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Bagues à part !

Publié le 15 novembre 2008
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Exercer en couple est chose courante. S’associer à un autre couple l’est beaucoup moins. C’est ce qu’ont pourtant fait, avec succès, les époux Bagarre et Jauzion à La Canourgue, en Lozère. Et ce grâce à une très grande flexibilité qui se prête aussi bien aux contraintes professionnelles que privées.

Tout le monde nous a demandés si l’installation en Lozère n’était pas une blague. » Catherine et Gilles Bagarre et leurs amis associés Catherine et Michel Jauzion rient encore de la surprise qu’ils ont créée en annonçant le lieu où ils comptaient s’installer. C’était en 2001. Ils venaient d’acheter à La Canourgue, un village de 1 500 habitants situé dans la vallée du Lot et près des gorges du Tarn. L’ouverture s’est faite un dimanche matin… Un 1er avril exactement. Non, ce n’était pas une blague !

Tous les quatre ont obtenu leur diplôme à Montpellier dans les années 90 avant d’être assistants dans différentes officines du Midi. Les Bagarre auraient pu rester à Aups, dans le Var, et les Jauzion à Châteaurenard dans les Bouches-du-Rhône. « Nous cherchions par agence, chacun de notre côté. Un copain nous a vanté une officine en Lozère. Nous y sommes allés tous les quatre, et nous avons tout de suite vu qu’il y avait un potentiel », se rappelle Catherine Jauzion. L’équipe officinale précédente (cinq pharmaciens dont trois de la même famille, parents et fils) ne vendait que du médicament.

Le chiffre d’affaires a augmenté de 60 % en sept ans

« L’outil était nickel, par contre le stock était vide. Cela paraissait incroyable ! », s’étonne encore Catherine Bagarre, la plus réticente du groupe à cet « exil » lozérien. Le chiffre d’affaires de l’officine correspondait aux capacités financières des quatre jeunes titulaires, tous associés à 25 %. Un chiffre d’affaires important (1,5 million d’euros) qu’ils ont depuis réussi à augmenter de 60 %. « Ce sont les premières années où nous avons progressé le plus. Maintenant, nous subissons comme toutes les pharmacies… »

Les deux couples, qui n’avaient jamais travaillé ensemble avant La Canourgue, se sont réparti les tâches par affinité : schématiquement, les hommes à l’administration et les femmes aux commandes de la parapharmacie et au comptoir. « Arriver à quatre nous a impulsé une certaine force, et cela dilue les responsabilités puisque nous sommes chacun assez autonomes », expliquent les titulaires.

Les hommes reconnaissent : « Si nous n’avions pas eu nos épouses nous n’aurions peut-être pas progressé comme ça, car ce sont elles qui ont fait entrer à l’officine un tas de nouvelles activités. » Et en particulier la parapharmacie, avec par exemple de la dermocosmétique, trois gammes de maquillage… L’officine a ainsi été la première, en Lozère, à implanter les gammes Lierac, Nuxe, Caudalie, Les Fleurs de Bach, et elle est la seule à proposer les produits L’Occitane, affirment-ils. « A La Canourgue, il n’y a pas tant de commerces que ça, les gens sont conscients du service rendu, note Catherine Bagarre. Des clientes viennent même de Mende pour ça ! »

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L’organisation des deux couples a très vite permis de tenir les amplitudes horaires (8 h 30 à 19 h, sauf entre 12 h 30 et 14 h 30). Ils sont à pied d’oeuvre le dimanche matin, aussi. « Les gens vont à la messe et il y a beaucoup de monde dans le village ce jour-là. » Seuls pharmaciens du canton – le premier confrère est à une demi-heure -, les quatre ont pu s’organiser pour rendre plus supportables les gardes qui débutent à peine la grille tombée. D’autant que l’officine sert d’autres secteurs dépourvus, parfois en zone frontalière comme l’Aveyron, à 15 minutes de là. « Il faut donc être présent tous les soirs, tous les jours, toutes les semaines de l’année. Pendant quatre ans, nous avons assuré vingt-six semaines chacun, soit une semaine sur deux », précise Catherine Bagarre. En couple, c’était plus facile à gérer. Michel Jauzion reconnaît de son côté aussi un service plutôt « lourd » : « Le fait d’avoir été deux couples associés nous a facilité la tâche. Sinon nous n’aurions jamais pu partir. Avoir pu tenir ce challenge a concouru à l’image de marque de notre pharmacie à l’échelle du canton. » Depuis trois ans, les titulaires ont allégé la contrainte en recrutant une pharmacienne assistante qui assure un week-end de garde sur trois.

« Et pour les formations, c’est soit les filles, soit les garçons »

Dans une région où les personnes isolées sont habituées à être livrées en produits alimentaires – solidarité lozérienne oblige ! -, la pharmacie de la Canourgue s’est organisée pour faire de même avec les médicaments et le matériel médical. D’autant que les pharmaciens cogèrent une coopérative de matériel médical, Médika Lozère. « Nous avons acquis une camionnette et cela nous permet de connaître un peu plus la clientèle. C’est ça la ruralité ! » Et la ruralité, c’est la solidarité ! Au point que, lorsque la pharmacie a été inondée, tout le monde est venu mettre la main à la pâte pour aider à monter l’essentiel au premier étage. Car, pendant ce temps, les deux hommes étaient en formation près de Metz pour un agrément « fauteuils roulants ».

En matière de formation, leur organisation leur permet de s’autoriser des échappées de deux jours : formation en management, maladies cardiovasculaires, vente et conseil associé, etc. « C’est important car nous sommes loin de tout, la grande ville la plus proche étant Montpellier ou Clermont-Ferrand. Mais nous partons rarement en couple, parce qu’il y a les enfants. C’est soit les filles, soit les garçons. »

Vacances scolaires à tour de rôle

Autre intérêt pour les deux familles : avoir quotidiennement un membre de chaque couple disponible pour l’entrée ou la sortie de l’école. « En fonction de nos emplois du temps personnels on peut se remplacer, et ce ne sont pas toujours les mêmes qui partent à 16 h 30. Cela offre une certaine souplesse. » Chaque couple a en tout cas la possibilité de partir en vacances en famille, à tour de rôle. Cinq semaines chacun, dont deux semaines l’été : « A l’officine il y a toujours des « patrons », cela rassure les gens et l’on n’a pas besoin de remplaçant », explique Michel Jauzion. Lui-même est président du Syndicat de Lozère. « On ne serait pas quatre, il aurait été plus difficile de gérer le syndicat et Médika Lozère. »

Sept ans après, les deux couples ne regrettent donc rien. L’implication dans la vie locale a elle aussi été facilitée par le partage des tâches : activités sportives ou de parents d’élèves, réunions de commerçants, implication dans un tournoi de foot ou dans le festival de roman policier La Canourgue noire, mairie (même s’ils s’étaient promis qu’ils n’iraient pas dans des « trucs politiques pour éviter tout conflit », mais ils y ont été invités, les deux femmes surtout, pour la parité…).

« Si nous n’étions pas là, nous serions peut-être dans une pharmacie Carrefour et nous n’aurions probablement pas réussi de la même façon. L’activité rurale est plus intéressante et plus diversifiée, et une confiance s’est instaurée avec la population. Même les enfants préfèrent rester ici », résume Catherine Bagarre.

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Avantages

– Cette organisation en couples permet une très bonne flexibilité du temps.

– Elle permet aussi de libérer du temps à tour de rôle pour la formation, les activités pharmaceutiques hors officine (matériel médical…) mais aussi extra-officinales (implication dans la vie locale).

– Le montage financier en SNC et le même apport financier mettent tout le monde sur un pied d’égalité, notamment en cas de départ.

– Le partage des responsabilités est total.

– Cela a favorisé la synergie de l’équipe.

– Il y a une meilleure ambiance du fait que les deux couples se connaissaient avant.

Inconvénients

– La difficulté de prendre une décision à quatre sans que personne ne soit lésé (travaux, choix pour l’officine…).

– Le partage des vacances, qui doit être égalitaire (mais les vacances scolaires peuvent être prises à tour de rôle !).

– Il y a parfois une difficulté à faire passer l’information de façon à ce que chacun s’y retrouve.

– Difficulté pour le personnel d’avoir affaire à quatre patrons qui ne donnent pas systématiquement la même réponse.

Conseils

– Avoir le même objectif au départ sur ce que l’on souhaite faire, de même qu’au niveau financier.

– Faire appel à un avocat ou à un conseiller pour le montage, le règlement interne, les statuts.

– Ne pas être trop cloisonné dans des domaines d’intervention différents de façon à pouvoir prendre une décision même si l’un des autres titulaires est absent.

– Faire confiance à l’autre et laisser une autonomie.

– Etre à peu près d’accord sur tout, sans être obligé de tout savoir dans le détail.

– Il est absolument nécessaire de dialoguer.