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COMMENT OPTIMISER LA CHAÎNE DU FROID
Bien que chaudement recommandées par l’Ordre, les procédures de conservation des médicaments thermosensibles sont loin d’être suivies par l’ensemble des pharmaciens. Méconnues ou négligées, elles laissent le champ libre à des incidents aux conséquences parfois irréversibles. Pour la santé du patient comme pour l’économie de l’officine. Cette année, une nouvelle mobilisation de la profession devrait cependant réchauffer les ardeurs des pharmaciens à s’investir dans ce domaine.
L’érythropoïétine, l’interféron, les hormones de croissance, l’insuline, les nombreux vaccins… Ces médicaments thermosensibles emplissent les réfrigérateurs des officines. On estime en moyenne (hors vaccins) que chaque officine en recense vingt-cinq à trente, représentant 5 000 à 8 000 euros. Or, on connaît les conséquences de leur mauvaise conservation au froid. Altération, dénaturation des molécules, rupture du conditionnement en cas de gel… Les variations thermiques en deçà ou au-delà des températures oscillant de + 2 °C à + 8 °C recommandés par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé peuvent être dommageables à ces médicaments. « Le risque économique suit une tendance à la hausse avec la mise sur le marché de plus en plus de médicaments thermosensibles et à forte valeur », rappelle Vincent Boudy, pharmacien hospitalier, maître de conférences à l’université Paris-Descartes et président de la commission (1) réunissant la Société française des sciences et techniques pharmaceutiques (SFSTP) et l’Association française du froid (AFF).
Or, les recommandations de l’Ordre « PST » (produits de santé thermosensibles) émises en décembre 2009 sont claires : les enceintes réfrigérées servant à la conservation des médicaments de l’officine doivent être initialement et régulièrement qualifiées. Cela nécessite une cartographie (a minima en neuf points) des relevés de température pendant une période définie. A partir de ces résultats cartographiques, il faut effectuer un suivi en continu en deux points (le plus chaud et le plus froid).
Des bonnes pratiques peu à peu mises en place depuis la canicule de 2003
Il y a quelques années, la gestion du froid à l’officine était reléguée au second plan, y compris chez les grossistes-répartiteurs. Aujourd’hui, les pharmaciens savent qu’elle fait partie intégrante de leur métier. Là où, comme le décrit Vivien Veyrat, « l’officinal pourra, vis-à-vis des patients, mais aussi des pouvoirs publics, démontrer qu’il fait bien son travail ». Ce professeur associé « officine » à la faculté de pharmacie Paris-Sud-XI décèle l’origine de cette attitude dans la formation initiale des pharmaciens. « Le froid, sujet important, doit probablement être optimisé dans les facultés de pharmacie », constate-t-il.
En outre, la problématique de la chaîne du froid reste souvent encore mal connue du corps médical. Comme l’a constaté Sylvie Quéniart, titulaire à Provins (Seine-et-Marne) et présidente de l’Association des maîtres de stage des facultés de pharmacie de Paris, certaines PMI (protections maternelles et infantiles) exigent, après une vaccination, que les parents « rapportent » un vaccin équivalent sans se préoccuper du respect de la chaîne du froid. « Pourquoi les conseils généraux compétents en la matière seraient-ils exonérés des obligations imposées aux pharmaciens d’officine ? », s’interroge Sylvie Quiénart.
La canicule de 2003 a bouleversé la donne. Un premier cahier des charges a été publié par l’Ordre en 2004 et les bonnes pratiques se sont peu à peu mises en place. Après avoir publié en 2008 un Guide des bonnes pratiques de la chaîne du froid des médicaments, la commission SFSTP-AFF s’apprête à faire paraître la seconde édition cette année et a déjà organisé à deux reprises les Journées de la chaîne du froid (2). A l’automne dernier s’est tenu d’ailleurs pour la première fois, à Paris, un forum-exposition international consacré à la chaîne du froid.
Des procédures d’assurance qualité rédigées par les étudiants en pharmacie
Cette prise de conscience générale ne serait cependant pas complète si elle n’atteignait pas le cœur même de l’officine. La commission SFSTP – AFF a ainsi créé une sous-commission chargée du « dernier kilomètre », c’est-à-dire entre la dispensation au patient et l’administration du produit par le patient lui-même, son infirmière ou le médecin. En outre, le Collège des maîtres de stage et l’Appex (Association pour la promotion des pharmacies expérimentales) n’ont eu l’idée d’impliquer les étudiants de sixième année dans la chaîne du froid. « Nous allons leur faire rédiger une procédure d’assurance qualité. Une fois en stage en officine ; ils seront les témoins sur le terrain de cette démarche qualité froid » (3), promet Vivien Veyrat, qui annonce que désormais les procédures concernant les produits de santé thermosensibles seront intégrées au cursus. « Un jeune diplômé qui sera doté de connaissances en froid les fera valoir auprès du titulaire, qu’il pourra ainsi dégager de cette charge. Cela peut représenter un critère de choix à l’embauche », avance Sylvie Quéniart. En outre, une formation interuniversitaire, pilotée par Vincent Boudy, est en projet pour former les étudiants en pharmacie sur le sujet dès cette année.
Cette prise de conscience doit s’accompagner de procédures qualité (pour le déballage, la surveillance de l’enceinte et les délivrances) mais aussi d’une rigueur implacable dans le relevé des températures. Vincent Boudy incite les titulaires à la culture de la fiabilité en développant une sensibilité à l’erreur. « Dans le choix de l’équipement, des instruments de mesure ou encore de la position des capteurs, il faudra toujours s’interroger sur l’incertitude de mesure que l’on s’autorise. La démarche qualité pourrait se résumer par: les capteurs au bon endroit », expose-t-il. C’est pourquoi il est indispensable d’effectuer un étalonnage au minimum une fois par an et de s’assurer, à l’aide du certificat obtenu, que l’erreur de mesure du thermomètre est bien inférieure ou égale à plus ou moins 1 °C.
Inutile d’investir dans une enceinte réfrigérée ultrasophistiquée
Surtout, l’appréhension de la chaîne du froid est un état d’esprit. « Si on ne peut pas imposer un matériel standard, une démarche qualité de la chaîne du froid est à la portée de toute officine », confirme Vivien Veyrat. Le titulaire doit évaluer l’équipement nécessaire, sachant qu’il devra opter non pour le matériel le plus cher, mais pour le plus pertinent. Pas besoin donc d’investir dans des enceintes sophistiquées et de surévaluer ses capacités. Un réfrigérateur ménager peut très bien faire l’affaire pourvu que les procédures soient respectées. Inutile de s’offrir une enceinte dernier cri à double caisson lorsque deux réfrigérateurs constituent une solution de repli en cas de défaillance. L’essentiel est de se doter de capteurs performants (voir notre comparatif pp. 24 et 25). Encore faut-il ne pas le surcharger ni le remplir qu’à 70 % de son volume. Il faut aussi s’assurer que le dégivrage s’opère bien toutes les six heures (durée maximale de trente minutes) pour éviter tout risque de congélation. Le titulaire devra également qualifier la zone où il stockera ses produits, la mettre en conformité et signaler, dans l’enceinte réfrigérée, les zones les plus chaudes (maximum 8 °C) et les plus froides (- 2 °C).
Tracer les données pour prouver que la chaîne du froid n’a pas été interrompue
La procédure de gestion du froid prévoit également qu’un référent soit nommé par officine. C’est le cas chez Sylvie Quéniart. Arrivant chaque jour la première, elle effectue tous les contrôles à chaque étage de l’enceinte et remplit ses tableaux Excel. Le « délégué froid » sera également chargé de la cartographie annuelle du froid en neuf points localisés et de l’entretien intérieur et extérieur. Attention d’ailleurs à bien dépoussiérer la grille du condensateur pour assurer les échanges thermiques ! La chaîne du froid donnera par ailleurs lieu à une réunion spécifique de l’ensemble de l’équipe pour faire un point sur les nouveaux PST.
Par ailleurs, toute information concernant la chaîne du froid doit être traçable. Il s’agit en effet du bon usage du médicament dont le pharmacien est responsable. A la lueur des dernières affaires sanitaires, Vincent Boudy recommande même de conserver les documents au moins pendant cinq ans. La traçabilité est en effet le seul moyen pour le titulaire de se dédouaner en cas d’incident grave et de prouver en cas d’inspection que la chaîne du froid n’a pas été interrompue. Cette traçabilité sera en grande partie assurée par les relevés de température, éléments clés de la démarche qualité dans le froid. Les solutions (voir notre comparatif pp. 24 et 25) sont multiples: sondes embarquées ou fixes, à relevé mécanique (manuel) ou par radiofréquence (wi-fi), à enregistrement externe ou direct sur ordinateur… Là encore, les procédures restent primordiales.
L’enceinte réfrigérée dernier cri ne pourra en aucun cas suffire à garantir la chaîne du froid si des capteurs déficients ou mal étalonnés (penser à les réétalonner régulièrement) n’assurent pas un compte rendu fiable. Pour Sylvie Quéniart, la traçabilité est un acte incontournable. « Un accident est la conséquence de différentes barrières qui s’écroulent », précise l’officinale, qui s’est procuré un matériel aux normes, et notamment une sonde USB qui transmet les informations toutes les demi-heures à l’ordinateur de l’officine.
Une communication orale et écrite indispensable avec les patients
La chaîne du froid ne saurait être complète sans le dernier maillon, le « dernier kilomètre ». Un contrôle rigoureux des produits à la livraison, à l’aide d’un thermomètre scan, permet de mesurer la température des médicaments à leur sortie de la camionnette. Les produits de santé thermosensibles seront listés et leur température confirmée avant d’être déballés. Un conditionnement spécifique assuré par le grossiste permet de les identifier. Ensuite, au moment de la délivrance, le patient doit être informé de la fragilité de son produit et invité à rentrer rapidement chez lui. Certes, le produit est remis dans une pochette isotherme dotée d’une note explicative, voire d’un avertissement (« Ce produit ne vous sera ni échangé, ni remboursé ! »). Des mesures qui n’exonèrent pas le titulaire ou son équipe d’une communication orale sur l’innocuité du produit en cas de réchauffement ou encore sur les conséquences graves encourues en cas de rupture de la chaîne du froid. Car; rassuré par la pochette isotherme, le patient peut être tenté de faire son marché avant de regagner son domicile. D’où la nécessité absolue pour le pharmacien d’avoir couru avec succès ce « dernier kilomètre ».
(1) Emanation de l’Association française du froid et de la Société française des sciences et techniques pharmaceutiques
(2) Les troisièmes Journées du froid auront lieu cette année les 21 et 22 novembre à Lyon.
(3) Un questionnaire a été réalisé par le Collège des maîtres de stage. Lancé à l’échelle nationale, il permettra au stagiaire et au titulaire de faire un état des lieux du froid à l’officine. Il est disponible à l’adresse suivante : https://sharing-data.satisfactory.fr/fr/client/pr-vivien-veyrat/froid.html/z-1//
JEAN-PAUL AKBARALY,
TITULAIRE À TALENCE (GIRONDE)« Chaque mois, le froid est abordé dans une réunion d’équipe »
« Le froid est devenu un réflexe! », assure Jean-Paul Akbaraly, ancien pharmacien de l’industrie qui, très tôt, a intégré la gestion de la chaîne du froid à sa pratique professionnelle. « Le contrôle du froid fait partie de toutes les procédures qualité et nous faisons un point tous les mois avec l’ensemble de l’équipe. Tous les incidents consignés pendant cette période sur une fiche de dysfonctionnement sont évoqués et font l’objet de discussions. » Jean-Paul Akbaraly est particulièrement vigilant au suivi des températures. Son officine est équipée de deux enceintes, l’une réservée au stock, l’autre au surstock des vaccins en période de grippe. Toutes deux ont été équipées il y a un an d’une sonde double permettant un enregistrement permanent. Le matin, un écran d’alerte affiche les anomalies éventuelles de la nuit. Tout comme il est attentif à la traçabilité, le titulaire met l’accent sur l’information du public. Il a rédigé une note à destination de ses clients, indiquant que le produit avait reçu un traitement prioritaire au déballage et qu’il ne serait ni repris, ni échangé.
Attention aux normes !
Un matériel aux normes et une traçabilité permettront au pharmacien d’être mis hors de cause en cas d’une rupture avérée de la chaîne du froid. Les enceintes réfrigérées et le matériel capteur aux normes Afnor ou encore aux normes internationales CEI (NF EN 60068-3) devront être certifiés par un organisme agréé comme la Cofrac dans les conditions réelles d’utilisation.
JEAN-LUC AUDHOUI,
TITULAIRE À VERSAILLES (YVELINES)« J’ai doté mon réfrigérateur de sondes d’enregistrement »
Pour Jean-Luc Audhoui, installé en banlieue parisienne et membre du bureau national de la FSPF, la traçabilité est le premier mot d’ordre : « C’est de là que découlent toutes les contraintes et les obligations du pharmacien dans la chaîne du froid. C’est une obligation morale, légale et professionnelle. » Mais aussi une valorisation économique face à la multiplication des vaccins et des médicaments thermosensibles. Jean-Luc Audhoui a doté son réfrigérateur de sondes d’enregistrement – dont la taille est celle d’une pièce de deux euros – reliées à l’informatique. La température est relevée automatiquement toutes les trente minutes. Tous les matins, le collaborateur en charge de la sauvegarde informatique opère deux contrôles physiques de l’enceinte – au niveau des vaccins et au niveau des médicaments – et signe le relevé. Un thermomètre digital extérieur à l’enceinte réfrigérée permet de surveiller plus facilement la température à l’intérieur. En outre, le pharmacien veille à ce que l’arrière de l’enceinte soit bien ventilé, à ne pas laisser la porte ouverte trop longtemps et à remettre le médicament au client dans une pochette isotherme, assorti de conseils. Sans oublier une indispensable mise en garde: « Si votre médecin ne veut pas de ce vaccin, je ne pourrai pas vous le reprendre ».
Comment faire passer le message auprès des patients ?
Pour expliquer les choses clairement, l’idéal est de remettre aux patients une note explicative :
– Votre pharmacien vient de vous délivrer un médicament à conserver au froid.
– Pendant son transport, ne l’exposez pas au soleil ou à la chaleur.
– Il est impératif de remettre votre médicament le plus rapidement possible dans un réfrigérateur.
– Stockez-le au milieu du réfrigérateur: jamais dans le bac à légumes ni dans la porte.
– Ne le mettez pas dans le compartiment à glace ni au congélateur.
– Evitez qu’il soit en contact avec les parois du réfrigérateur et les aliments présents.
– Assurez-vous que la température de votre réfrigérateur à cet endroit est bien comprise entre + 2 °C et + 8 °C.
– Ce médicament thermosensible, comme tout médicament, ne pourra en aucun cas être repris par votre pharmacien.
Source : groupement Apsara
DOMINIQUE DEVISMES,
TITULAIRE À ECQUEVILLY (YVELINES)« La température est vérifiée une fois par jour »
Le respect de la chaîne du froid suppose de contrôler la température des produits dès leur arrivée à l’officine. « Nous disposons d’un thermomètre scan pour vérifier la température des produits livrés en caisses isothermes », précise Dominique Devismes, titulaire à Ecquevilly. Mais il nuance. « Nous devons faire confiance aux grossistes mais, eux, ne nous reprennent aucun produit en cas d’erreur de commande arguant qu’ils n’ont aucune garantie que la chaîne du froid a été respectée. » Pourtant, Dominique Devismes est particulièrement vigilant dans son officine, où il détient trois réfrigérateurs, dont un réservé exclusivement aux vaccins. La température contrôlée par des sondes automatiques est également vérifiée une fois par jour manuellement. Et le titulaire effectue une fois pas an une cartographie de ses enceintes. La panne de courant reste l’incident le plus redouté, mais elle est rarissime.
Sondage directmedica
Côté équipement vous disposez :
Votre matériel date :
Lors de la délivrance d’un produit soumis à la chaîne du froid, le placez-vous systématiquement dans une pochette isotherme ?
Rappelez-vous systématiquement à vos patients les règles de stockage à la maison ?
Quand un patient vous demande de reprendre un produit soumis à la chaîne du froid, vous :
Est-ce normal que les répartiteurs ne reprennent pas les produits soumis à la chaîne du froid en cas d’erreur de commande ?
Sondage réalisé par téléphone les 11 et 12 janvier 2012 sur un échantillon représentatif de 100 titulaires en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d’affaires.
Assurer ses responsabilités
Nombre de pharmaciens se croient couverts en cas de défaillance de leur frigo. Pourtant, face au volume des dommages encourus, les assureurs suivent de moins en moins leur client. A moins que ceux-ci n’aient souscrit une couverture spécifique dans le cadre de l’assurance multirisque professionnelle. Sont alors garantis, comme le rappelle le groupe Axa, les produits pharmaceutiques, les médicaments, les vaccins et les préparations entreposées dans les installations frigorifiques professionnelles. La cotisation est calculée en fonction de la valeur des produits stockés. Toutefois, la garantie ne s’applique que si les produits sont rendus inutilisables à la suite d’une perte de froid résultant d’un arrêt accidentel ou d’un cas de force majeure. Dans tous les cas les pharmaciens sont tenus de respecter la réglementation en vigueur, d’après l’assureur, avec une franchise de 10 % des dommages. Dans ses garanties spécifiques officine, le courtier Classassurances, par exemple, n’applique pas, quant à lui, de franchise dans son contrat multirisque. La garantie s’élèvera, selon le matériel, à 1 % ou 2 % du CA HT, voire 3 % pour du matériel en télésurveillance (sonde reliée à un ordinateur).
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