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Six leviers pour lutter contre les agressions

Publié le 15 mai 2010
Par Myriem Lahidely
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Les pharmacies constituent des proies faciles pour les agresseurs. Et, après un braquage ou une agression, les équipes doivent souvent gérer seules les séquelles psychologiques qui s’ensuivent. Pourtant, elles peuvent être épaulées. Voici six moyens d’action pour ne plus retourner à l’officine la peur au ventre.

Depuis le début de l’année 2010, une vingtaine d’officines d’Ile-de-France, sur 4 000, ont subi une agression. Dans le seul département des Hauts-de-Seine, 40 ont été braquées. A l’échelle nationale, le Conseil de l’ordre des pharmaciens ne possède ni chiffres officiels, ni service pour les traiter. Les dernières statistiques connues remontent à 2004, où 254 déclarations d’agression (cambriolages, braquages, violences physiques) avaient été enregistrées (268 en 2003 et 475 en 2002). « Les pharmaciens ne remplissent pas forcément les fiches déclaratives. Il n’y a donc pas de statistiques fiables », indique le Conseil de l’Ordre.

Très souvent, les titulaires assument seuls les séquelles psychologiques qui résultent parfois de ces agressions, faute de temps ou de relais. « On ne pense pas au suivi psychologique. Une fois que c’est arrivé, on revient au travail le lendemain parce qu’on ne peut pas faire autrement », déplore Catherine Vallet, une titulaire parisienne qui a été attaquée à trois reprises depuis qu’elle est installée. Quant à l’équipe de Roland Bollègue, à Montpellier (Hérault), elle ne se remet toujours pas de l’agression dont elle a été victime. Le titulaire a dû recevoir quatre points de suture après avoir pris un coup de crosse sur le crâne, une préparatrice a été fortement choquée et une adjointe est en arrêt maladie depuis l’agression. « Depuis un an et demi je suis tout seul face à ça, se plaint Roland Bollègue. Je n’ai bénéficié d’aucune prise en charge. »

Olivier Torres, qui vient de créer Amarok, le premier registre sur la santé des patrons de petites et moyennes entreprises, compatit : « Les pharmaciens victimes d’une agression ne peuvent pas changer de lieu de travail. Leur seul recours reste de s’équiper d’une arme ou d’installer des caméras de surveillance dans leur officine. »

Pourtant, les équipes peuvent être épaulées par des organismes (voir ci-contre) et les titulaires anticiper les agressions en adoptant certaines mesures de précaution.

1. Prévenir l’ordre des pharmaciens

Un titulaire ayant subi une agression ne doit pas hésiter à prévenir aussitôt le conseil régional de l’Ordre. Des fiches de déclaration – créées il y a une dizaine d’années après une vague de faits violents – sont remises à la demande, notamment pour établir des statistiques de suivi. « Les ordres régionaux sont censés posséder un carnet d’adresse afin de diriger vers un service d’écoute ou de soutien psychologique. C’est le cas en Ile-de-France », précise Alain Marcillac, secrétaire et responsable de la sécurité à l’ordre régional d’Ile-de-France.

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2. Appeler la médecine du travail

D’après la loi, toute forme de violence grave ou d’agression doit faire l’objet d’une déclaration de l’employeur à l’AMETRA (Médecine du travail) au titre de l’accident du travail. Cette démarche permet de préserver les droits du salarié en cas de séquelles ultérieures. A défaut de cellule d’écoute, la médecine du travail est aussi un recours tout indiqué en termes d’orientation et de prise en charge vers des personnels ou des organismes spécialisés.

Les titulaires cotisant tous les ans pour leurs salariés à l’AMETRA, ces derniers peuvent donc être reçus, à la demande, par un médecin ou un psychologue, en dehors de la visite annuelle obligatoire. « Dans la plupart des cas, les titulaires ne parlent pas de l’agression et cela ne leur vient même pas à l’esprit que leurs salariés aient pu être choqués et avoir des séquelles », observe Patrick Madié, directeur général de l’Action sociale pharmaceutique (ASP).

Quant aux titulaires, ils peuvent aussi cotiser à la Médecine du travail pour eux-mêmes (70 euros par an, quel que soit le nombre de visites) pour être suivis par cet organisme. Véronique Demon, directrice de l’AMETRA à Montpellier, tient à le souligner : « Le médecin intervient automatiquement dès qu’il y a une agression, que ce soit pour aider, écouter et orienter. » L’antenne montpelliéraine de la médecine du travail s’efforce également de proposer des mesures de prévention et s’apprête à embaucher un psychologue du travail.

3. Se former contre la violence

Pour savoir comment réagir face à un agresseur, des actions de formation ponctuelles ont été initiées. Ainsi, en 2004, une convention pilote sur la prévention de la violence à l’officine – notamment signée par l’UNPF et la FSPF – a donné lieu à la mise en place d’une formation pour les salariés et les employeurs, prise en charge par l’OPCA-PL et le FIF-PL.

Pendant deux jours, des personnes exposées à la violence pouvaient apprendre les bons comportements à avoir en cas de conflit et acquérir des techniques pour le désamorcer, tenter de le résoudre et éviter de se mettre en danger. Cette formation a cessé faute de participants. « Le programme existe et cette formation peut être relancée facilement dès lors que des pharmaciens et leurs salariés en manifesteront la demande », informe Patrick Madié.

4. Anticiper les agressions

Afin d’aider les équipes à adapter leur comportement face à un agresseur et respecter et se défendre tout en respectant le Code pénal, des initiatives locales voient le jour. Une opération pilote est ainsi en cours dans le département de Seine-Saint-Denis, en partenariat avec le Conseil régional de l’ordre des pharmaciens et la préfecture de police. Un livret de sécurité proposant des conseils simples et de bon sens sera bientôt diffusé dans les 600 officines du département et une ligne téléphonique devrait être bientôt créée. Les titulaires pourront également demander à un officier de police de faire un diagnostic sécurité dans leurs officines.

A Montpellier et à Nîmes (Gard), un partenariat entre la chambre de commerce et d’industrie et l’hôtel de police a permis de proposer une fois par an des sessions d’une journée avec des exercices de simulation des techniques de self-défense. « Cette formation met les pharmaciens en situation réelle d’agression, verbale ou physique. Cela les aide à connaître les comportements à adopter », explique-t-on à l’hôtel de police de Montpellier.

5. Rédiger un « Document unique »

Il ne faut pas oublier que la responsabilité du titulaire est engagée en termes civil et pénal car ce dernier à l’obligation d’évaluer les risques de son officine – si elle comporte plus d’un salarié –, y compris psychosociaux, et de les consigner dans un « Document unique », lequel doit être réactualisé en concertation avec son équipe chaque année. L’accord de branche sur la sécurité au travail, signé à l’automne dernier, rappelle à tous les titulaires cette obligation (voir Le Moniteur n° 2829).

6. Constituer une cagnotte

Si une personne de l’équipe officinale se fait agresser, l’officine peut avoir besoin de liquidités pour continuer à fonctionner, notamment en cas d’hospitalisation ou d’absence du titulaire, de stock détruit ou de vitrine cassée. Alain Marcillac tient à le rappeler : « Le Conseil national de l’ordre des pharmaciens dispose d’une commission d’entraide. Si elle est sollicitée, elle peut débloquer un prêt pour que l’officine continuer à travailler normalement. »

En attendant le remboursement des compagnies d’assurances, les pharmaciens peuvent aussi recourir aux chambres de commerce et d’industrie. Celles-ci libèrent des prêts à taux intéressant pour aider les entreprises en difficulté à fonctionner.

Solliciter de l’aide

L’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM) est une fédération nationale regroupant 151 associations d’aide aux victimes d’infractions pénales (cambriolages, agressions physiques ou sexuelles…). Elle travaille en relation avec toutes les instances compétentes (tribunaux, barreaux, hôpitaux, police, associations spécialisées…) Une cellule d’écoute est ouverte au 0884284637. Site Internet : www.inavem.org

Avis d’expert

« Il est indispensable de distinguer le stress et le traumatisme. Une incivilité ou l’énervement excessif d’un client peut générer une situation de stress. Mais, généralement, ce stress disparaît quand ce qui l’a provoqué a disparu. En revanche, le traumatisme qui fait suite à une agression peut retentir très fortement sur le psychisme. Il représente une confrontation à la réalité de la mort. Le traumatisme est une effraction dans le mécanisme psychique et il peut être en gestation pendant au moins un mois. Il faut donc que les gens soient suivis très tôt pour que l’on puisse évaluer ce traumatisme, notamment pour qu’ils puissent verbaliser très vite leurs émotions. Car tout ce qui est entré va alimenter le traumatisme. En cas de traumatisme avéré, il faut orienter les personnes vers un psychiatre ou un psychologue formé en victimologie. »