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Actionnez les bons curseurs
Dans un contexte économique contraint, bien acheter devient primordial. Les stratégies d’achat auprès des groupements et grossistes tiennent compte désormais de l’entrée en lice des centrales d’achat pharmaceutiques et des sociétés de regroupement à l’achat. La chasse à la remise n’est pas aujourd’hui l’unique objectif des officinaux. Panorama d’un modèle en pleine refonte.
Face à un marché pharmaceutique en récession, les officines sont contraintes à des efforts de gestion et d’adaptation. En particulier, la réduction des délais de paiement et les tensions sur la trésorerie les obligent à être plus attentives au choix de leurs circuits d’achat pour optimiser marges et remises. Mieux acheter exige aussi une meilleure acuité depuis l’autorisation de la vente en ligne de médicaments, qui intensifie l’affrontement sur les prix. Pas assez, en tout cas, selon l’Autorité de la concurrence. Dans son avis du 19 décembre 2013, elle estime que le prix de certains médicaments (génériques, médicaments remboursables et OTC) est trop élevé et qu’un renforcement du contre-pouvoir d’achat des grossistes-répartiteurs, des sociétés de regroupement à l’achat (SRA) et des centrales d’achat pharmaceutiques (CAP) favoriseraient l’obtention de remises plus importantes. Lesquelles pourraient être rétrocédées, en tout ou partie, par les pharmaciens aux consommateurs, toujours selon l’Autorité de la concurrence. Elle pointe en particulier les difficultés rencontrées par les grossistes pour distribuer à des prix compétitifs les produits d’automédication et l’incapacité des SRA et des CAP à prendre leur essor…
Aussi, dans l’hypothèse d’un échec de ces structures, l’autorité administrative suggère de légaliser les rétrocessions entre officines. Une piste également défendue par la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Notre demande est permanente auprès des autorités de santé pour permettre aux pharmaciens d’établir des factures de rétrocession. Ceci pour un montant limité de chiffre d’affaires correspondant à 4 à 5 % de ses achats en produits OTC », indique son vice-président, Philippe Besset.
Hubert Olivier réagit à double titre à l’avis de l’Autorité de la concurrence. Tout d’abord, comme président de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP)*, il rappelle que les répartiteurs sont d’excellents partenaires des pharmaciens pour leurs achats. « Cela ne veut pas dire que nous proposons systématiquement l’offre de prix la plus basse, mais une alternative plus souple que le direct, construite sur le meilleur ratio entre la quantité et le prix. » Selon lui, il ne faut pas opposer le direct au grossiste. « Les deux sont complémentaires. Les laboratoires sont de plus en plus nombreux à prendre conscience des coûts du direct », souligne d’ailleurs Hubert Olivier. La CSRP est convaincue que les collaborations entre laboratoires et répartiteurs peuvent être renforcées pour proposer aux officines des conditions d’achats plus attractives. En tant que président de l’OCP, Hubert Olivier marque son désaccord avec l’Autorité de la concurrence concernant les performances des CAP. « La nôtre, Dépotrade, vient de déménager sur un nouveau site près d’Orléans. Elle a doublé la surface de ses locaux pour faire face à son succès et à l’augmentation des volumes d’achats groupés. Près de 10 millions d’unités ont été achetées via cette centrale en 2013, soit une progression de 20 %. Plus de 3 000 pharmacies clientes ont accès à 90 % des fortes rotations en OTC et parapharmacie », précise le président de l’OCP. La CAP d’Alliance Healthcare, Directlog a également le vent en poupe. « Nous avons enregistré une évolution supérieure à 30 % en 2013 et celle de 2014 sera également de 30 %. Cela démontre que notre plateforme, en proposant des offres commerciales en OTC proches, voire parfois identiques, à celles du direct, correspond à un besoin des pharmaciens », assure Bert Ruitenbeek, directeur des opérations et de la supply chain d’Alliance Healthcare France.
La prime à l’implication personnelle
De son côté, Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), s’étonne toujours que les officinaux obtiennent plus de remises seuls et en direct que groupés sur des plateformes. Les laboratoires ne sont pas surpris par ce paradoxe, expliquant qu’il n’y a pas que les volumes qui conditionnent les remises et que les efforts consentis par le pharmacien pour favoriser la vente de leurs produits priment sur la massification des achats groupés. Une position industrielle que comprend Philippe Besset : « Le pharmacien est récompensé pour son choix de référencement et son implication personnelle à promouvoir et vendre une marque plutôt qu’une autre, indépendamment de ses capacités d’achat. » Au niveau d’une plateforme d’achat, l’engagement collectif n’est pas aussi fort, pour une raison très simple : « L’enjeu de la performance sur nos produits se situe majoritairement au niveau du point de vente et de l’équipe officinale. Ainsi, mettre uniquement des stocks sur des plateformes ne nous intéresse pas. Nous recherchons des partenaires qui soient capables de faire référencer nos gammes dans les officines, de créer ensuite une dynamique de revente (sell-out) et, par conséquent, de fédérer les pharmaciens sur la vente de nos produits », détaille Gilles Unglik, directeur commercial GSK Santé grand public, ajoutant que son laboratoire a été l’un des tout premiers à être présents sur des plateformes.
Quoi qu’en dise l’Autorité de la concurrence, les CAP de grossistes et de groupements mais aussi les SRA structurées rencontrent un succès indéniable et accueillent sur leurs plateformes pratiquement tous les grands laboratoires pharmaceutiques OTC, à l’exception de quelques irréductibles (Pierre Fabre, Boiron…) « GSK et Novartis sont les plus engagés dans cette voie », remarque Fabrice Guigonnat, directeur du réseau Altapharm, une SRA qui confie à son dépositaire D2P Pharma la réception, la préparation et l’expédition de ses commandes auprès des laboratoires. D’autres montrent moins d’engouement. « La structure du marché ne se prête pas à un changement rapide, car il y a énormément de laboratoires avec des stratégies très différentes », explique Yves Damblemont, directeur commercial de Merck Médication Familiale. Cet acteur important du selfcare en France voit un intérêt à travailler avec des protagonistes structurés mais avance prudemment sur ce terrain. « Notre laboratoire se montre sélectif et prudent car il n’est pas question de perdre de la marge sur la vente de nos produits sans contrepartie, poursuit-il. Nous contractualisons avec des plateformes qui sont capables de prendre des engagements en termes de distribution numérique, de visibilité dans les officines de leurs adhérents, de promotion, de conseil. » Sans ces démarches de sell-in et de sell-out au niveau des officines, les laboratoires estiment que la dynamique n’est pas au rendez-vous. « Dans le cas de plateformes qui n’ont pas d’actions au niveau du point de vente et qui n’ont qu’une fonction d’achats, le circuit des ventes directes s’avère bien plus efficace », constate Gilles Unglik. « Il n’y a pas de volonté délibérée de s’opposer au développement des structures d’achats groupés, qui va dans le sens de l’histoire. Mais nous attendons d’elles implication et discipline », renchérit Yves Damblemont. Ce sont là, en effet, les qualités requises pour pouvoir prétendre aux conditions du direct. Mais force est de constater qu’elles sont rarement au rendez-vous. « Les pharmaciens devraient donc mieux respecter les référencements décidés en partenariat avec le groupement, la CAP ou la SRA. Leur implication pour revendre nos produits d’OTC et de parapharmacie devrait être aussi forte que celle démontrée sur les génériques, incite Gilles Unglik. De notre côté, nous pourrons d’autant plus nous engager à apporter toute notre expertise sur les produits et les moyens nécessaires pour mieux les conseiller aux patients-consommateurs. »
Le sell-out en ordre de marche
Répartiteurs, groupements et dirigeants de SRA ont pris la mesure de leurs attentes et s’efforcent d’y répondre au mieux. « Aujourd’hui, une plateforme d’achats ne peut plus se contenter d’apporter sa logistique, d’être sur le seul sell-in et le transfert de marges aux pharmaciens. Elle doit aussi donner de la visibilité aux laboratoires sur le sell-out », expose Bert Ruitenbeek. Ainsi, (née l’alliance entre Distriphar et Pharmadep) Alloga France regroupe les activités dépositaires d’Alloga et celles de Skills in healthcare, qui incorporent des prestations de vente, télémarketing, marketing direct, formation et merchandising. Le groupe Alliance Healthcare est aujourd’hui en mesure de proposer une offre à la carte avec sell-in (Directlog) et sell-out (Skills in healthcare).
Adossée à la coopérative Astera, La Centrale des pharmaciens s’inscrit également dans une logique de partenariat et de transparence avec les laboratoires référencés. « Nous leur transmettons la traçabilité de leurs sorties et déployons une offre de services pour les accompagner dans le sell out : supports de communication et promotionnels, opérations de fax et mailing, de télévente via la structure d’appels intégrée, distribution de PLV et de supports de communication destinés aux pharmaciens », précise Christophe Sceau, directeur général. De même, explique Fabrice Guigonnat, « la condition de succès pour qu’une SRA fonctionne, c’est-à-dire pour que des laboratoires acceptent d’être présents sur ce type de structure, c’est de réaliser des choix de produits assumés, soit un ou deux partenaires par segment. Et aussi de communiquer en toute transparence les ventes au partenaire et, surtout, d’influer sur les adhérents pour permettre au laboratoire de gagner des parts de marché ». Cette problématique est également au cœur des préoccupations des groupements. « Les laboratoires et les plateformes de groupement doivent travailler ensemble sur des objectifs de croissance en termes de distribution numérique et de panier moyen, et créer une confiance mutuelle dans la transparence des résultats », considère Laurence Bouton, directrice générale d’Alphega Pharmacie. Dans ce concept d’enseigne de pharmacie, sell-in et sell-out sont deux composantes indissociables qui font partie d’une offre globalisée. Alphega Pharmacie a mené une opération de co-branding avec BMS-UPSA sur un sticker vitrine. « Les ventes du produit mis en avant ont été multipliées par deux dans les pharmacies du réseau », rapporte-t-elle.
Centractiv, la CAP de Pharmactiv, s’attache également à apporter plus de visibilité à ses partenaires. Elle transmet chaque jour aux laboratoires référencés sur la plateforme les statistiques de ventes de leurs produits dans les officines affiliées. « Notre CAP fonctionne plus comme une centrale de ventes chargée d’assurer une cohérence entre l’offre commerciale et les différentes actions menées par nos conseillers pour augmenter la lisibilité des marques sélectionnées par la centrale sur le point de vente et faire croître leur part de marché, explique Serge Carrier, directeur général de Pharmactiv. La mise en place d’outils de merchandising, nos plans d’animation mensuels, nos actions de formation des équipes aux techniques de vente viennent en complément des formations sur les produits réalisées par les laboratoires. » La discipline insufflée au niveau d’un groupement est un facteur déterminant de succès de la CAP et le gage de meilleures remises pour le pharmacien qui s’implique. « Les membres du réseau des Pharmaciens associés sont tous adhérents de la CAP, qui met en place des incitations sur des opérations d’achats collectives, leur demande de s’engager sur un objectif de chiffre d’affaires mensuel de 2 000 euros, et pour les plus performants d’entre eux sur un objectif de 48 000 euros par an, indique Christophe Sceau. En parallèle, nous proposons des objectifs, laboratoire par laboratoire, avec à chaque fois des “plus” en termes de conditions commerciales quand les objectifs sont réalisés, comme des RFA (remises de fin d’année) et un accès au club privilège. De cette façon, nous prenons en compte la diversité des demandes des pharmaciens. » La formule fait des émules puisque la centrale étend ce type d’accords à d’autres groupements, comme Giropharm ou Unipharm Pays de Loire. Pour sa part, la CAP de Phoenix Pharma travaille régulièrement aujourd’hui avec trois groupements de pharmaciens et un groupement d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Elle a d’ailleurs enregistré une croissance de 20 % de son CA entre 2012 et 2013.
Une harmonie nécessaireentre laboratoires et pharmaciens
Par nécessité, les rapports entre laboratoires et pharmaciens gagnent en maturité. Les premiers aspirent à une évolution des relations pour une meilleure prise en compte de leur problématique interne. « Les laboratoires sont confrontés à un changement de stratégie commerciale qui se déplace du sell-in vers le sell-out et à un nouveau mode de rémunération de leur force de vente, expose Yves Damblemont. Ainsi, pour motiver notre réseau de commerciaux sur le sell-in, nous agrégeons le chiffre d’affaires réalisé en direct et celui réalisé de manière indirecte sur les plateformes. Nous suivons tous les mois les statistiques fournies sur l’évolution de nos parts de marché au niveau d’une unité géographique d’analyse. » L’enjeu de cette mutation est de taille dans un contexte économique de plus en plus contraint. Les laboratoires pourraient garder la maîtrise de leurs flux de vente sans avoir à mettre la pression sur les achats directs tandis que les pharmaciens, en commandant sur les plateformes, économiseraient du temps et gagneraient en trésorerie. Selon Serge Carrier, la stratégie d’achat du pharmacien doit prendre en compte un élément essentiel : le temps passé aux achats. « Il n’y a plus aujourd’hui de valeur ajoutée dans la prise de commandes. Il est plus rentable de libérer ce temps pour s’occuper de ses clients que pour chercher à gagner 2 ou 3 % de remise supplémentaire sur des prix d’achat unitaire à 1 euro », remarque-t-il.
Les pharmaciens sont-ils prêts à évoluer vers un nouveau modèle de relations commerciales calqué sur celui de la grande distribution, dans lequel les groupements d’achats nationaux ou régionaux ont pris la main sur la négociation des achats pour l’ensemble des magasins d’une enseigne ? Yves Damblemont plaide pour une démarche volontaire des officines, plutôt qu’un « changement sous la contrainte et à marche forcée en cas d’ouverture du monopole ». Pour sa part, Thomas Brunet, titulaire d’officine et fondateur de la SRA Pyxis Pharma, souhaite que les efforts soient partagés dans un intérêt commun. « Les offres des laboratoires ont besoin d’être centralisées sur les plateformes de groupements, de répartiteurs, de CAP ou de SRA de manière à pouvoir réguler les prix entre les officines, à permettre à des pharmacies qui ne sont plus visitées par les forces de vente des laboratoires d’avoir des prix équivalents à celles qui le sont toujours. Sinon le marché de l’OTC finira chez Leclerc ! » Thomas Brunet demande aussi aux industriels d’être à l’écoute des évolutions du métier. « La loi HPST nous fait devenir davantage des libéraux et moins des commerçants. Demain, si nous voulons être de plus en plus présents sur les nouvelles missions et les entretiens pharmaceutiques, il faut dégager du temps en déléguant les achats à une structure extérieure compétente. » Face à une crise globale et une évolution professionnelle indispensable, la force de demain sera synonyme de groupe et de discipline.
* Son mandat s’est achevé le 11 juin, après 2 années de presidence. Joaquim Fausto Freira, president d’Alliance Healthcare France lui succède.
Une SRA en procès
Thomas Brunet, titulaire à l’Ile-Bouchard (Indre-et-Loire), a été consulté par l’Autorité de la concurrence lors de son travail d’enquête sur la concurrence dans le secteur de la distribution du médicament. Ce pharmacien a fait part des déboires judiciaires rencontrés par sa SRA notamment avec La Cooper. « En ne respectant pas l’esprit du décret de 2009 sur les CAP et SRA, les laboratoires ne nous laissent pas le choix. Pour obtenir mieux que la remise grossiste qu’ils nous proposent, nous sommes obligés de recourir à la rétrocession, qui est interdite », déplore-t-il. Les sanctions, comprenant des amendes importantes et une peine d’emprisonnement, sont dissuasives, et nombre de SRA ont cessé leur activité. Thomas Brunet, lui, n’a pas rendu les armes. La décision du jugement ayant été renvoyée en appel, il n’y a pas pour l’instant d’issue à l’horizon. « Il faut soit rédiger un nouveau décret qui aille dans le bon sens, soit légaliser les rétrocessions ».
Acheter des médicaments d’importation parallèle : pensez-y !
L’Autorité de la concurrence voit dans les importations parallèles le moyen pour les officines d’obtenir de meilleurs prix et un facteur d’animation de la concurrence… aux effets limités pour le moment.
En effet, le potentiel d’achat du pharmacien ne concerne qu’une cinquantaine de médicaments d’importation parallèle. Même si ce marché est restreint, les pharmaciens auraient tort de s’en priver.
« Ces médicaments font faire des économies à l’Assurance-maladie, leur prix de remboursement étant inférieur de 5 % au médicament équivalent. Ils sont vendus à nos 5 000 clients pharmaciens au PFHT. La remise équivaut donc à la marge du grossiste », informe Guillaume Perruchot, président de PharmaLab, filiale du groupe Welcoop spécialisée dans ce secteur d’activités.
Et cerise sur le gâteau pour les pharmaciens sociétaires de Welcoop : un dividende coopératif à hauteur de 5 % du chiffre d’affaires facturé leur est distribué. « Les laboratoires Mediwin disposent de 56 produits de distribution européenne et de 37 dispositifs médicaux européens avec des remises de 5 à 10 % supérieures à celles octroyées sur les produits français, indique Fabrice Guigonnat, directeur d’Altapharm. Près de 3 000 pharmacies en France commandent ces produits. »
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