PDA : le pari de l’automate
Le robot permettant de réaliser la préparation des doses à administrer (PDA) séduit de plus en plus de pharmaciens. Mais attention, sur ce marché d’ores et déjà très concurrentiel, rien ne doit être laissé au hasard !
Dans un contexte économique qui ne cesse de se dégrader, de plus en plus de pharmaciens travaillant avec des EHPAD s’interrogent pour savoir s’il faut investir ou pas dans la PDA. Cette réflexion, Alain Levy, cotitulaire de la Pharmacie Gambetta à Nice, l’a mené il y a une dizaine d’années. « A cette époque, j’étais arrivé à la conclusion que la pharmacie avait du souci à se faire sur le plan économique et qu’il fallait impérativement trouver de nouveaux débouchés pour continuer à se développer. C’est ce qui m’a incité à investir dans la PDA automatisée pour servir les trois EHPAD avec qui je travaillais déjà. » En 2004, il devient ainsi le premier pharmacien à s’équiper avec un automate de production. Dix ans plus tard, il ne regrette pas ce choix. La PDA représente aujourd’hui 20 % de son chiffre d’affaires et lui a aussi permis de gagner quelques points de marge. « Mais attention, prévient Alain Levy, ces résultats sont le fruit d’un travail de longue haleine, qui nous a conduit à mettre en place une organisation et des procédures très strictes en matière de traçabilité, d’hygiène et de sécurité. J’ai vu passer dans mon officine nombre de pharmaciens qui se sont équipés avec un automate et qui ont oublié tout cela. Ils se sont très vite rendu compte qu’il n’était pas possible d’être en même temps au comptoir et de gérer les modifications de traitement que leur demandait leur EHPAD. Et ils ont fini par rendre leur machine… »
Quand investir ?
Les automates ont construit leur succès autour de deux arguments de poids : les gains de productivité et un taux d’erreur de 0,3 %, alors que la moyenne des erreurs de dispensation tournerait autour de 8 % en traitement manuel. Mais quand on connaît le prix de ces machines, qui oscille entre 60 000 et 180 000 €, et des coûts annexes liés aux consommables, à la maintenance et au temps passé, mieux vaut ne pas se tromper. Même si la plupart des pharmaciens optent pour la location avec option d’achat afin de lisser l’investissement dans le temps. « En schématisant, je dirais qu’une pharmacie qui sert moins de 60 lits n’a aucun intérêt purement économique à s’automatiser, sauf si elle souhaite miser sur la qualité ou développer cette activité auprès d’autres EHPAD, reconnaît Jean-Baptiste Guillot, directeur commercial d’Euraf, la société qui distribue en France les robots HD Medi. A partir de 60 lits, un automate d’entrée de gamme commence à se justifier économiquement. »
Alain Levy recommande, lui, de prendre le problème à l’envers. « Si l’on considère qu’une officine facture en moyenne aux maisons de retraite environ 120 € par mois et par résident, et que la marge est d’environ 25 %, cela fait pour une centaine de résidents 2 500 € de marge par mois. C’est ce chiffre qu’il faut comparer avec le montant du loyer du robot pour bien dimensionner la machine. »
Titulaire de la Pharmacie du Candéou à Peymeinade (Alpes-Maritimes) et pharmacien référent PDA au sein du groupement Galien Développement, Arnaud Ponchau recommande beaucoup de prudence. « Je connais un pharmacien, dans l’ouest de la France, qui a investi dans une machine pour servir 100 lits dans un EHPAD. Au bout d’un an et demi, il perdait encore près de 1 000 € tous les mois… Pour se faire une idée précise sur la productivité d’une machine et sa rentabilité, il est conseillé d’appeler cinq ou six pharmaciens qui l’utilisent déjà. »
Quelle organisation ?
Une fois le modèle choisi entre les deux fabricants coréens qui trustent ce marché, HD Medi et Cretem, distribués respectivement en France par Euraf et Robotik Technology, il faut déployer les moyens humains et les process qui vont permettre d’exercer cette activité dans de bonnes conditions. Et c’est là que les vraies difficultés commencent pour Arnaud Ponchau. « Le robot n’est qu’une étape infime dans la PDA, et c’est en général la plus simple. Déconditionner un médicament, le mettre dans un sachet et imprimer un numéro de lot sur une étiquette n’a rien de compliqué. C’est beaucoup plus difficile de gérer le renouvellement des traitements, de contrôler les ordonnances afin d’éviter d’éventuelles interactions médicamenteuses, des prescriptions qui se chevauchent, des surdosages… » Pour servir des PDA à un nombre conséquent d’EHPAD, Alain Levy emploie quatre personnes spécifiquement affectées à cette tâche. « C’est en général moi qui pratique l’analyse pharmaceutique des prescriptions que nous recevons via un logiciel qui transforme les fax en mails. Une préparatrice est chargée de la saisie des ordonnances dans le logiciel de planification de l’automate. J’ai également un préparateur qui s’occupe du déconditionnement des médicaments et un autre qui gère la production et les contrôles. » Une production et des livraisons qui sont basées sur un rythme hebdomadaire pour les patients chroniques, les traitements aigus et les urgences étant, eux, produits et livrés au quotidien en fonction des besoins.
Quels contrôles ?
Pour assurer une qualité de prestation maximale, des contrôles doivent être effectués à toutes les étapes de la procédure, comme le confirme Arnaud Ponchau. « Lorsque nous récupérons les ordonnances par fax, je joue mon rôle de pharmacien dispensateur et référent en vérifiant les éventuelles interactions médicamenteuses et les plans de posologies pour chaque patient. Et après la production, nous vérifions de manière quantitative et qualitative le nombre de médicaments dans chaque sachet. » Pour assurer la traçabilité, Arnaud Ponchau s’appuie sur les fonctionnalités offertes par son robot. « Toutes nos cassettes et plateaux sont équipés d’une puce électronique afin d’identifier les médicaments, en sachant que chaque cassette est réservée à un seul médicament et à un seul numéro de lot. Lors du remplissage du robot, les numéros de lot et les dates de péremption sont aussi systématiquement renseignés dans le logiciel de pilotage de l’automate. » Une attention particulière est enfin portée à la sécurité sanitaire. « Dans notre salle blanche, le port du masque et des gants est obligatoire, souligne Arnaud Ponchau. Nous respectons aussi des procédures strictes et utilisons du matériel de nettoyage hospitalier pour démonter et nettoyer chaque semaine les pièces en contact avec les médicaments. ». Mais toutes ces procédures ne serviraient à rien si, en bout de chaîne, le personnel des EHPAD ne respecte pas un certain nombre de règles. « En ce qui me concerne, explique Alain Levy, je visite chaque EHPAD tous les deux mois afin de faire le point avec les médecins et les infirmières. Sinon, on a de gros problèmes pour obtenir les ordonnances en temps et en heure, et on ne peut pas offrir la qualité de service que le prescripteur est en droit d’attendre. »
Quelle rentabilité ?
Vous l’aurez compris, la PDA est tout sauf un long fleuve tranquille. « Les journées sont longues et les nuits très courtes, confirme Arnaud Ponchau. Mais le jeu en vaut la chandelle, car même si la PDA n’est pour l’instant pas rémunérée, tant que l’on ne diminuera pas la marge du pharmacien sur les médicaments le modèle économique en vigueur basé uniquement sur la vente de médicaments peut être rentable si les procédures de travail mises en place au sein de l’officine sont réfléchies et abouties. » Une rentabilité qui devrait encore être renforcée lorsque les pharmaciens seront rémunérés pour cette prestation (voir encadré p. 31) et qu’ils pourront investir la PDA au domicile des patients. « Les EHPAD ne représentent que 500 000 lits alors que le marché du maintien à domicile, c’est 5 millions de lits, rappelle Alain Levy. Je suis persuadé que la PDA constitue l’une des réponses, avec les entretiens pharmaceutiques, pour améliorer l’observance thérapeutique et diminuer le risque iatrogène. Et lorsque nous parviendrons à démontrer que, grâce à la PDA, nous contribuons à diminuer le nombre d’hospitalisations induites, cela permettra de dégager une rémunération pour les pharmaciens. » Cette intuition a d’ailleurs conduit Alain Levy à tester la PDA à domicile auprès de patients de son officine. « Et cela se passe très bien. Le plus compliqué sera de faire évoluer les mentalités. Le jour où un médecin indiquera la mention PDA sur son ordonnance lorsqu’il identifiera un risque d’observance chez un patient, nous aurons fait un bond de géant ! », conclut Alain Levy.
mise au pointQue dit la réglementation ?
Le cadre légal et réglementaire qui entoure la PDA dans les officines se révèle pour le moins sommaire et source d’ambiguïté sur le plan juridique, comme le confirme Eric Thiébaut, associé de la société d’avocats Jurispharma : « La PDA n’est en effet évoquée que dans l’article R. 4235-48 du Code de la santé publique, mais comme une des étapes éventuelles de l’acte de dispensation. » Du côté des tribunaux, seule la cour d’appel de Rouen a condamné, le 29 mai 200,8 un pharmacien qui pratiquait la PDA en arguant du fait qu’il s’agissait d’un exercice non autorisé d’activités pharmaceutiques de fabrication. « Mais cette décision est restée à ce jour isolée puisqu’elle n’a pas été confirmée par d’autres cours d’appel ou par la Cour de cassation », relativise Eric Thiébaut. C’est donc sur la base de ce fameux article R. 4235-48, qui laisse place à bon nombre d’interprétations, que s’est construite la jurisprudence de l’ordre. Une jurisprudence qui recommande le respect de six grands principes :
1. L’activité de déconditionnement et reconditionnement doit être effectuée par une personne habilitée et respecter le principe de libre choix du pharmacien par le patient.
2. Cette activité ne peut être ni systématique ni généralisée. Elle doit intervenir uniquement quand elle est rendue nécessaire par l’état du patient concerné, avec son consentement, et à la demande du médecin de l’établissement.
3. La disponibilité du pharmacien doit être en rapport avec le nombre de résidents concernés.
4. La mise sous pilulier doit être exercée dans des conditions de qualité optimale, en évitant notamment tout risque d’altération galénique.
5. La traçabilité des produits doit être assurée.
6. Il faut transmettre la notice des médicaments en même temps que les piluliers.
« Tout pharmacien qui respecte ces six grands principes peut donc envisager de se lancer dans la PDA dans les meilleures conditions », assure Eric Thiébaut, en sachant que les choses pourraient bientôt évoluer puisque, le 22 janvier 2013, la ministre des Affaires sociales et de la Santé a annoncé qu’un décret préciserait bientôt les modalités de la PDA – et que deux arrêtés fixeraient la convention type entre EHPAD et pharmaciens d’officine – et ses bonnes pratiques. Voilà peut-être la fin d’un vieux feuilleton…
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