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Des grossistes voudraient vendre votre nom aux labos !

Publié le 15 mai 2010
Par Anne-Laure Mercier
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La 4e édition du « Panorama des acteurs de la vente directe en pharmacie » de Médian Conseil souligne trois évolutions notables en 2009 : la large hausse du nombre d’officines sous enseigne, la forte progression du mandat d’achat délégué aux groupements et un changement de stratégie des grossistes. Certains d’entre eux seraient en effet prêts à fournir aux laboratoires la liste de leurs pharmacies clientes pour préserver leurs marges.

De nouvelles pratiques se mettent en place », constate Médian Conseil. Et pas des moindres, à en croire le «  Panorama des acteurs de la vente directe en pharmacie »*. Le cabinet de conseil et d’études spécialisé dans la santé souligne ainsi, en 2009, la diminution régulière de la marge des grossistes. En cause : la ponction de l’Etat et le développement des ventes directes. Pour les médicaments remboursés (médicaments hors Répertoire + référents + génériques), les ventes directes ont continué à se développer entre 2008 et 2009, augmentant de 9,2 % et représentant aujourd’hui 16,6 % des médicaments remboursés en valeur. Pour les seuls médicaments hors Répertoire, elles progressent de manière régulière : entre 2002 et 2009, la proportion a doublé, passant de 6,6 % à 12,2 %. Les médicaments hors Répertoire représentent désormais, en valeur, 59,2 % des médicaments remboursés vendus en direct (60,7 % en volume). « Ce n’est donc pas parce qu’un médicament est substituable qu’il est vendu en direct », indique au passage Médian Conseil.

Les quatre premiers grossistes ont perdu 16 millions en six ans

Résultat : un résultat net cumulé, pour les quatre premiers grossistes que sont l’OCP, Alliance Healthcare, CERP Rouen/Astera et CERP Rhin-Rhône-Méditerranée, passé de 140 millions d’euros en 2002 à 124 millions d’euros en 2008. « 16 millions d’euros en six ans représente une perte absolument dramatique », commente Benoît Thomé, gérant de Médian Conseil.

A la difficulté à faire face au développement des ventes directes s’ajoute en outre, pour les grossistes, le perturbant appel d’offres de Roche lancé au mois de janvier (voir Le Moniteur n° 2814). Ebranlés, les principaux répartiteurs annoncent ainsi être prêts à donner de la transparence sur leurs flux, c’est-à-dire fournir aux laboratoires – prêts à leur confier des flux sans arrière-pensée de direct ou de semi-direct – la liste des pharmacies clientes. Si les négociations aboutissent, et si les grossistes ouvrent donc ce que Benoît Thomé qualifie de « boîte noire », ce serait, toujours selon lui, « un changement historique ». Cela « pourrait être de nature à attirer une partie des laboratoires de nouveau chez le grossiste ».

Les enseignes et les « flux poussés » décollent

Autre fait marquant en 2009 : le décollage du nombre de pharmacies sous enseigne, passé de 1 750 en 2007 à 3 350 en 2008 et 5 060 en 2009. « La brusque accélération enregistrée en 2008 correspond à une crainte de l’ouverture du capital, analyse Benoît Thomé. Népenthès et Evolupharm sont d’ailleurs arrivés à l’enseigne à ce moment-là. On aurait ensuite pu penser que la tendance allait s’arrêter après l’avis de la Cour de justice européenne, mais pas du tout. La progression a continué en raison des difficultés économiques des pharmaciens, qui se disent qu’ils ne peuvent plus y arriver seuls. »

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Ainsi, les groupements qui se développent aujourd’hui sont bien sûr ceux qui proposent un projet d’enseigne aux pharmaciens, tandis que ceux qui ne proposent « que » d’optimiser l’achat des pharmaciens perdent du terrain, à savoir des adhérents. L’enseigne doit-elle être pour autant considérée comme un rempart économique ? « C’est un projet de rempart pour l’instant, répond le gérant de Médian Conseil. Pour que cela devienne un véritable rempart, il faudrait que ce dernier existe dans les yeux des acheteurs. Or, aucun acheteur ne choisit une officine parce qu’elle est sous enseigne. » Le nombre de pharmacies sous enseigne devrait quoi qu’il en soit continuer à progresser, « car le verrou de la communication des groupements est en train de sauter. L’Ordre des pharmaciens semble plus conciliant. Il y a certes encore besoin de clarifier cette possibilité, mais si les freins à la communication venaient à sauter, le développement des enseignes devrait s’en trouver encore plus favorisé. Et ce, d’autant que les difficultés économiques de la pharmacie vont a priori perdurer. »

Par ailleurs, le nombre de pharmaciens déléguant un mandat d’achats aux groupements, activité également appelée « flux poussés » (voir ci-contre), se met en place de manière très rapide, passant d’environ 1 000 pharmacies en 2008 à 3 200 début 2010. « “Délégation aux achats” est ainsi devenu le maître mot des groupements, commente Médian Conseil. Les nouvelles formules comme Nemo chez Giphar ou Platinium chez Alphega en sont la démonstration. »

Ces commandes en flux poussés sont liés au développement des enseignes : les pharmaciens réalisent qu’il reste des économies à faire en étant plus disciplinés dans leurs achats. Toutefois, si la tendance est très nette et mérite d’être soulignée, ce mandat aux achats ne concerne pour l’instant qu’un assortiment limité de produits, en général constitué de grandes marques, pour lesquels le groupement ne craint pas d’essuyer un refus de la part de ses adhérents.

Outre le fait de mieux acheter, l’objectif de la délégation aux achats est de permettre aux pharmaciens de dégager du temps pour se concentrer sur le comptoir, un argument qu’avancent les défenseurs de ce système. Certains responsables de groupements estiment ainsi qu’une officine d’environ 5 personnes pourrait gagner 0,5 équivalent temps plein en déléguant ses achats.

Le développement très limité des centrales d’achat

Enfin, l’étude de Médian Conseil confirme que les centrales d’achats, autorisées depuis juin 2009, sont mort-nées : moins d’une dizaine de projets ont vu le jour. Elles ne sont généralement pas les bienvenues auprès des laboratoires pharmaceutiques qui, de fait, ne se bousculent pas pour rendre disponibles leurs produits dans ces nouvelles structures logistiques. L’industrie pense qu’elles servent à augmenter le niveau de remise sans bénéfice additionnel pour elle. L’intérêt pour le pharmacien n’est pas non plus évident dans la mesure où il existe déjà de nombreuses formes de ventes semi-directes, à l’instar de Virtuose OCP, Primo Alliance Healthcare, ou de short-liners comme RBP.

* Le rapport « Panorama des acteurs de la vente directe en pharmacie » est issu d’une cinquantaine d’entretiens réalisés par Médian Conseil auprès de représentants de groupements, grossistes, centres d’appels et réseaux de promotion externalisés. Il est disponible à la vente sur www.median-conseil.com.

Lexique

Ventes directes : prise de commande par un représentant, un centre d’appel ou par Internet avec remises à la clé et livraison généralement par le fabricant ou les dépositaires en direct. La livraison peut être quelquefois basculée chez les grossistes. Les ventes directes s’opposent aux ventes grossistes, lesquelles suivent généralement une grille de marge rigide et pour lesquelles le circuit de distribution est le grossiste.

Mandat aux achats ou « flux poussés » : les pharmaciens donnent délégation aux groupements pour acheter pour leur compte, sur une année, certaines quantités d’une catégorie (antidiarrhéique par exemple), d’un produit (Imossel) ou d’une molécule (lopéramide) désignés dans des catégories clés des médicaments OTC et de parapharmacie. Chaque mois, les pharmaciens sont tenus d’acheter une sélection de produits proposés par le groupement. En théorie, ils ne peuvent pas refuser.

Une éventuelle distinction peut être faite entre mandat aux achats et « flux poussés », selon Benoît Thomé : dans le cadre des « flux poussés », le pharmacien doit accepter chaque mois de recevoir des marques du groupement.

Semi-direct : commande en petite quantité à des remises situées entre les remises directes et les remises grossistes. Ces commandes concernent les médicaments et les produits non remboursés.