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Pharmaciens référents Un atout pour les seniors

Publié le 21 novembre 2009
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Les pharmaciens du canton de Fribourg gèrent depuis sept ans le circuit du médicament dans les maisons de retraite. Avec tant de succès pour la maîtrise des coûts et le bien-être des résidents que deux autres cantons, le Vaud et le Valais, voudraient maintenant copier le modèle.

Une victoire pour les officinaux fribourgeois. Début 2010, l’« assistance pharmaceutique » sera inscrite dans la loi de réforme de la santé du canton de Fribourg. Mais cela fait déjà sept ans que 22 pharmaciens interviennent dans les 46 EMS (établissements médico-sociaux, équivalents de nos maisons de retraite) comme pharmaciens-conseils. Deux hommes sont à l’origine de cette reconnaissance : Michel Buchmann, pharmacien à Romont, et Christian Repond, titulaire à Bulle et président de l’ordre des pharmaciens fribourgeois.

Le coût et la qualité pour cheval de bataille

Petit retour en arrière. En 1997, les pharmaciens fribourgeois créent des cercles de qualité ciblés sur la prescription médicamenteuse composés de médecins et de pharmaciens. Aussi, quand en 2001 la fédération des caisses Santésuisse met le holà à la confédération des maisons de retraite du canton (l’Afipa) en raison de l’explosion de l’enveloppe médicaments, les pharmaciens sont prêts à montrer leur savoir-faire. Et pas seulement pour récupérer un marché qui leur échappait en grande partie depuis plusieurs années du fait des accords directs passés entre directeurs d’EMS et industrie pharmaceutique.

Ainsi, depuis le 1er janvier 2002, le pharmacien titulaire est devenu la « passerelle » entre le personnel soignant, la direction de l’EMS et le ou les praticiens prescripteurs de ville. Leurs efforts se concentrent sur l’évaluation du bénéfice-risque pour le patient sans perdre de vue la réduction des coûts. Un seul impératif est imposé par les caisses : ne pas dépasser le budget de 8 francs suisses (environ 5 Euro(s)) dont 6 pour le médicament et 2 pour le matériel de soins, par jour et par résident.

« La partie vente et marketing, tout le monde peut la faire. En revanche, le service, le conseil, c’est ma profession », expose Martine Ruggli, responsable de l’assistance pharmaceutique chez Pharmasuisse (l’ordre des pharmaciens), elle-même pharmacienne référente dans un EMS. Elle s’y rend une fois par semaine, vérifie les commandes, discute avec le personnel, fait même le choix des pansements et… intervient parfois auprès du cuisinier si la consommation de laxatif devient trop importante ! « Le titulaire qui passe sa journée derrière son comptoir est habitué à ce qu’on vienne le voir pour lui demander des conseils. La pratique en EMS inverse les rôles : cette fois c’est le titulaire qui va vers les autres et doit prouver ses compétences », apprécie pour sa part Isabelle Burgy, titulaire à Villars-sur-Glâne et pharmacienne-conseil dans deux EMS.

Les dépenses en AINS ont baissé de 70 %

Autre avantage de l’assistance pharmaceutique : le pharmacien, tout comme le médecin, conserve son indépendance et sa liberté thérapeutique, pouvant ainsi substituer à son gré. « Notre réseau de pharmaciens-conseils en EMS n’est pas une centrale d’achat, ajoute Martine Ruggli. Si une molécule ne me plaît pas, je ne suis pas obligée de l’utiliser. » Le pharmacien n’est pas salarié de l’EMS, qui l’a pourtant choisi parmi plusieurs candidats. Toutefois, il ne court aucun risque financier : « Nous n’avons pas de stocks. Seul est rémunéré notre rôle de consultant, à hauteur de 1 franc par patient et par jour, que nous percevons des caisses », précise Martine Ruggli. Ce rôle de consultant est pris à la lettre par les équipes soignantes qui n’hésitent pas en cas de doute ou de surdosage à appeler le pharmacien.

Une fois par an, le pharmacien définit avec le ou les prescripteurs le « consensus », c’est-à-dire le plan de révision des prescriptions classe thérapeutique par classe thérapeutique. « Nous avons ainsi baissé en un an les dépenses en AINS de 70 % », indique Christian Repond. Observé dans 85 % des cas, le consensus sera la feuille de route de l’année en cours pour l’ensemble des intervenants. Année après année, il est perfectionné, affiné et ajusté aux pathologies des résidents de l’EMS. Résultat : l’assistance pharmaceutique a permis de baisser les dépenses en médicaments par patient et par an de 2 376 francs (1 573 Euro(s)) en 2002, à 2002 francs (1 325 Euro(s)) en 2008, tandis que les coûts en système ambulatoire flambaient : + 15,5 % entre 2002 et 2007. « Nous avons obtenu ces résultats sans observer de hausse des hospitalisations, ni de morbidité ou mortalité plus élevées », tient à préciser Olivier Bugnon, professeur à l’université de Genève. Et ce sans pour autant exclure à l’admission des personnes en raison de leur pathologie lourde. En effet, un système de pot commun prévoit qu’en cas de bénéfice, 40 % restent aux mains de l’EMS, qui pourra l’affecter à l’achat de matériel, et 60 % sont reversés aux caisses. Ce système de péréquation permet de venir au secours des EMS exceptionnellement déficitaires dans leur budget médical ou encore de baisser le forfait.

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Un moyen pour les médecins de se soustraire à l’industrie

L’efficacité du dispositif ne se traduit pas seulement par cette maîtrise des coûts. Les bénéfices sont plus subjectifs. « Au cours de la visite médicale, les discussions sont plus approfondies. Nous avons désormais une approche plus scientifique et plus clinique du traitement », constate Jeannette Mugnier, infirmière chef à l’EMS des Martinets à Villars-sur-Glâne. L’assistance pharmaceutique a bouleversé la donne au sein des équipes de l’EMS, décloisonnant les pratiques professionnelles. Au fil des ans, la méfiance voire l’antagonisme entre prescripteurs et pharmaciens s’est effacée. « Auparavant je n’avais pas de contact avec le pharmacien. J’avais mon panel propre de médicaments, sans trop de notion de coût. Aujourd’hui la prise en charge a changé, j’ai élargi mon éventail thérapeutique en intégrant aux notions chimiques et cliniques l’aspect économique. Et je suis par ailleurs plus sollicité dans la structure par les infirmiers », décrit Bruno Lanier, médecin interniste à Romont, dont certains patients sont en EMS.

Cet échange intense avec les pharmaciens est aussi un moyen pour les médecins de se soustraire à l’influence de l’industrie pharmaceutique, laquelle va jusqu’à accorder des rabais de 45 % du prix usine. En toute légalité puisque les médicaments vendus aux EMS sont assimilés à ceux vendus dans les structures hospitalières.

Les 46 EMS fribourgeois représentent avec leurs 2 200 lits un marché d’appel attrayant. Les pharmaciens référents sont conscients du risque qu’un « dumping » sur les prix peut représenter. Les caisses saisissant l’occasion auraient alors toutes les raisons de vouloir baisser le montant du forfait. Mais ce n’est pas tout. Désireuse d’influencer le système de l’assistance pharmaceutique, l’industrie est tentée de faire de l’entrisme. « Avec deux risques : celui de vouloir connaître en amont le consensus que nous concluons en début d’année avec les médecins, ce qui influencera leur marketing, ou alors celui de vouloir nous influencer si nous contestons une molécule », précise Michel Buchmann. Autant de raisons pour les pharmaciens référents de rester vigilants. Et de défendre jalousement leur pré carré, conquis à force de persuasion et de compétences.

L’assistance pharmaceutique

– 3 jours de formation et un mémoire suffisent pour décrocher le certificat de pharmacien référent en EMS dispensé par Pharmasuisse.

– Un cahier des charges précise les obligations faites au pharmacien et le cadre de son intervention.

– Un rapport annuel, rédigé par chaque pharmacien pour chaque EMS, précise la consommation de médicaments par classe thérapeutique, le consensus conclu avec le prescripteur répondant pour l’institution (en cas de multiplicité de prescripteur, un répondant est élu par ses pairs pour effectuer le travail de coordination avec le pharmacien), le bilan et les orientations.

u Notation du rapport annuel par le département du Pr Bugnon de l’université de Genève, et, en cas de dépassement forfaitaire, convocation avec obligation de justifications.

– Benchmarking annuel effectué par le Pr Bugnon.

– Le « pot commun » est un instrument incitant les EMS à respecter le forfait.

Envie d’essayer ?

Les avantages

– Le pharmacien ne court aucun risque financier et ne gère aucun stock en officine.

– C’est lui qui forme le personnel soignant en séance thématique (neuroleptiques, maladie de Parkinson, antidépresseurs…).

– Devenir pharmacien-conseil donne l’image positive d’un professionnel de santé aux compétences bien spécifiques.

Les difficultés

– Un travail de consensus soumis à la fluctuation du personnel soignant et au bon vouloir du médecin prescripteur.

– La multiplicité des prescripteurs dans certains établissements.

– Le changement trop fréquent de médicaments, qui peut désorienter le personnel soignant dans la confection des semainiers.

Les conseils

« Comptez entre cinq et dix ans entre la première idée et sa réalisation. Il faut en outre d’emblée penser à large échelle, se dire qu’il faudra passer de 2 EMS à bien davantage. »

– « Maintenez une approche individuelle envers chaque EMS. A partir du moment où l’on introduit une notion d’efficacité industrielle, on perd l’adhésion des acteurs. »

– « Etre pharmacien-conseil exige de se tenir toujours informé de l’évolution du marché des médicaments afin de pouvoir argumenter face aux médecins et au personnel soignant. »

– « Ce que nous vendons, c’est la proximité avec le patient et la sécurité du médicament. Il ne faut rien attendre des autorités, car personne ne connaît le potentiel des pharmaciens : il faut le leur démontrer. »