- Accueil ›
- Profession ›
- Socioprofessionnel ›
- La réforme de l’assurance santé américaine au forceps
La réforme de l’assurance santé américaine au forceps
2 700 pages. Il n’en fallait pas moins pour une réforme qualifiée d’« historique » et adoptée le 22 mars par la Chambre des représentants par 219 voix contre 212. Une réforme de l’assurance santé aussi historique qu’inéluctable.
Le coût de la santé atteint 18 % du PIB (1) des États-Unis alors que 46 millions d’Américains n’ont pas accès au système de soins. Pourtant, ces citoyens travaillent et sont intégrés à une société qui, paradoxalement, refuse de prendre en charge leur santé. C’est avec ces Américains-là que Michael Moore a conçu les premières images de son film « SiCKO », diatribe contre le système de santé américain, sorti en 2007. Une large frange de la population que la réforme Obama a cherché à faire accéder à ce qui est considéré comme un droit de ce côté-ci de l’Atlantique : la possibilité de se faire soigner. Afin de comprendre les difficultés rencontrées par les administrations Clinton et Obama pour faire accepter une réforme du système et pour mettre fin à ce qui, pour les Européens, semble une injustice criante, une notion est essentielle. « Les soins de santé sont considérés par les Américains non comme un droit mais comme un service, à l’usage duquel nul ne peut être forcé. En résumé, on ne peut obliger personne à s’assurer », rappelle Catherine Sauviat, chercheuse à l’Institut de recherches en économie sociale, et spécialiste du système de santé américain (2).
Les entreprises obligés d’assurer leur personnel
D’ailleurs, certains Républicains menacent de porter la réforme devant la Cour fondamentale pour anticonstitutionnalité. Dès le vote, en mars, dix Etats – Alabama, Caroline du Sud, Dakota du Nord et du Sud, Floride, Washington D.C., Nebraska, Pennsylvanie, Texas et Utah – ont annoncé leur intention d’entamer une action en justice dans ce sens. Et les Républicains se sont juré d’abroger la réforme de l’assurance santé en novembre s’ils remportent les élections législatives à la Chambre des représentants et au Sénat. Pour autant, cette loi acquise à l’arraché par les Démocrates signe des avancées incontestables. Ainsi, à partir de 2014, les entreprises de plus de cinquante salariés seront obligées d’assurer leur personnel. Le plafond de revenus donnant accès au système Medicaid (sorte de régime général) va être rehaussé de 133 % et, jusqu’alors réservé aux familles pauvres, il sera désormais ouvert aux personnes seules. Enfin, les jeunes pourront être les ayants droit de leurs parents jusqu’à 26 ans, contre 25 aujourd’hui. Ce sont en tout et pour tout 32 millions d’Américains – 16 millions pris en charge par leur employeur et 16 autres millions par Medicaid – qui auront accès aux soins à l’aube de 2014.
Certes, selon Victor Rodwin, professeur de gestion et politiques de santé à la Wagner School (université de New York), « l’absence de couverture maladie n’est pas la cause première des indicateurs catastrophiques des USA que sont le taux de mortalité infantile et l’espérance de vie ». Cependant, les Etats-Unis tendent aujourd’hui vers des conditions plus dignes d’un pays industrialisé.
Pas de caisse d’assurance maladie à la française
Mais cette réforme n’est pas une révolution. Il ne s’agit que d’une reconfiguration de l’assurance maladie, « un élargissement du système actuel à une part plus importante de la population », comme le résume Victor Rodwin. En aucun cas, il n’est question de revoir en profondeur le système de soins. Tout au plus, la réforme ébranle-t-elle les fondements immuables d’un système basé sur un quasi-monopole des compagnies d’assurances en y introduisant un rôle accru de l’Etat fédéral et des Etats. L’option publique – c’est-à-dire la création d’une caisse d’assurance maladie unique à la française – a vite été abandonnée sous la pression des différents lobbies républicains et industriels. Reste une série de concessions accordées de part et d’autre. Les compagnies d’assurances ne pourront plus exclure en raison de maladies, ou refuser de couvrir une personne en raison d’antécédents médicaux. De même, les Américains qui perdront leur emploi ne perdront plus leur couverture maladie mais seront pris en charge par l’Etat jusqu’à leur réintégration dans le marché du travail. Enfin, un organe de contrôle va réguler le coût de l’assurance maladie. Jusqu’à présent, plus de 200 tarifs existaient et le montant des primes était fixé au gré des assurances. Ainsi le coût des primes a plus que doublé en dix ans, une compagnie d’assurances de Californie ayant même relevé ses taux de 39 % en un an ! En moyenne, il en coûtait 4 800 dollars par personne et par an pour un panier de biens et services variant d’une compagnie à l’autre. Sur les 200 contrats présents aujourd’hui sur le marché, il n’y aura plus désormais que 4 tarifs et les profits des assurances seront limités à 20 %. Des bourses à l’assurance, où les compagnies côtoieront deux entités à but non lucratif (selon le modèle des mutuelles françaises), seront créées dans chaque Etat.
Le secteur de la santé va connaître une explosion
L’industrie pharmaceutique échappe quant à elle à toute régulation. Elle est parvenue à conserver son droit de fixation des prix et sa souveraineté dans les négociations avec les assureurs. Seul un rabais sera consenti à Medicaid. On peut regretter que, dans ce contexte, la réforme ne réponde en rien aux problèmes structurels du système de soins des Etats-unis, générateur de gaspillage, de disparités et de complexités. D’aucuns, comme David Snow, le PDG du groupe Medco Health Solutions, grossiste en médicaments, cité récemment dans « Le Monde », craint que la réforme ne comporte un effet d’entraînement inflationniste. Les leviers de maîtrise des coûts sont en effet rares. Diane Leguet-Slama, chargée de mission sur les dossiers internationaux à la Direction de la recherche, de l’évaluation, des études et des statistiques, s’inscrit en faux : « Au contraire, des économies à long terme sont attendues, grâce à la régulation de Medicare (3) et les 500 millions d’économies prévus sur les programmes publics. On va prendre en compte les revenus du patrimoine et les cotisations seront plus élevées pour les revenus supérieurs à 250 000 dollars par an. Il y aura aussi un impôt sur les couvertures haut de gamme nommées contrat Cadillac qui devrait engendrer 32 milliards de dollars de rentrées supplémentaires. Le CBO [NdlR : Le Congressional Budget Office est un organisme non partisan chargé d’évaluer les conséquences fiscales des projets de loi auprès du Congrès] prévoit des économies de 124 milliards de dollars dans les dix prochaines années. La réforme devrait aussi relancer l’économie, car davantage de citoyens seront assurés et la régulation des primes d’assurance soulagera les employeurs. »En tout état de cause, le secteur de la santé va connaître une explosion dont les contours restent à déterminer. Les acteurs – dont les pharmaciens (voir l’entretien page 30) – sont invités à user de leurs talents créatifs.
(1) Produit intérieur brut.
(2) Etude à paraître en collaboration avec Estelle Sommeiller dans la « Chronique internationale » de l’IRES n° 124.
(3) Medicare : seul système universel destiné à la couverture des personnes de plus de 65 ans.
Les Big Pharma fans de l’Obamacare
PhRMA* a été le premier à s’asseoir à la table des négociations et à appeler à la réforme. Le tout-puissant syndicat de l’industrie pharmaceutique avait toutes les raisons d’afficher une attitude proactive. On le serait à moins face à l’émergence d’un marché de 32 millions de nouveaux clients ! Pourtant, une étude récente de Pricewaterhouse-Coopers estime que les ventes de médicaments, entre 2010 et 2019, seront inférieures de 4,3 % à ce qu’elles auraient été en l’absence de réforme. En effet, les dispositions législatives augmentent les rabais au sein de Medicaid, étendent les remises hospitalières et en exigent d’autres pour Medicare. Ainsi, le secteur public, qui a pris en charge 37 % des ventes de médicaments aux Etats-Unis en 2008, pourrait s’en impartir 46,8 % en 2019. Finalement, la nouvelle manne devrait donc être plus modeste qu’il n’y paraît (voir l’interview de Frédéric Badey page 33), et se traduire par une augmentation d’environ 1 % du chiffre d’affaires actuel. Certaines projections établissent même que si les grands industriels du générique gagneront 2 %, les Big Pharma et les laboratoires innovants de taille moyenne pourraient perdre respectivement 4 % et 1 % de leurs revenus. Les grands perdants restant les Big Biotech matures qui, avec l’expiration proche des brevets de quelques blockbusters, risquent de perdre jusqu’à 20 % de leurs revenus !
Dans ces conditions, comment expliquer un tel engouement des labos pour une réforme qui, au mieux, ne leur profitera pas ? Les efforts accomplis par l’industrie – son soutien indéfectible aux heures les plus difficiles et sa contribution de 80 milliards de dollars sur dix ans au financement de la réforme – visaient avant tout à préserver ses acquis. Aux Etats-Unis, où il n’existe pas de contrôle fédéral affiché des prix des médicaments, les tarifs fluctuent en fonction des règles du marché. La définition du prix d’un médicament est particulièrement opaque et relève du secret d’affaires. On estime ainsi à 20 % le taux de remise accordé par les laboratoires aux assureurs, voire à 50 % sur les génériques.
De fait, la récompense ne s’est pas fait attendre. L’industrie a obtenu la garantie d’une protection accrue de ses droits de propriété intellectuelle en même temps qu’elle a vu s’éloigner deux menaces : l’importation de médicaments à partir du Canada et la levée de l’interdiction fédérale pour Medicare de négocier les prix des médicaments.
Alors même que, selon une évaluation menée en juillet 2008, la négociation des prix des médicaments au sein du programme Medicare permettrait de réaliser une économie de 156 milliards de dollars sur dix ans. Soit 76 milliards de dollars de plus que la contribution de PhRMA sur la même période !
M. Lu.
* Pharmaceutical Research and Manufacturers of America
- Enquête de l’Anepf : la vie des étudiants en pharmacie, pas si rose
- Économie officinale : faut-il ressortir les gilets jaunes et les peindre en vert ?
- Prescription des analogues du GLP-1 : les médecins appellent au boycott du dispositif imposé
- Bon usage du médicament : doit-on oublier la dispensation adaptée ?
- Grille des salaires pour les pharmacies d’officine
- Quétiapine en rupture de stock : comment adapter la prise en charge des patients ?
- Les médecins étrangers veulent un contrat pérenne
- Ménopause : qu’attendre des traitements laser contre la sécheresse vaginale ?
- Nature Care, gamme naturelle pour le soin des plaies
- Pharmaciens et IA : l’ère du professionnel augmenté