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Comment j’ai failli mettre la clé sous la porte

Publié le 21 février 2009
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Départ d’un médecin, banque qui se défile, construction d’un tramway, pression d’une maison de retraite, transfert contesté… Les raisons qui peuvent mettre à mal une officine sont multiples. Les moyens de s’en sortir beaucoup moins. Témoignages de ceux qui y sont parvenus.

Les chiffres communiqués par l’Union nationale des pharmacies de France en fin d’année dernière sont très alarmants. Selon ce syndicat, 4 000 pharmacies seront confrontées à de grandes difficultés financières en 2009 ! En cause, évidemment, les vagues successives de mesures de maîtrise des dépenses qui déferlent sur la croix verte depuis des années.

La pire des attitudes, pour ceux de nos confrères qui seront malheureusement touchés, serait de faire l’autruche et de refuser de parler de leurs problèmes. L’Union des pharmaciens de la région parisienne a ainsi recensé 85 fermetures d’officines sur deux ans en Ile-de-France (la moitié faisait suite à des dépôts de bilan ou à des difficultés économiques). Mais au moins autant auraient fermé sans rendre leur licence, disparaissant dans la nature…

Personne n’est à l’abri, et il n’y a donc aucune honte à demander de l’aide auprès de ses partenaires habituels mais aussi en contactant le plus précocement possible des structures dont c’est aussi la vocation (chambre de commerce et d’industrie, tribunal de commerce…). Car, sans tomber dans un optimisme béat, des solutions peuvent exister comme l’attestent la plupart des titulaires que nous avons interrogés. Mais quand il est trop tard…

« J’ai eu la chance d’être propriétaire des murs »

Je travaillais 70 heures par semaine. Je n’employais plus qu’une préparatrice et il n’y avait plus grand-chose sur quoi économiser. Tôt ou tard, j’allais être contraint au dépôt de bilan. Une véritable mort lente… » Flash-back. François Lardy, jeune diplômé reprend en 1976 l’officine familiale située en plein centre-ville du Mans. « A l’époque, on dénombrait quinze officines dans un rayon d’un kilomètre, se souvient-il. A mon arrivée, j’ai rénové la pharmacie. Je l’ai relookée quinze ans plus tard, au moment où ça commençait à devenir plus difficile, mais ça ne m’a rien apporté. »

Bientôt, l’officine commence insidieusement à ressentir les effets de la désertification des centres-villes et pâtit aussi des difficultés grandissantes pour stationner et de la poussée des centres commerciaux en périphérie. « Je n’ai pas compris tout de suite pourquoi je ne voyais plus personne le samedi après-midi ! » Des réaménagements urbains successifs, dont la disparation du passage clouté devant l’officine, finissent d’éloigner le gros des clients. En 1994, François Lardy doit se résoudre à licencier son adjoint. « Je me suis alors donné deux ans pour voir. »

Ouverte du lundi au samedi du matin au soir sans interruption, la Pharmacie Lardy ne s’en sort toujours pas. En 1996, le titulaire pense sérieusement à lâcher l’affaire. « J’en ai parlé à un grossiste et à deux cabinets spécialisés. Je n’ai eu aucune proposition ! Quand un acquéreur pointait le bout de son nez, il partait en courant. » François Lardy ne désarme pas et envisage, deux ans plus tard, un regroupement avec une officine voisine, trois ou quatre fois plus importante que la sienne. Cette différence fera avorter le projet. Le titulaire ne baisse toujours pas les bras et songe alors à un transfert. Il entre en contact avec les responsables d’un Centre Leclerc situé en périphérie de la ville. Levée de boucliers de l’Ordre et des syndicats ! Pas opposée au projet, la DDASS suivra néanmoins le mouvement. Les recours n’y feront rien. Les conseils avisés non plus. « Quand on parle de lobbying… », lâche François Lardy.

« C’était la guerre des tranchées devant chez moi »

Dans la tourmente, François Lardy fait le pari de devenir propriétaire de l’immeuble qu’il occupe. Mais les soucis continuent de s’amonceler. A l’étude depuis 20 ans, les travaux du tramway manceau démarrent au cours de l’été 2005. La ligne passe au pied des vitrines de l’officine. « C’était la guerre des tranchées devant chez moi. »

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L’immobilier plonge. « J’ai été contacté par un agent désireux d’acquérir tout le pâté de maisons. J’avais fait une croix sur ma licence et je voulais vendre. A 57 ans, je pouvais toujours me débrouiller pour trouver des remplacements, devenir salarié ou me faire engager dans une maison de retraite. » La gourmandise du voisin fera capoter l’affaire.

Le temps de faire le dos rond une ultime fois, François Lardy entrevoit enfin la sortie du tunnel. Avec la proche mise en service du tramway, les prix de l’immobilier remontent. « Une agence immobilière voulait mon emplacement. Avec l’affaire précédente, j’avais une idée des prix. Nous nous sommes mis d’accord en six mois. » La revente sera concomitante de l’achat d’une nouvelle officine à la périphérie de la ville. Le titulaire y emploie 5 personnes et dégage un CA de 1,3 million. Sa clientèle est constituée de retraités et de patients chroniques. Des fidèles. Une vie normale. Enfin !

François Lardy, qui a 61 ans et encore quelques années d’activités devant lui, déplore la position ambiguë des instances professionnelles : « Elles réclament des transferts et des regroupements mais s’y opposent dès que l’on propose un projet concret, au motif que ça va créer des difficultés aux pharmaciens voisins. Personnellement, je n’étais sans doute pas suffisamment attentif à la gestion commerciale de l’officine. On ne tient pas compte des signes annonciateurs, et puis c’est la spirale. J’ai eu la chance d’être propriétaire des murs. Cela s’est avéré être ma planche de salut ! »

Frédéric Thual

« J’ai changé de banque et dû restructurer ! »

Les difficultés financières n’épargnent personne, même pas un ancien responsable syndical. C’est l’amère expérience que vient de faire un titulaire de Marseille qui a souhaité conserver l’anonymat. Lâché par le Crédit Lyonnais qui lui refusait tout découvert, il sera sauvé par le Crédit agricole. Dans la balance, un plan de restructuration drastique.

Retour en arrière. En juillet 2008, une lettre de sa banque annonce au titulaire qu’à partir du 1er octobre elle ne lui accorde plus de découvert. Panique à bord. « Cela voulait clairement dire que je pouvais être en cessation de paiement et mettre la clé sous la porte. Pire, avec un chiffre d’affaires qui dégringolait (- 15 % en janvier, – 10 % en février, – 15 % en mars, etc.), il m’était impossible de récupérer le capital (35 à 40 % du montant de l’achat) investi lors de l’achat du fonds il y a deux ans. »

Le pharmacien et son épouse, cotitulaire, savaient que l’année 2008 serait mauvaise. Ils l’expliquent par « la mise en place des franchises qui incitent les patients à moins se soigner, les conséquences des plans Bertrand et Douste-Blazy et les médecins qui lèvent le stylo et prescrivent moins ». Résultat : avec un CA et une marge en baisse, les titulaires peinent à rembourser leur prêt et le trou s’agrandit. Ils croyaient que leur banque les soutiendrait. Ils se trompaient. « La banque devrait être un partenaire financier, dans les bons comme les mauvais moments. On est très loin du compte. » Et d’ajouter : « Il est exact que j’ai acheté l’officine trop cher, parce que le marché était surévalué. Mais, dans cette affaire, je n’étais pas seul à décider. La banque m’a suivi. Si elle m’avait refusé le crédit, je n’aurais pas signé ! »

Fini les déjeuners dans le petit resto du coin !

Le titulaire a alors deux mois pour trouver une solution. Elle prendra la forme d’un découvert accordé par le Crédit agricole. Quant au grossiste, le Comptoir, il accepte de différer certaines créances. A charge pour lui de mettre en place un plan de restructuration : compression des frais de personnel, licenciement économique d’une préparatrice, diminution de la rémunération des titulaires et annulation de leurs vacances, négociation plus serrée des achats et intégration dans un groupement. « Nous traquons toutes les dépenses inutiles, comme les déjeuners dans le petit resto du coin. Nous avons aussi élargi les horaires et ouvert le samedi après-midi. »

Le CA de décembre a augmenté de 6 % et le mois de janvier est dans le vert. Reste la colère contre la banque, qui n’est pas près de se calmer. Et ce titulaire n’est pas le seul dans cette situation. –

Dominique Fonsèque-Nathan

« Je me suis séparé de deux salariés »

Alain Dombris voit enfin le bout du tunnel. Dans quelques semaines, la quatrième ligne du tramway lyonnais, qui passe près de sa pharmacie, entrera en service. La circulation a déjà été rétablie et tous les grands travaux qui avaient chamboulé le quartier sont terminés. Les trous sont rebouchés et les passages piétons rétablis. « Mais on en a bavé toute l’année 2008 ! », témoigne le titulaire, estimant sa perte de CA à 10 %, soit 100 000 euros !

Cette baisse d’activité l’a conduit à réduire ses effectifs de six à quatre l’an dernier. Un congé parental tombant au même moment, il n’eut à prononcer qu’un seul licenciement. « Deux personnes en moins, mais en moyenne 1 heure 30 de plus par jour pour moi, sourit Alain Dombris. Et trois semaines de vacances au lieu de cinq habituellement. » Son épouse travaillant aussi à la pharmacie, partir ensemble aurait été « catastrophique ».

Ce qui frappe, c’est la rapidité avec laquelle les travaux du tramway ont remis en cause l’équilibre de l’officine, alors qu’Alain Dombris, diplômé en 1975, est installé ici depuis 30 ans. « Tous les mois on perdait 10 000 euros de CA. » S’il a gardé la clientèle de quartier, toute la clientèle motorisée, privée de parking, est partie ailleurs. En plus, un médecin installé à proximité, qui recevait de nombreux toxicomanes, est parti. « Cela s’est beaucoup ressenti. Ses prescriptions de Subutex représentaient à elles seules un chiffre d’affaires de 80 000 euros. »

« Du coup, le tramway va devenir un avantage ! »

Fort heureusement, la circulation devant l’officine a été rétablie il y a deux mois. « On l’a vu tout de suite car l’activité est repartie. » Le premier mois, le chiffre d’affaires est remonté de 7 000 euros et le mois dernier de 6 000 euros. « Si cela continue sur ce rythme, j’espère raugmenter mon chiffre annuel de 50 000 euros. » Un objectif d’autant plus atteignable que l’un des 18 arrêts de cette ligne qui dessert le 8e arrondissement lyonnais, Vénissieux et Feyzin, est situé à quelques mètres seulement de l’officine, au coeur du quartier des Etats-Unis, oeuvre de l’architecte Tony Garnier. « Du coup, le tramway va devenir un avantage ! », explique notre confrère, d’autant que les services offerts par la pharmacie sont appréciés. Dans le classement de son groupement Pharmactiv, il se classe 295e sur 1 075 dans les évaluations périodiques faites via les « clients mystère ».

Happy end pour Alain Dombris donc. Le titulaire a pu enfin partir quelques jours en vacances à l’île Maurice et peut désormais espérer bien revendre son officine le jour où il décidera, avec Madame, de se retirer. « Dans quatre ou cinq ans, j’espère. » –

Jean-Claude Pennec

« J’ai provisionné pour dépréciation du fonds »

En reprenant en 1997 une officine à Bavay, un bourg de 3 500 habitants du Nord, Thierry Lecocq affichait un bel optimisme. « C’était une première installation. J’avais bien eu d’autres propositions, mais c’était la première où le prévisionnel était correct et où il y avait la maison en plus ! »

Et là, patatras ! « Je me suis assez vite aperçu que le CA prévisionnel ne serait pas atteint. Cela s’est vite confirmé ! Il a manqué 15 % la première année par rapport aux objectifs. J’avais acheté à 80 % du CA. En réalité, j’étais plus proche des 100 %. »

La faute à « pas de chance » ? Thierry Lecocq a découvert, après coup, les réalités officinales bavaisiennes. Trois pharmacies se partageaient – et se partagent toujours – la clientèle de ce chef-lieu de canton qui comptait 4 200 habitants au début des années 80. Les difficultés de l’une d’entre elles avaient profité un temps aux deux autres, le principe des vases communicants avait bien fonctionné : chiffre d’affaires en hausse un temps puis en baisse juste au moment de la revente de l’officine en difficulté…

« Du classique », commente laconiquement Thierry Lecocq, qui a tout de même réussi à obtenir du vendeur le réétalement du crédit accordé sur le stock de 2 à 5 ans. « C’était un bon compromis, d’autant que le chiffre d’affaires n’avait pas été gonflé artificiellement. N’empêche, même si le chiffre d’affaires a toujours progressé par rapport à celui du départ, l’officine souffrait d’un manque de trésorerie. A l’époque, la banque venait chercher la recette à l’officine tant elle craignait que je parte avec la caisse ! Mais, hormis quelques échéances payées avec un léger retard de quelques jours, je n’ai jamais eu de problème avec mes fournisseurs. Mais cela ne pouvait pas durer. » Son expert-comptable, Olivier Desplats, du cabinet Flandre Comptabilité Conseil, en convenait. Pour s’en sortir, il a proposé de provisionner pour perte de valeur du fonds de commerce, ce qui a généré un important déficit fiscal et donc l’absence d’impôt sur les sociétés à payer. Cette solution a permis à l’EURL « d’attendre une situation plus confortable pour renégocier ses prêts ». Merci les services fiscaux, lesquels ont validé, sur lettre justificative, le principe de la provision pour dépréciation du fonds !

« Je reconnais un peu de négligence de ma part »

Après deux exercices difficiles, l’officine s’est peu à peu remise à flots, retrouvant son chiffre escompté, jusqu’à l’annulation en 2003 de la provision, le rééchelonnement du premier emprunt accompagné de la souscription d’un second pour payer l’impôt dû sur la reprise de provisions. Depuis, preuve d’un mieux indéniable, Thierry Lecocq a entrepris de réagencer son officine et a réétoffé son équipe. Mais il a eu très chaud : « J’ai pensé un moment devoir revendre, même si je n’ai jamais eu le couteau sous la gorge pour avoir vite pris les mesures qui s’imposaient en renégociant un découvert autorisé plus important qu’à l’origine auprès de la banque. » Les bénéfices dégagés et la démission d’une préparatrice ont facilité les tractations…

« Mais il est sûr, conclut le titulaire, qu’avec un CA et une marge en baisse j’aurais été obligé de reconsidérer la situation. La première année l’officine faisait 7,3 millions de francs, aujourd’hui elle réalise 1,854 euro TTC ! C’était déjà une belle pharmacie, ce qui nous a permis de résister. Sinon, il ne me serait jamais resté assez pour vivre. Le montage était bon et, si j’ai le sentiment de m’être fait avoir, je reconnais un peu de négligence de ma part. J’aurais dû un peu plus me renseigner sur le secteur. Quoi qu’il en soit, il n’est pas évident aujourd’hui de faire face à ses engagements quand les taux de croissance tournent autour de 1 à 2 %… »

Jean-Luc Decaestecker

Travailler plus pour gagner moins

En août 2006, deux titulaires décident de réaménager leur officine montpelliéraine proche du centre-ville. Les travaux sont programmés pour démarrer à l’heure où le chantier d’une seconde ligne de tramway devait s’achever. Mais il a duré plus longtemps que prévu. « Il nous avait déjà fait perdre une bonne part de notre clientèle, constituée à 75 % de personnes âgées, sans indemnisation qui plus est », explique l’une des titulaires. En outre, trois grosses officines du centre-ville se sont mises à discounter férocement. S’y ajoutèrent les baisses de marges que subit toute la profession. Pour couronner le tout, la pharmacie perd au même moment une maison de retraite après un appel d’offres. Soixante clients s’envolent d’un coup !

Déréférencer les gammes sur lesquelles on ne peut pas lutter

En 2007, à deux doigts de mettre la clé sous la porte, les titulaires décident de réduire leur salaire de 25 %, soit 1 500 Û net par mois ! « Il était exclu que l’on rogne sur ceux des employés. » Elles doivent aussi licencier le préparateur. « Nous ne faisions plus de préparations pures. Le problème, c’est que nous faisons nous-mêmes son travail depuis. »

L’officine compte actuellement, outre les deux titulaires, une adjointe et un apprenti, pour un CA de 1 MÛ. Stable pour l’instant. Elle est ouverte 48 heures par semaine et les titulaires travaillent, à tour de rôle, un samedi sur deux. Pour s’en sortir, les gammes sur lesquelles la pharmacie ne pouvait plus lutter avec les discounters ont été déréférencées. Roc, par exemple, a été remplacé par Caudalie qui garantissait un « non-écart » des prix et la parapharmacie a été réorientée sur des gammes plus dermatologiques telles Avène ou Uriage. « Ce ne sont pas des marques sur lesquelles nos voisins discounters se battent. Elles sont moins chères et nous margeons mieux. » L’officine s’est aussi démarquée avec les produits à la marque de son groupement, qui représentent près de 20 % de leur CA sur ce segment de marché. Elle s’est aussi risquée à augmenter ses prix d’environ 10 centimes par produit.

Si les grossistes ont accordé des facilités aux deux titulaires, c’est avant tout la possibilité de renégocier un prêt avec la banque qui a apporté le plus d’oxygène : 100 000 Û pour les travaux et un peu de trésorerie. « C’était en 2007. Nous ne pourrions plus l’obtenir actuellement. » Les pharmaciennes, qui ne veulent pas encore crier victoire, attendent les prochaines mesures du gouvernement. Ce dont elles sont sûres, c’est qu’il ne faudrait pas qu’elles soient désavantageuses « car, alors, nous ne pourrions pas tenir ». Elles ne voudraient pas en arriver à hypothéquer leur maison pour conserver leur officine comme vient de le faire une consoeur installée dans un autre quartier de la ville… –

Myriem Lahidely

« Merci le grossiste ! »

En janvier 2006, Marie-Cécile Raynaud achète la pharmacie de Lussac-les-Eglises, commune très rurale de 600 habitants de la Haute-Vienne. Le même mois, sans prévenir sa patientèle ni même la municipalité, un des deux médecins, compagnon de la… pharmacienne cédante, ferme son cabinet. Le médecin qui exerce encore au village ne peut reprendre toute la patientèle qui, du coup, se disperse. « Résultat, dès la première année le CA de la pharmacie a chuté de 20 %. Alors que le prix d’achat de l’officine (78 % du CA de mon prédécesseur) semblait correct, mon prévisionnel d’activité ne tenait plus la route ! J’ai pu garder la tête hors de l’eau grâce à mon principal grossiste, Alliance Santé, qui a bien voulu étaler sur 18 mois le règlement de mon premier mois d’achat, mais je n’ai plus espoir de compenser cette perte… »

En 2007, Marie-Cécile Raynaud, très volontaire, parvient pourtant à rattraper un peu du CA perdu en réalisant un + 7 %. « C’est par le conseil, l’écoute et le service que j’ai pu fidéliser la clientèle. J’ai cru alors pouvoir combler en quelques années mon retard initial. En 2008, c’était aussi bien parti. Mais la loi de finance de la Sécurité sociale provoque le déremboursement de plusieurs classes de médicaments et instaure les franchises médicales. Dans nos campagnes, l’effet a été radical : beaucoup de gens ont renoncé à certains médicaments, voire complètement renoncé à se soigner. »

En 2008, le CA de l’officine de Lussac est donc resté stable, alors qu’au niveau régional on constate plutôt une baisse d’environ 3 %. « Je m’estime heureuse ! Mais comme la loi de finance 2009 va imposer de nouveaux efforts, de nouvelles pertes financières, il y a de quoi se faire du souci, notamment pour le maintien de l’emploi. » L’officine emploie actuellement une adjointe et une préparatrice.

La désertification rurale n’arrange pas les choses

Malgré ses déboires, Marie-Cécile Raynaud ne voit pas tout en noir. La pharmacie la plus proche est à plus de 15 kilomètres et Lussac dispose encore de commerces et de services publics qui assurent une certaine fréquentation au bourg. Mais pour combien de temps encore ? A la campagne, les services publics disparaissent désormais à vitesse accélérée – « on a l’impression que les pouvoirs publics laissent complètement tomber le monde rural ; il faudra bientôt importer la viande limousine d’Amérique du Sud ! » – et la population vieillissante ne se renouvelle pas.

Autre souci en perspective : les secteurs de garde des médecins seront bouleversés d’ici l’été. Toutes les gardes se feront à Bessines, à 50 kilomètres de Lussac, et les patients seront fortement incités à s’y rendre grâce aux taxis mis à leur disposition. « Je m’attends donc à ce que mon CA baisse d’année en année. J’en veux terriblement à l’agence de transaction qui a servi d’intermédiaire. Elle devait savoir qu’un des médecins allait partir. Il aurait fallu évaluer la perte d’activité. Ils n’ont pas fait un boulot honnête. Mais il est vrai que leurs honoraires, très lourds, sont basés sur le prix de vente… » –

Olivier Jacquinot

« J’ai dû revenir dans mon quartier d’origine ! »

En 2002, Patrick Berendsen transférait son officine dans une zone commerciale de Chambéry en pleine expansion. Trois contestations d’autorisations préfectorales plus tard, il sera contraint, en 2007, à retourner dans son quartier d’origine. « Mon projet de transfert était pourtant mûrement réfléchi. Avant de me lancer, j’avais par sécurité consulté la DDASS. Fort de son avis favorable, j’ai déposé un dossier et, trois mois plus tard, le préfet m’accordait une autorisation de transfert. »

En arrivant dans le nouveau local, Patrick Berendsen avait décidé d’engager des travaux conséquents afin d’être opérationnel sous le délai d’un an à compter de l’obtention de la licence. Mais c’était compter sans le recours formé devant le tribunal administratif par plusieurs « confrères » contestant la décision préfectorale. La bataille juridique commençait. « J’ai quand même investi mon nouveau local, en attente d’un jugement. Il est tombé comme un couperet : transfert rejeté. » La juridiction administrative remettait en cause l’arrêté préfectoral selon lequel « l’installation de la pharmacie satisfaisait aux besoins des cabinets médicaux ». Cette formulation maladroite introduisait une notion de dépendance avec les médecins installés dans le même immeuble que la pharmacie. Le préfet a donc rendu un deuxième arrêté de transfert, mais, de nouveau, il a été attaqué. Le tribunal administratif a maintenu son refus, cette fois-ci au motif que la voie rapide, située à 200 mètres de la pharmacie, constituait un obstacle ne permettant pas d’assurer la desserte des habitants résidant au-delà. « Par mapping informatique, j’ai reconstitué la situation géographique des clients de la pharmacie et j’ai prouvé que les habitants des quartiers dits isolés avaient bien accès à la pharmacie, explique Patrick Berendsen. Le préfet m’a de nouveau accordé une troisième autorisation de transfert, laquelle a encore été attaquée devant la cour administrative d’appel. Le ministère de la Santé, saisi de mon dossier, a écrit à la cour d’appel pour valider mon transfert, jugé conforme aux dispositions du Code de la santé publique. L’ordre des pharmaciens, les syndicats locaux et la municipalité de Chambéry m’ont également soutenu. Mais la cour d’appel n’a pas suivi. »

400 000 euros de préjudice financier

Les conséquences, économiques et sociales, ont été désastreuses. Six ans après l’obtention de la première licence de transfert, Patrick Berendsen a dû fermer sa pharmacie et licencier son équipe. « Pendant cinq mois, je n’ai pas exercé, le temps de retrouver un nouveau local dans mon quartier d’origine et de contracter un nouvel emprunt bancaire. La note est lourde et je paye le prix fort ! J’ai déposé en référé un recours indemnitaire contre l’Etat pour un préjudice financier estimé à 400 000 euros. Je n’ai pas encore de réponse, mais je ressens une profonde injustice. La juridiction administrative s’est arc-boutée sur son premier refus et n’a pas accepté de se déjuger, malgré tous les arguments en ma faveur. J’ai tenu le choc grâce au soutien de ma famille et de mes amis. Quant à la confraternité de la profession, je n’y crois évidemment plus. Ces déboires ne seraient pas arrivés sans l’acharnement procédurier d’une « consoeur ». »

Fabienne Rizos

« J’ai développé la parapharmacie »

Nous avons connu beaucoup de nuits sans sommeil mon mari et moi, témoigne Christine Hébrard, 40 ans, titulaire depuis juillet 2001 de l’unique pharmacie de Royère-de-Vassivière (Creuse). Lorsque je l’ai reprise, le projet de forfait pour la fourniture de médicaments à la maison de retraite existait déjà. L’ancienne propriétaire m’a d’ailleurs consenti une remise de 23 % pour cette raison. Il faut dire que la maison de retraite représente 10 à 15 % de notre CA. »

Six mois après l’installation de Christine Hébrard le forfait lui était imposé, de même qu’une remise de 11 % sur le montant des médicaments fournis, avec, en filigrane, la menace de voir se créer une pharmacie à usage intérieur comme dans la ville voisine de Bourganeuf. « Nous nous sommes interrogés avec le comptable : fallait-il accepter ? Comme cela faisait du flux et que, à l’époque, les génériques étaient intéressants, nous nous sommes résignés à le faire… » Selon notre consoeur, la remise représentait 1 000 à 1 500 euros de manque à gagner chaque mois. « Peut-être même y a-t-il eu des produits vendus à perte… »

Face à l’adversité, les Hébrard n’ont pas baissé les bras, bien au contraire. Leur chance ? Royère-de-Vassivière se trouve à proximité du lac du même nom, le principal site touristique limousin. « Il y a aussi les résidences secondaires, ouvertes près de six mois dans l’année. » Les Hébrard ont donc totalement réorganisé l’officine et développé la parapharmacie – « en veillant à avoir des prix serrés » – et le service aux clients. « Les patients peuvent venir à toute heure, même quand je ne suis pas de garde. Le médecin du village sait que, même tard, il peut nous solliciter… » De fait, les horaires de travail de la pharmacienne sont extensibles. « Mais ça, ce n’est pas grave. Nous avons fait un choix de vie en nous installant ici », explique Christine Hébrard qui, avant, travaillait dans une officine de groupement de Clermont-Ferrand où les « challenges » étaient monnaie courante (« Je ne supportais plus ! »).

« Depuis quelques mois nous dormons beaucoup mieux ! »

Si l’officine est finalement parvenue à maintenir son CA, c’est aussi grâce au départ volontaire de la préparatrice, employée à plein temps. Elle n’a été remplacée que par un temps très partiel, un jour par semaine. Par ailleurs, Yvan Hébrard, qui s’occupait déjà de la comptabilité et de l’informatique, a repris ses études, obtenu le bac par la validation des acquis de l’expérience et est actuellement en première année de BP de préparateur. « Quand il n’est pas en cours, il range l’officine et fait l’apprenti. »

Au printemps dernier, le nouveau directeur de la maison de retraite a voulu rencontrer la pharmacienne pour revoir l’accord qui les liait. « Je craignais qu’on ne nous impose le déconditionnement. Là, j’aurais refusé, quitte à perdre le marché. C’est trop de responsabilités et il m’aurait fallu embaucher. A ma grande surprise, le directeur l’a très bien compris et n’a pas insisté. Nous sommes revenus à la facturation via les cartes Vitale. Du coup, je leur ai proposé de venir quotidiennement chercher les ordonnances et apporter les médicaments à la maison de retraite ». Une plate-forme informatique sécurisée reliant l’établissement à l’officine est même en projet. « Depuis quelques mois nous dormons beaucoup mieux ! », même si l’épée de Damoclès reste suspendue au-dessus de l’officine. –

Olivier Jacquinot

Parking ouvert, pharmacie fermée !

Installée depuis 13 ans au coeur du Vieux Lyon, Agnès Bayle a dû fermer. L’aménagement d’un parking souterrain a eu raison de son officine. Les travaux, qui ont duré près de 7 ans, avaient fait fuir l’essentiel de sa clientèle.Des présentoirs vides. Quelques cartons à demi-remplis. C’est tout ce qui reste de la Pharmacie du Vieux Lyon. Agnès Bayle n’a pu, contrairement aux autres confrères que nous avons interrogés, surmonter les difficultés qui se sont abattues sur elle. Malgré un emplacement exceptionnel, sur un quai passant de la Saône, au coeur du Vieux Lyon, face à la Presqu’île. Et malgré cette clientèle de quartier qu’Agnès Bayle connaissait et aimer conseiller.

A l’origine de ses déboires, la décision de la Ville de construire un nouveau parking souterrain de quatre niveaux au bord du fleuve, comme il en existe déjà quatre plus en amont. Ce qui pouvait constituer pour l’officine, à terme, une nouvelle clientèle, et donc une aubaine, est devenu son cauchemar. Car les travaux ont vite transformé l’accès à cette partie du quai en un champ de bataille. « Au début, les gens ont continué à venir, explique Agnès Bayle. Et puis, peu à peu, à force de devoir marcher dans le sale ou la gadoue, ils sont allés voir ailleurs… »

Il en fallait plus, au départ, pour la décourager. Les travaux devant durer quatre ans, elle a fait le gros dos, quitte à licencier sa préparatrice. « Dès que les travaux ont démarré, mon CA a plongé de 50 %. » Mais le chantier s’est enlisé : des fouilles archéologiques ont démarré fin octobre 2002. Elles mettent d’abord au jour une embarcation du XVIIIe siècle. Mais cette découverte ne fait que précéder une autre, plus importante encore : six barques antiques, du Ier ou IIe siècle, témoignage unique de la batellerie fluviale à l’époque romaine.

« J’ai été très contente toutes ces années-là »

Pour Agnès Bayle, cette découverte a été le début de la fin. Au final, les travaux, désormais terminés, auront duré près de sept ans. Elle ne s’est pas laissé faire et est allée en justice pour obtenir réparation contre Lyon Parc Auto, la société de gestion des parkings lyonnais. Mais le tribunal administratif s’est contenté de renvoyer les parties dos à dos. Parallèlement, les banques n’ont pas été ses plus grandes complices. « Quand j’ai eu des découverts, elles me l’ont fait payer cher. »

Désormais, donc, le parking est ouvert mais la pharmacie a fermé. Comme beaucoup d’autres commerces dans ce quartier. Nostalgique, Agnès Bayle se souvient de ses premières années ici : « Les bus qui descendaient de Sainte-Foy ou du Point-du-Jour stoppaient devant l’officine. Du coup, beaucoup de gens nous laissaient leurs ordonnances avant d’aller faire leurs courses pour qu’on les leur prépare. » La pharmacienne n’exprime pas trop de rancoeur, explique simplement qu’elle a évidemment perdu dans l’affaire tous ses investissements et son capital. « J’en ai tiré une misère. » Toute revente de l’officine était évidemment exclue.

Agée de moins de 50 ans, Agnès Bayle envisage désormais de redevenir adjointe. « J’ai été très contente toutes ces années-là », conclut-elle simplement. –

Jean-Claude Pennec

Ses conseils

– Surveiller le chiffre d’affaires. S’il baisse, la marge fait de même.

– Bien choisir sa banque. Préférer les relations de confiance à un taux préférentiel.

– Ne pas acheter trop cher le fonds de commerce, même si le marché est haut.

– Etablir un prévisionnel dans lequel le titulaire peut retirer une rémunération supérieure à ses besoins. En cas de coup dur, elle peut jouer le rôle de variable d’ajustement.

– Surveiller les achats et les frais de personnels au centime près.

LES CHIFFRES

Selon l’Ordre, 77 officines ont fermé en 2007, contre 75 en 2006 et 67 en 2005.

Selon l’UNPF, 4 000 officines seront en grande difficulté financière en 2009, que ce soit au niveau des délais de paiement auprès des fournisseurs, des découverts bancaires ou des baisses de marge.

Un avocat, ça rassure !

« Les dossiers des entreprises en difficulté sont parfois très complexes, indique Catherine Contaux, du cabinet Fidal, lequel dispose d’un département « entreprises en difficultés ». Notre intervention peut avoir un impact psychologique positif à l’égard de créanciers tels que la banque, l’Urssaf ou le grossiste-répartiteur. C’est pour eux un gage d’assurance… » Ce département de Fidal réalise dans un premier temps un diagnostic pour déterminer les causes réelles du problème. Il va ensuite faire le tour des solutions envisageables pour redresser l’entreprise, en tenant compte des facteurs de risque (insuffisance de capitaux propres lors de l’achat, prix du fonds trop élevé, faiblesse endémique des ratios d’exploitation, incapacité du titulaire à proportionner ses prélèvements personnels avec la capacité bénéficiaire de l’officine) et des facteurs aggravants (MDL, poids croissant de la fiscalité et des charges sociales, stagnation du CA). Peut-on faire un apport personnel complémentaire ? Le titulaire peut-il réduire ses prélèvements personnels et son train de vie ? Peut-il avoir une ou des actions de redynamisation de son activité ? Peut-il envisager une réduction de l’effectif ou une réduction des horaires ? Une renégociation du crédit principal ? Etc. L’incidence de chaque solution préconisée fait l’objet d’une mesure à moyen terme. « Si la situation n’est pas irréversible, nous préparons ensuite un plan d’étalement des dettes. Ce règlement amiable procède d’un accord négocié qui doit recueillir l’unanimité des créanciers. »

François Pouzaud

Ronan Maheo, conseiller à la chambre de commerce et d’industrie de Lyon

« Il faut six mois pour rectifier le tir, après il est souvent trop tard »

Quels sont les signaux d’alerte d’une entreprise en difficulté ?

Le principal indice est l’état de la trésorerie. C’est pourquoi tout chef d’entreprise doit suivre de près son évolution au moyen d’un tableau de bord afin d’établir les entrées (ventes) et les sorties (charges). Cet outil de pilotage, réalisé par exemple à un rythme mensuel, permet d’être alerté lorsque l’un des indicateurs est en baisse. L’entrepreneur pourra alors analyser ce qui ne va pas et réagir rapidement en réorganisant son agencement, en changeant la rotation de ses produits ou en complétant son offre.

Beaucoup d’entrepreneurs se reposent sur leur comptable pour suivre la trésorerie. Est-ce un tort ?

Le rôle du comptable est de réaliser un arrêté des comptes chaque année. Quand il s’aperçoit d’un indicateur en baisse, il est souvent trop tard car plusieurs mois ont pu s’écouler. Or, au moment où les ventes commencent à fléchir, nous considérons qu’un entrepreneur dispose d’au maximum six mois pour adapter son offre. Après, il est souvent trop tard. L’entrepreneur doit donc avoir une vraie logique financière. C’est d’autant plus nécessaire qu’aujourd’hui, les commerces sont plus fragiles en raison de l’augmentation des charges fixes et de la baisse récurrente du chiffre d’affaires. Plus que jamais, il est donc indispensable d’être un bon gestionnaire pour développer son entreprise.

à noter

Des aides sont possibles avant qu’il ne soit trop tard

Outre votre comptable ou votre syndicat, vous pouvez également contacter les organismes suivants :

– Les chambres de commerce et d’industrie peuvent, gratuitement, réaliser un audit de votre situation financière et vous aider à mettre en place un outil de pilotage. Elles peuvent aussi intervenir quand vous commencez à être dans le rouge et vous orienter vers l’adoption d’une nouvelle stratégie.

– Pour les entreprises de moins de 400 salariés en proie à des difficultés, même passagères, le Codefi (Comité départemental d’examen des difficultés de financement des entreprises), qui dépend du ministère du Budget, peut établir un diagnostic, entreprendre une médiation, mettre en place un plan de restructuration ou de financement ou réorienter éventuellement vers d’autres interlocuteurs. Placé sous l’autorité du préfet, un Codefi est présent dans chaque département, à la trésorerie générale.

– Les cellules prévention des tribunaux de commerce, composées de juges. Elles permettent à un chef d’entreprise de s’informer – même anonymement – lorsqu’il rencontre des difficultés.

– Les centres de gestion agréés ont un rôle de conseil et d’orientation.