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Le pharmacien aussi responsable ?

Publié le 30 mai 2003
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La loi du 19 mai 1998 considère que le distributeur d’un produit jugé défectueux peut être tenu responsable au même titre que son fabricant. Pharmaciens ou répartiteurs pourraient donc être tenus responsables en cas d’effets indésirables. Y compris pour défaut d’information.

La France ayant mal transposé la directive européenne qui ne prévoit que la responsabilité du fabricant, la Cour de justice européenne l’a condamnée à revoir sa copie(1). Le pharmacien peut-il pour autant dormir sur ses deux oreilles ? « Rechercher la responsabilité civile du pharmacien est un dernier recours, sauf à arguer de son obligation d’information vis-à-vis du patient, précise Gisèle Mor, avocate de patients. On pourrait cependant concevoir une mise en cause sous cet angle dans le cas de génériques ou de produits non prescrits. » En effet, la directive prévoit tout de même une éventuelle mise en cause du distributeur « si le producteur du produit ne peut être identifié » ou, dans le cas de produits importés, « si le produit n’indique pas l’identité de l’importateur […] même si le nom du producteur est indiqué ». Alors quid de génériques ou de compléments alimentaires, par exemple, qui seraient fabriqués en Inde ou en Chine et dont les effets indésirables pousseraient un patient à attaquer ? « Dans certains cas, et sous réserve de la modification de la loi du 19 mai 1998 selon l’arrêt de la Cour de justice européenne, le répartiteur et l’importateur resteraient en première ligne, rassure Alain Gorny, avocat spécialiste de la défense des industriels. Cependant, la mise en cause du pharmacien resterait une option pour le patient. » (2)

Il peut aussi être cité le cas de produits périmés. « Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il y en a beaucoup en pharmacie, remarque Pierre Leroux, directeur de la Mutuelle d’assurance des pharmaciens. On s’en aperçoit notamment lors de demandes d’indemnisation suite à des dégâts d’eau. » Qu’il y ait des dommages ou non, la responsabilité de l’officinal peut être ici recherchée. Et s’il y a dommage, il sera mis probablement sur le compte du dépassement de date. Même s’il ne s’agit pas de sa cause directe du dommage, il y aura « de fortes présomptions ».

Autre cas de figure : des dommages consécutifs à la prise d’un produit en automédication. Là, la responsabilité civile du pharmacien pourrait plus facilement être engagée, bien qu’aucune jurisprudence n’existe à ce jour, et même si le fabricant sera sûrement impliqué en premier lieu. « L’avocat du laboratoire pourra demander que l’expert judiciaire entende le pharmacien, précise Alain Gorny. Ne serait-ce que pour se renseigner sur les habitudes du patient en matière d’automédication ou sur un éventuel nomadisme médical. »

L’officinal sera aussi probablement tenu responsable en cas de mise en cause d’un produit qui aurait été vendu après son retrait du marché.

Le cas particulier des maisons de retraite peut aussi être avancé, les établissements demandant de plus en plus souvent au pharmacien de préparer les piluliers de leurs pensionnaires. Or il y a ensuite les risques d’inversions, de non-respect des délais d’administration, etc., que l’officinal ne peut contrôler s’il ne dispense pas lui-même. Pourtant, il existe un gros risque que ce soit sa responsabilité qui soit engagée en cas de problème.

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Enfin, le pharmacien sera systématiquement responsable en cas de préparation magistrale.

Dans tous les cas, médecin et officinal doivent fournir une information à la portée du malade. Le défaut d’information pourra aussi être évoqué dans la recherche d’une responsabilité pour manque de sécurité, et donc défectuosité d’un produit.

Vous êtes sous contrat avec le patient !

Il faut le savoir, un contrat implicite vous lie avec chaque client, au même titre que le médecin d’ailleurs. Pour ce dernier, il s’agira d’un contrat de soins avec obligation de moyens, dont une obligation d’information prévue « depuis quelques années, large dans sa portée, et appréciée de façon assez sévère ». Pour l’officinal, la nature du contrat sera un contrat de vente dans le cadre d’une réglementation qui l’oblige à faire attention à ce qu’il vend… Là encore avec le devoir d’informer de façon compréhensible le patient, notamment s’il paraît fragilisé eu égard à la dispensation. « Pour les avocats de patients, le rôle du pharmacien est de s’inquiéter de savoir s’il délivre un produit qui correspond bien à ce que peut supporter son patient, commente Pierre Leroux. A tous les coups le tribunal dira que cela était de sa responsabilité, étant en bout de chaîne le spécialiste du médicament. Et qu’il s’agit d’une contrepartie de son monopole. » Bien entendu, il y a aussi contrat implicite entre le fabricant et le consommateur final du produit comprenant aussi l’obligation d’information, notamment sur les effet indésirables. Dans les trois cas, le non-respect du contrat peut entraîner une mise en cause par le patient pour obtenir une indemnisation…

(1) N’ayant toujours pas mis en oeuvre l’arrêt de la Cour de justice européenne, la France a été mise en demeure le 28 avril dernier et menacée du paiement d’une astreinte.

(2) Attention, la responsabilité du pharmacien reste engagée en cas d’erreur de délivrance, de délivrance de produits incompatibles entre eux, d’erreur de préparation, etc.

A retenir

Obligation d’assurance des titulaires

Depuis la loi sur les droits des malades (4 mars 2002), il est obligatoire pour les professionnels de santé libéraux d’avoir une assurance en responsabilité civile, sous peine d’une amende.

A noter que cette obligation ne concerne pas formellement les adjoints.

La responsabilité civile du pharmacien adjoint

La Mutuelle d’assurance des pharmaciens a créé un contrat en responsabilité civile spécifique aux adjoints*. Pourtant, selon Pierre Leroux, son directeur général, l’idée selon laquelle la responsabilité civile peut remonter jusqu’à l’adjoint est « une élucubration ne reposant sur rien au plan juridique », la loi sur les droits des malades prévoyant que « la responsabilité civile remonte de toute façon jusqu’au titulaire ». Il s’agit selon lui, entre autres, d’un argument de politique professionnelle pour voir revaloriser la situation des adjoints.

Même position concernant l’éventuelle responsabilité d’un adjoint qui serait un jour actionnaire d’une pharmacie dans le cadre de la loi MURCEF : « C’est aussi une élucubration car, en cas d’indemnisation, on ne recherche pas la responsabilité de la personne morale de l’entreprise mais celle de son titulaire. »

En revanche, au plan pénal, la responsabilité d’un adjoint peut toujours être engagée.

* Qui s’applique si la responsabilité civile du titulaire fait défaut.

Préparations magistrales

Lorsqu’il réalise des préparations, le pharmacien est le fabricant du produit, donc directement responsable en cas de défectuosité. Il pourra toujours tenter de se défendre, dans certains cas, en invoquant le « risque de développement » : en avançant par exemple que les risques de telle préparation (plante chinoise, DHEA, etc.) n’étaient pas encore connus lorsqu’elle a été vendue. « Mais en tant que défenseur d’une victime, j’essaierais donc de l’attaquer sur le plan de la faute, note Gisèle Mor. Ce serait alors au pharmacien de prouver qu’il n’avait aucun moyen de vérifier sa marchandise et que les données n’étaient pas connues. L’avocat pourrait alors dire qu’étant producteur il avait des études préalables à réaliser lui-même… »

« Avec les préparations, il est très difficile au pharmacien de dégager sa responsabilité », confirme Pierre Leroux. Nous avons par exemple actuellement le dossier, sur Nice, d’un pharmacien ayant fabriqué des gélules dans le cadre d’un régime amaigrissant sur prescription. Etant parti à la retraite, il a été condamné une première fois par défaut puis retrouvé, neuf ans après les faits. Il faut dire que la victime sans reins… »

Sa défense reposait sur le respect strict de la prescription et sur le fait que le fournisseur de matière première, qui a pignon sur rue, lui en garantissait la qualité. Position du tribunal : « Si vous n’aviez pas les moyens de contrôler vous-même la pureté du produit comme vous y oblige la loi, il ne fallait pas le fabriquer. » Médecin et pharmacien ont tous deux été condamnés à payer 170 000 Euro(s), versés par leur assureur.