objectif se profile sur la base d’une incitation financière complémentaire à la boîte vendue. L’objectif serait maintenant plus individualisé. C’est-à-dire que le pharmacien se pénalisera lui-même en ne substituant pas.

Un milliard en jeu !

Pour Claude Japhet, une croissance de 5 à 6% l’an pour l’officine est indispensable pour faire face à ses astreintes. « Si notre marge avait évolué seulement de + 2 %, les investissements informatiques dans le cadre de la préparation à SESAM-Vitale auraient été moindres et l’accord de branche concernant le passage aux 37 heures puis aux 35 heures n’aurait jamais été signé. Grâce à la croissance, la profession est aujourd’hui en situation de création d’emplois. »

Les groupes génériques étant représentatifs de médicaments anciens, donc moins prescrits, la part de marché du Répertoire de l’Afssaps, en dehors des sauts de paliers correspondant à une nouvelle parution de la liste officielle et, à un moindre degré, à ses mises à jour, est quasiment stable (près de 21 % en volume du marché du médicament remboursable et 15 % en valeur). A l’intérieur, la part des médicaments de référence tend à diminuer légèrement après chaque mise à jour (les paliers constatés correspondent à l’inscription au Répertoire de nouveaux groupes génériques), tandis que la part du générique progresse doucement mais sûrement pour atteindre, en juillet 2001, 7 % du marché des médicaments remboursables en volume et 4 % en valeur.

Ayant eu un impact supérieur à ce qui était prévu, l’Etat veut réajuster à la baisse la rémunération. Diminution, en principe, de 40 centimes du forfait à la boîte (mais majoration d’un franc du forfait par boîte de générique vendue), baisses de prix sur les médicaments à service médical rendu insuffisant et les classes à fort volume…, l’enveloppe pharmacie pourrait ainsi être dégraissée de un milliard. Sans oublier le serrement de vis de la DGCCRF concernant les remises, qui aura contribué à amputer l’économie officinale du surplus de marge qui était généré par le biais des négociations commerciales avec les fournisseurs de l’officine (notamment génériqueurs).

Un seuil de correction à 6 % ?

En tout cas, sur la rémunération, « la baisse du forfait a pour objet de lisser les évolutions de marge trop importantes », explique Claude Japhet. Reste, là encore, pour les syndicats à s’entendre avec le gouvernement sur le niveau où l’on place la barre. Le président de l’UNPF souhaite, pour les raisons qu’il a évoquées précédemment, que cette mesure de correction n’intervienne qu’au-delà d’un seuil de 6 % d’évolution de l’activité. Car la baisse du forfait restera toujours une épée de Damoclès. Et le forfait de 3,50 francs à la boîte correspondait grosso modo à l’EBE de la pharmacie…

En 2000 et 2001, la pharmacie a repris des couleurs, mais rien n’est jamais définitivement acquis dans un environnement qu’elle ne contrôle pas. L’économie est cyclique, aussi faut-il toujours se préparer à affronter les difficultés à venir. « Il ne faudrait pas qu’une année forte pour la pharmacie entraîne une régression de marge dans une année faible », s’inquiète Jean-Marc Yzerman, qui aurait préféré négocier un système beaucoup plus lisible de reversement en cas de dépassement de l’enveloppe pharmacie. Les pharmaciens devront croiser les doigts pour que la croissance perdure

* Groupement pour l’élaboration et la recherche statistique.

Comptes de résultat : l’embellie

D’après les résultats de l’enquête annuelle de la Fédération, basée sur l’étude des comptes de résultat de 1 200 officines, le CA moyen 2000 est de 7,511 MF, en progression de 7,4 % par rapport à 1999. La marge moyenne dégagée, en francs et hors remises commerciales, fait un bond en avant de 6,4 %, à 2,183 MF. « L’exercice 2000 a profité à plein des effets moins dégressifs de la nouvelle MDL », explique Jean-Marc Yzerman, responsable du dossier économique à la FSPF. Le ralentissement de l’érosion du taux de marge est beaucoup plus sensible qu’en 1999 : pointé à 29,2 % (sur l’ensemble de l’activité de l’officine, hors médicament compris), ce ratio (marge/CA) n’a perdu que 0,28 point en 2000, contre 0,5 point en moyenne auparavant. A noter que certaines officines ont gagné tandis que d’autres perdaient…

En tout cas, l’excédent brut d’exploitation, c’est-à-dire la trésorerie dégagée, passe de 12,3 % à 12,5 % en pourcentage du CA, car les salaires, charges et cotisations de l’exploitant n’ont pas augmenté dans les mêmes proportions que le CA (+ 4,7 %).

Le résultat net repasse au-dessus de la barre psychologique des 10 % (10,4 % exactement contre 9,8 % en 1999). Cette bonne passe a permis aux titulaires de disposer en moyenne de 651 kF pour rembourser les emprunts, payer les impôts et vivre. Une moyenne qui ne doit pas cacher des écarts très sensibles. A noter le cas particulier de l’Ile-de-France, pour laquelle l’échantillon de la FSPF est très faible, la plupart des Franciliens ayant quitté la Fédération depuis deux ans. Patrick Zeitoun, président de l’Union des pharmacies de la région parisienne, signale que des confrères commencent à réclamer le rachat de leur licence pour pouvoir fermer leur officine qui n’est plus viable…

EXERCICE COMPTABLE – Source : FSPF (enquête économique « Revenus » de 2000)

Près de une pharmacie sur cinq se situe dans la tranche de CA de 6 MF et 7,2 M F, et 80 % des officines réalisent un CA inférieur à 10,8 MF.

Les pharmacies de quartier et de centre-ville des zones urbaines sont les seules à faire état d’un résultat net sur CA sous les 10 %. Si l’on exclut des comparaisons les pharmacies urbaines de centre commercial, les disparités de CA entre typologies d’officines sont plus faibles en milieu urbain qu’en milieu rural.