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Vaccins bivalents : l’évaluation en question
Après les premiers vaccins bivalents contre le variant BA.1 d’Omicron, Pfizer-BioNTech et Moderna en ont lancé rapidement deux autres ciblant BA.4 et BA.5. Tous ont été autorisés en Europe et en France avant que les essais cliniques sur l’homme soient terminés. L’évaluation des vaccins est-elle remise en cause ? Le point en cinq questions.
Le 31 août 2022, l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) autorisait les vaccins bivalents ciblant les variants BA.4 et BA.5 d’Omicron en se fondant uniquement sur les données d’innocuité et d’efficacité des vaccins « originaux » (monovalents) et sur les essais cliniques menés pour les vaccins visant le sous-lignage BA. Une méthodologie reprise par l’Agence européenne des médicaments (EMA) et la Haute Autorité de santé (HAS) cet automne.
Pourquoi ne pas avoir attendu les résultats des essais cliniques pour les vaccins bivalents ?
« Nous connaissons une situation nouvelle en matière de vaccination contre le Covid-19. L’enjeu désormais est de disposer rapidement de vaccins adaptés aux variants qui circulent en ce moment, sans avoir le temps de les évaluer sur 10 000 personnes », explique ainsi la Pre Elisabeth Bouvet, présidente de la commission technique des vaccinations de la HAS. Du côté des industriels pharmaceutiques, on insiste sur le fait que les bivalents ne sont pas de « nouveaux vaccins ». « Hormis l’ajout d’une séquence ARNm spécifique aux variants BA.1 ou BA.4/5, la composition et le dosage des vaccins bivalents demeurent inchangés », remarque Bruno Valtier, directeur médical de la franchise Vaccins ARNm et Covid-19 chez Pfizer. Se fonder sur les résultats des essais cliniques des vaccins monovalents et sur ceux des vaccins ciblant le variant BA.1 serait donc justifié pour obtenir des autorisations de mise sur le marché (AMM) dans des délais les plus courts possibles. « Il faut souligner, comme l’a rappelé la HAS, que cette procédure d’évaluation, fondée sur des données plus limitées, permet d’assurer la mise à disposition très rapide des vaccins les plus adaptés au contexte épidémiologique et à la souche circulante, abonde Arnaud Chéret, directeur médical de Moderna France. Elle se justifie, d’une part, par les données importantes sur le plan de l’efficacité et de la tolérance des vaccins à ARNm acquises depuis le début de la crise sanitaire et, d’autre part, par l’expérience acquise concernant les vaccins adaptés aux souches nouvellement circulantes. » La HAS et les laboratoires font également référence aux vaccins antigrippaux, adaptés chaque année et autorisés sans essais cliniques. « En ce qui concerne notre vaccin adapté bivalent Wuhan/BA.4/5, sur les conseils de la FDA, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’EMA, nous avons suivi un modèle similaire à celui fourni aux autorités sanitaires chaque année pour les vaccins contre la grippe selon les souches virales en circulation », relève d’ailleurs Bruno Valtier.
Comment ont été évalués les vaccins bivalents BA.4/5 ?
« Nous avons soumis les données de sécurité et d’immunogénicité issues de l’étude clinique menée pour le vaccin bivalent Wuhan/Omicron BA.1, les données de sécurité chez l’homme des vaccins bivalents adaptés aux précédents variants circulants, ainsi que des données précliniques d’immunogénicité du vaccin bivalent BA.4/5 et des données sur la qualité et la fabrication de ce même vaccin », détaille Bruno Valtier (Pfizer). « Les AMM n’ont pas uniquement reposé sur les études des vaccins à ARNm monovalents. Pour notre vaccin de rappel bivalent original/BA.1, les données comparatives d’immunogénicité et de tolérance d’un essai de phase II/III chez l’homme versus le rappel par vaccin monovalent ont été déposées et analysées, détaille pour sa part Arnaud Chéret (Moderna). Une évaluation sur la base de données d’immunogénicité et de tolérance est tout à fait recevable en vaccinologie. Pour notre vaccin de rappel bivalent original/BA.4/5, des données précliniques ont été ajoutées avec une étude en cours dont nous avons récemment annoncé les résultats. »
De quelles données dispose-t-on actuellement ?
« Nous ne disposons pas encore de données d’efficacité clinique pour les vaccins bivalents, mais des études d’immunogénicité montrent que le niveau des anticorps neutralisants reste équivalent sur la souche originale du Covid-19 et meilleur sur les souches d’Omicron. La tolérance n’a aucune raison d’être différente de celle des vaccins ARN monovalents », répond Elisabeth Bouvet.
Pour Pfizer, Bruno Valtier explique : « L’étude clinique portant sur la sécurité, la tolérance et l’immunogénicité du vaccin bivalent Wuhan/Omicron BA.4/5 chez des personnes âgées de 12 ans et plus est toujours en cours. Les données cliniques de sécurité et d’immunogénicité contre les variants de Sars-CoV-2 circulants sont communiquées aux organismes de réglementation et publiées au fur et à mesure de leur disponibilité. Le 13 octobre dernier, nous avons annoncé de premiers résultats positifs pour cette étude de phase II/III. Et le 4 novembre, nous avons indiqué que, selon les résultats actualisés, ce vaccin induit une solide réponse immunitaire neutralisante contre le variant Omicron BA.4/5 un mois après son administration en dose de deuxième rappel. »
« Pour notre vaccin de rappel bivalent original/BA.4/5, nous avons annoncé le 14 novembre que celui-ci, administré en deuxième dose de rappel, atteint le critère principal d’une réponse en anticorps neutralisants supérieure contre les sous-lignages d’Omicron BA.4/5 par rapport à une dose de rappel par le vaccin monovalent original ARNm-1273, dans un essai clinique de phase II/III mené sur plus de 500 adultes », détaille Arnaud Chéret (Moderna). Et d’ajouter : « Maintenant que ces vaccins à ARNm sont recommandés, il sera important d’en suivre l’efficacité en vie réelle, comme cela a été fait en France et à travers le monde avec les vaccins monovalents. »
La HAS ne dit pas autre chose : « Nous attendons les données en vie réelle. Nous devrions commencer, en décembre, à avoir des données cliniques d’efficacité afin de pouvoir comparer les vaccins monovalents et les vaccins bivalents, relève Elisabeth Bouvet. Nous espérons que l’efficacité et la durabilité seront augmentées vis-à-vis des souches Omicron, à la fois sur les infections et les formes symptomatiques, mais également sur les formes asymptomatiques et la transmission. »
L’administration répétée des doses peut-elle avoir un impact sur la tolérance aux vaccins ?
Si l’exemple des vaccins contre la grippe est mis en avant pour l’évaluation des vaccins bivalents contre le Covid-19, le schéma vaccinal de ces derniers est néanmoins bien différent. En effet, les personnes vulnérables et à risque ont pu recevoir jusqu’à cinq doses en à peine deux ans. Quid de la tolérance, sachant que la technologie de l’ARNm est nouvelle et que, malgré tout, nous disposons de peu de recul ? « Nous savons que les vaccins à ARNm sont sûrs : ils n’ont ni excipients ni adjuvants. Une stimulation antigénique répétée pourrait, en théorie, avoir des conséquences sur le système immunitaire mais nous n’en avons pas observé depuis le démarrage de la vaccination dans le monde, qui a permis de protéger un nombre extrêmement important de personnes, explique Elisabeth Bouvet. Quant à la multiplication de doses de rappel, des scientifiques se sont posé la question de la tolérance, ou plus précisément de savoir si le fait d’administrer régulièrement un même vaccin pourrait diminuer la capacité de l’organisme à élargir sa réponse face à un nouveau virus. C’est théorique et c’est aussi pour cette raison qu’il faut des études en vie réelle. Changer de vaccins pour les rappels peut permettre d’élargir la réponse immunitaire. »
Va-t-on évaluer d’autres vaccins sans résultats d’essais cliniques ?
L’exemple des vaccins anti-Covid-19 bivalents peut-il devenir un nouveau paradigme d’évaluation des vaccins, sans études d’efficacité clinique ? A cette question, la réponse de la HAS est négative. « Nous ne sommes pas à un stade où nous théorisons ce que nous attendons des vaccins. Par exemple, de nouveaux vaccins contre le pneumocoque vont arriver sur le marché et il faudra forcément des études cliniques sur l’efficacité et la tolérance. Les données nous permettront aussi de comparer ces nouveaux vaccins à ceux qui sont actuellement disponibles. Il en est de même pour les vaccins contre le virus respiratoire syncytial (VRS) qui vont arriver. Nous ne changeons pas de paradigme, nous avons besoin d’études cliniques sur l’homme », conclut Elisabeth Bouvet.
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