• Accueil
  • Profession
  • Socioprofessionnel
  • Trois questions à Frédéric Badey, pharmacien, directeur des Affaires internationales du DRIP (Dividend re-Investment Program) chez Sanofi-Aventis
Socioprofessionnel Réservé aux abonnés

Trois questions à Frédéric Badey, pharmacien, directeur des Affaires internationales du DRIP (Dividend re-Investment Program) chez Sanofi-Aventis

Publié le 22 mai 2010
Par Marie Luginsland
Mettre en favori

Hostiles à la réforme dans un premier temps, les industriels du médicament ont finalement obtenu de nombreuses concessions. Quelle est votre appréciation ?

Ces dernières années, la réforme du système de santé a été au cœur des débats politiques. Si le constat était unanime – le système ne pouvait perdurer en l’état –, les solutions à apporter divergeaient. Dès le mois de juin, la Maison-Blanche donnait des gages à l’industrie. L’effort de réforme serait partagé entre les acteurs, le système serait fondé sur l’efficience et il permettrait l’innovation. Avec la garantie sous-jacente que le médicament ne serait pas la variable d’ajustement des comptes sociaux, l’industrie a été la première à apporter sa contribution. Comment en effet ne pas apporter son soutien à une réforme qui ne pouvait que bénéficier aux patients ? Comment accepter que des dizaines de millions d’Américains ne bénéficient d’aucune couverture santé et soient obligés de renoncer à des traitements pourtant nécessaires ? Si le processus législatif a été pour le moins rocambolesque, l’essentiel a été préservé. In fine, l’industrie a prouvé qu’elle était partie intégrante de la solution, et non pas la cause de la faillite d’un système mis en place il y a près de cinquante ans. Le texte finalement voté ne modifie pas l’architecture intrinsèque des systèmes de santé aux Etats-Unis. Il n’en a pas moins brisé un tabou et a donné le coup d’envoi à une réforme plus profonde. Le chantier sera long et chaotique, et ce pour l’ensemble des acteurs.

Comment cette réforme va-t-elle se traduire sur le chiffre d’affaires et la marge pour les industriels du médicament ?

Pour la première fois, les Américains ont l’obligation d’avoir une couverture santé. Dès 2 014, 32 millions d’Américains non protégés aujourd’hui devraient bénéficier d’une prise en charge. Le système est loin d’être parfait puisque 22 millions d’entre eux – dont 6 à 7 millions de sans-papiers – ne devraient toujours pas être couverts correctement. L’augmentation du nombre d’assurés n’aura pourtant qu’un impact limité sur l’industrie de recherche. Les 60 % de non-assurés ont moins de 35 ans, sont relativement en bonne santé et n’ont de facto qu’un besoin limité de médicaments. Ces personnes, qui achètent aujourd’hui leurs médicaments au prix fort, bénéficieront des remises négociées par les assureurs privés et d’une éligibilité améliorée aux programmes Medicaid. Les nouvelles prescriptions devraient principalement bénéficier aux génériques. Entre la pression tarifaire et un accès facilité aux médicaments, l’impact pour l’industrie devrait rester modeste. Il se situerait, pour les principaux groupes, entre – 2 % et + 1 % du chiffre d’affaires. Du fait, entre autres, de ses parts de marché limitées sur le territoire américain (hors vaccins, où le groupe est le leader mondial), sanofi-aventis aborde aujourd’hui avec sérénité la mise en application de la réforme.

Publicité

Le « pricing » restant aux mains de l’industrie, le médicament sur le marché américain, qui est le plus cher au monde, va– t-il voir ses prix s’infléchir face à l’accroissement de la concurrence ?

Le système de prix des médicaments aux Etats-Unis est différent – et difficilement comparable – à ce que nous connaissons en France. Là-bas, le prix du médicament repose traditionnellement sur la reconnaissance de l’innovation et sur un accès accru aux produits génériques. Ainsi, le système fait aujourd’hui supporter l’ensemble des efforts de recherche sur 15 % du volume du marché, le reste du marché étant constitué de produits génériques. La crainte d’une remise en cause d’une politique industrielle appuyée et l’attractivité accrue de nouvelles zones géographiques ont progressivement érodé la suprématie américaine dans la R & D pharmaceutique. L’impact de la réforme sur Medicaid et sur les tarifs administrés sous ce programme (augmentation de la ristourne supplémentaire) est estimé, à volume constant, à près de 110 milliards de dollars – l’équivalent de près de deux années de dépenses de R & D – sur une période de dix ans.

Cette réforme sonne-t-elle pour autant le glas de la pharmacie « made in USA » ?

L’affirmation de la reconnaissance des droits de propriété intellectuelle (protection des données pendant douze ans pour les produits biologiques, absence de provision en faveur de la réimportation des médicaments) et la garantie de la solvabilité du marché offrent aujourd’hui une prédictibilité des conditions d’opération qui devrait rassurer les patients sur la pérennité de l’industrie outre-Atlantique.

Avant et après la réforme

Avant

– Aucune obligation de s’assurer

– Aucune couverture universelle si ce n’est Medicare (43 millions de personnes) qui couvre les plus de 65 ans et les handicapés

– Medicaid est destinée aux familles défavorisées (43 millions de personnes)

– 59 % des personnes assurées le sont par leur employeur auprès de compagnies d’assurances

– Exclusion en cas de licenciement

– Exclusion possible pour pathologies ou antécédents médicaux

Résultat : 46 millions d’Américains sans couverture maladie

Après

– Obligation de s’assurer sous peine d’amende ( 2,5 % du revenu en 2016)

– Le seuil de pauvreté est relevé et Medicaid est élargi aux personnes seules à partir de 2014

– Obligation pour les entreprises de plus de 50 salariés d’assurer leurs employés (aides de l’Etat) à partir de 2014

– Interdiction d’exclure pour raisons médicales

– En cas de licenciement, prise en charge par pools d’assurance mis en place dans chaque état

Résultat : 32 millions d’Américains supplémentaires couverts.

Coût de l’Opération : 940 milliards de Dollars sur dix ans.

Dont 67 milliards financés par les assureurs, 23 milliards (plus 80 milliards d’économie sur le médicament) par l’industrie pharmaceutique, 20 milliards par les fabricants d’équipements, plus 400 milliards par une hausse d’impôt et un relèvement du taux de cotisation à Medicare (2,5 % contre 0,95 %), seul prélèvement obligatoire.