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BIEN ABORDER L’EXTERNALISATION

Publié le 7 novembre 2015
Par Chloé Devis
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Pour gagner du temps, des pharmaciens préfèrent externaliser la gestion du tiers payant. Une solution astucieuse à condition de choisir une prestation conforme à ses besoins, et de ne pas s’exonérer du suivi des dossiers.

Le coût de la gestion en interne du tiers payant est souvent mal connu des pharmaciens eux-mêmes », considère Jean-Marc Didier, titulaire à Meyzieu (Rhône), qui a opté pour l’externalisation il y a déjà 14 ans. Une récente étude du Crédit agricole menée auprès de 400 pharmacies estime que la gestion du tiers payant équivaut à un temps de travail de 8,5 jours par mois ou, en charges de personnel, 0,4 emploi à temps plein, pour un volume moyen de 2 160 dossiers de tiers payant par mois.

Il y a quelques années le syndicat USPO avait évalué les « coûts cachés » de la gestion du tiers payant entre 12 000 et 24 000 € par officine et par an.

« Aujourd’hui, les motifs de rejets de dossiers ne manquent pas. En dehors des problèmes de mises à jour des droits des patients, les réformes gouvernementales sur les prix et les remboursements des médicaments génèrent de nombreuses erreurs », observe Laurent Cassel, expert-comptable au cabinet Adequa. Passer par un prestataire extérieur permet, en premier lieu, de maîtriser le coût du traitement des dossiers litigieux.

Un suivi précis en temps réel

« La situation économique actuelle de la profession rend d’autant plus nécessaire une gestion au cordeau de toutes les composantes de l’activité officinale », note Marie-Anne Martin Pavot, dirigeante de Litipharma, spécialiste de la gestion du tiers payant. Or, la charge de la gestion du tiers payant pèse sur les équipes. Voire sur le titulaire lui-même ou son adjoint. Et c’est là où le bât blesse : « Dans le cadre des nouvelles missions, il est indispensable de réaffecter les forces vives de l’officine au comptoir », fait valoir Laurent Cassel, en les soulageant d’un maximum de tâches administratives. « Confier cette mission à un tiers nous permet d’éviter que l’un d’entre nous y passe des heures, mais sans être aussi efficace qu’un professionnel qui connaît bien les procédures et les interlocuteurs », témoigne Jean-Marc Didier. La démarche lui revient à 800 € par mois pour 4 h 30 de travail réalisé pour le compte de son officine de 10 personnes. Son chiffre d’affaires est évalué à 3 M€, dont plus de 75 % lié au tiers payant. « Nous récupérons ce coût sur les ventes », assure-t-il.

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L’externalisation est aussi un moyen de prévenir l’envol des encours faute de temps suffisant pour traiter les dossiers : « Le coût d’un problème non réglé est multiplié par deux ou trois le mois suivant », pointe Jean-Michel David, président de Tiers Payant Assistance. En outre, « si une négligence n’est pas détectée à temps, elle risque de se reproduire, et si on laisse traîner on aura plus de mal à faire une réclamation à un client qui revient, de crainte de le perdre », ajoute Marjorie Janssen, gérante d’Annecy Pharma. A l’inverse, le pharmacien peut profiter d’un suivi précis pour optimiser sa trésorerie. « Le logiciel mis à disposition par notre prestataire nous permet d’être tenus au courant des erreurs commises en temps réel, ce qui permet de rectifier le tir », explique Jean-Marc Didier.

Choisir une formule adaptée à ses besoins

La gestion du tiers payant a suscité nombre de vocations ces dernières années, y compris chez d’anciens préparateurs ou pharmaciens, mais aussi du côté de banques tels le Crédit agricole avec Santeffi, ou le Crédit mutuel avec ActivFSE. Petites ou plus importantes, les sociétés présentes sur ce marché proposent, avant toute chose, la prise en charge des rejets au long cours: elles recyclent les factures erronées et effectuent les démarches nécessaires auprès des organismes payeurs et des clients de l’officine pour le recouvrement des impayés. Elles peuvent également intervenir ponctuellement pour une remise à plat des comptes, par exemple au moment de la reprise ou de la cession d’une officine.

Les prestataires proposent souvent différentes formules, incluant ou non le référencement, le rapprochement bancaire, et parfois même une avance de trésorerie. La prise en main à distance du logiciel de l’officine par le prestataire a aujourd’hui pris le pas sur la mise à disposition « physique » d’un collaborateur auprès de la pharmacie. Mais en aucun cas les données clients ne sortent de l’officine. Le forfait mensuel est en général établi au cas par cas, sur la base, selon les prestataires, du nombre de volume de feuilles de soins traitées par l’officine ou du taux de dossiers rejetés. Les sociétés proposent généralement un contrat de un an reconductible tacitement, mais il existe aussi des offres sans engagement.

Le coût horaire pouvant osciller de 35 à 50 €, Laurent Cassel recommande de « faire plusieurs devis, et étudier de près les services proposés ». « L’envoi d’un récapitulatif complet à l’expert-comptable au moment de la clôture du bilan est un plus appréciable », indique Laurent Cassel. Pour Jean-Pierre Lebras, titulaire à Morzine (Haute-Savoie), passé par plusieurs sociétés avant de trouver celle qui lui convient, « la qualité de la prestation dépend étroitement de la personne en charge de votre dossier. Il faut qu’un lien de confiance soit établi et qu’elle soit facilement joignable ».

Mais confier la gestion de son tiers payant à un prestataire ne dédouane pas le pharmacien de ses responsabilités. En premier lieu, la télétransmission des feuilles de soin doit être obligatoirement assurée par l’équipe officinale. Ensuite, « le pharmacien doit rester à l’écoute des informations transmises par son prestataire, concernant notamment les erreurs de facturation commises en interne, pour les relayer auprès des collaborateurs qui en sont à l’origine, et ainsi faire baisser au fil du temps le nombre de rejets », indique Jean-Michel David. Par ailleurs, « il ne faut pas hésiter à rappeler à l’équipe de scanner systématiquement les cartes Vitale et de mutuelles pour un traitement plus rapide des dossiers », précise Marjorie Janssen.

Le choix de la gestion en interne

Claude Péricaud, titulaire à Bagneux (Hauts-de-Seine), a fait réaliser deux devis pour externaliser la gestion de son tiers payant. L’un à 500 €, l’autre à 600 € par mois. Un tarif qu’elle a jugé trop élevé vis-à-vis de ses besoins. Aussi a-t-elle choisi, quand son adjoint est parti, de s’occuper elle-même du traitement des rejets, « 5 à 6 par jour en moyenne ». « Je consacre à cette tâche 10 à 12 heures par mois, réparties essentiellement sur les heures creuses du samedi. Au final, il reste 50 à 60 € d’impayés à la fin du mois. » Sa décision n’est pas fondée uniquement sur des considérations financières : « Garder la main sur les dossiers me permet de repérer les erreurs récurrentes, d’apprécier le degré de finesse du travail de mes collaborateurs, et de mieux les accompagner. »

Mais Claude Péricaud invoque également une certaine méfiance vis-à-vis des prestataires: « Leur fiabilité n’est pas toujours au rendez-vous. »

Audrey Dosset, titulaire à Achiet-le-Grand (Pas-de-Calais), a quant à elle opté pour une solution mixte : tout en conservant la gestion des rejets en interne, elle travaille avec un concentrateur qui lui assure une avance de trésorerie. « Nous sommes payés dès la télétransmission, et nous disposons ensuite de quatre mois pour gérer les dossiers litigieux signalés par notre prestataire, avant d’être débités », détaille-t-elle.

Le coût, établi au nombre de factures télétransmises, s’élevait à 7 700 € l’an passé. « Mais si nous devions tout faire nous-mêmes, il nous faudrait une secrétaire à temps plein », estime la pharmacienne.

Le traitement des rejets est assuré par une préparatrice qui y consacre 3 heures hebdomadaires.

« Aujourd’hui, elle s’en occupe à ses moments perdus, mais, au vu des retards accumulés, nous réfléchissons à l’attribution d’un créneau fixe », conclut Audrey Dosset.