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DEUX PHARMACIENS SOU S CONTRÔLE JUDICIAIRE

Publié le 20 avril 2013
Par Francois Pouzaud et Magali Clausener
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Le 11 avril dernier, deux pharmaciens ont été mis en examen et placés sous contrôle judiciaire. Ils sont notamment soupçonnés de sollicitation de clientèle, de délivrance sans ordonnance de médicaments vétérinaires et de cession de substances vénéneuses. La profession dénonce les tentatives corporatistes des vétérinaires pour éviter le découplage prescription/délivrance des antibiotiques.

Le 9 avril, deux pharmaciens et trois vétérinaires étaient placés en garde à vue à Clermont-Ferrand. Côté pharmaciens, il s’agit de Jacky Maillet, président de l’Association nationale de la pharmacie vétérinaire d’officine (ANPVO), installé dans l’Indre, et Philippe Augier, secrétaire de l’Union nationale de la pharmacie vétérinaire d’officine (UNPVO), titulaire à Aigueperse dans le Puy-de-Dôme. Quant aux vétérinaires, ils sont basés dans les Vosges, l’Indre et le Puy-de-Dôme. Après 48 heures de garde à vue, les cinq professionnels de santé ont été mis en examen et placés sous contrôle judiciaire par un juge d’instruction clermontois. Les pharmaciens ont été interdits d’exercice de la pharmacie vétérinaire et amenés à verser une caution de 45 000 € pour leur remise en liberté. Philippe Augier a de plus été frappé d’une interdiction de sortie du territoire. Deux des trois vétérinaires ont également été interdits d’exercice.

Selon le communiqué de la gendarmerie d’Auvergne en date du 11 avril, ils sont tous soupçonnés de « sollicitation et satisfaction de commandes de médicaments vétérinaires, délivrance sans ordonnance de médicaments vétérinaires, ouverture d’un établissement pharmaceutique sans autorisation, cession de substances vénéneuses sans justificatif, faux et usage de faux »*.

Des victimes du « lobby vétérinaire ? »

Les vétérinaires sont suspectés de « prescription irrégulière de médicaments vétérinaires sans examen clinique des animaux et sans réaliser le suivi sanitaire permanent ». « Sans être les vétérinaires traitants, ils auraient rédigé des ordonnances de complaisance pour favoriser le commerce dans certaines officines », avance Claude Andrillon, vice-président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL). Les pharmaciens sont soupçonnés d’avoir délivré des médicaments vétérinaires « directement aux éleveurs, parfois en l’absence de prescriptions, celles-ci étant au besoin régularisées a posteriori par les vétérinaires ». Le communiqué de presse de la gendarmerie précise également que « la majorité des médicaments ainsi vendus est classée dans la catégorie des substances vénéneuses comme des antibiotiques, des anti-inflammatoires et des antiparasitaires […] principalement utilisés soit pour des animaux d’élevage destinés au marché de la viande et du lait, soit pour des animaux domestiques recueillis dans des SPA et destinés à l’adoption ».

Couvert par la présomption d’innocence, Jacky Maillet se dit victime d’une machination et affirme que, pour ce qui le concerne, il n’y a eu aucun « trafic d’antibiotiques » (ce terme n’est pas utilisé par les gendarmes) : « Cette procédure de mise en examen s’inscrit dans le cadre d’une plainte contre X dont on ne connaît pas l’auteur à ce jour mais dont on sait ceux qui en sont à l’initiative. Elle vise aujourd’hui à discréditer toutes les initiatives de découplage entre prescription et délivrance sur le territoire national » Membre d’un GIE négociateur à l’achat regroupant des pharmaciens et des vétérinaires, Jacky Maillet précise que ce GIE n’a pas été mis en cause et pointe du doigt les organisations professionnelles vétérinaires. Philippe Augier partage le même sentiment d’injustice et nie tout en bloc : « Je ne mérite pas cela, l’attaque est totalement disproportionnée par rapport à ce que l’on me reproche. Le contrôle porte sur le formalisme à respecter, une signature du vétérinaire figurant trop bas sur l’ordonnance, la validité d’un an de la prescription à l’issue du bilan sanitaire d’élevage ou la rédaction d’une ordonnance de régularisation… Ce sont là des fonctionnements à la marge qui ne justifient pas un tel traitement. »

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« L’instrumentalisation de la justice à des fins corporatistes est honteuse et préjudiciable à la santé publique », fustige Guy Barral, président de l’UNPVO. « Il ne s’agit pas d’un trafic d’antibiotiques, comme l’a complaisamment annoncé le ministère de l’Intérieur, indique dans un communiqué l’Association nationale pour l’amélioration des relations éleveurs-vétérinaires, qui défend le libre choix du fournisseur. Le travail de sape entrepris aujourd’hui pour fragiliser un mode d’approvisionnement alternatif auprès d’un réseau de pharmaciens intéressés par ce marché n’aidera donc en rien à améliorer la position des éleveurs. »

Le SNVEL prédit un « grand ménage »

Le conseil central A de l’Ordre a indiqué qu’il se réservait le droit de se porter partie civile pour avoir accès au dossier. Le SNVEL aussi, pour savoir quelles sont les responsabilités de chacun. « Si le vétérinaire prescrit à un éleveur à 500 km de chez lui, sans assurer des soins réguliers et sans effectuer un suivi sanitaire de l’élevage, l’ordonnance n’est pas conforme à la réglementation », précise Claude Andrillon. Mais concernant le contrôle des prescriptions illicites, « on ne peut pas demander au pharmacien d’aller au-delà de ses prérogatives », souligne Philippe Augier. « Les pharmaciens ne peuvent pas préjuger de la sincérité de l’ordonnance, sauf si leur rapprochement avec des vétérinaires s’inscrit dans un montage mafieux dont ils sont les initiateurs », répond Claude Andrillon, qui prédit « un grand ménage » à venir. Selon Guy Barral, de nouvelles convocations et perquisitions d’officinaux pourraient avoir lieu dans les prochaines semaines et dans d’autres régions. Philippe Lépée, vice-président de l’ANPVO, a déjà été perquisitionné le 9 avril, et son salarié, responsable des achats et facturations, mis en garde à vue. « Onze gendarmes m’attendaient devant la pharmacie, ils m’ont pris mon ordinateur personnel, mon ordonnancier et le disque dur pour l’activité vétérinaire » Les vétérinaires ne sont pas non plus épargnés par des contrôles car l’instruction se poursuit.

* L’enquête a été diligentée par la section de recherches de Clermont-Ferrand, l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique et la Brigade nationale des enquêtes vétérinaires et phytosanitaires.

Un rapport sur l’antibiorésistance en mai

Cette affaire se déroule sur fond de débat sur l’antibiorésistance et d’avis divergents sur le découplage des activités des vétérinaires pour les antibiotiques. L’Académie vétérinaire de France est contre et s’apprête à remettre au ministre de l’Agriculture un rapport favorable au maintien du couplage prescription-vente, faisant fi de la résolution votée presque à l’unanimité par le Parlement européen qui a identifié un conflit d’intérêt lorsque les vétérinaires vendent les antibiotiques qu’ils prescrivent. « Dans le cadre du Plan national de réduction des risques d’antibiorésistance en médecine vétérinaire, l’IGAS et le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux ont été mandatés par le ministère de l’Agriculture pour étudier, entre autres, la question du découplage, le rapport est attendu pour la fin mai », indique Jacky Maillet. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, fait de « l’utilisation ciblée et responsable des antibiotiques en médecine vétérinaire une priorité de santé publique ». Il veut, entre autres, « lancer une réflexion sur les pratiques commerciales afin que les prescriptions d’antibiotiques ne soient pas liées à des incitations commerciales ». Des propositions législatives pourraient en découler.