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Où sont passés les médecins ?

Publié le 10 juillet 2010
Par Irène Lopez
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Baisse des effectifs inscrits au tableau de l’Ordre, vieillissement de la population médicale… Les déserts médicaux gagnent du terrain jour après jour. La première édition des « Atlas régionaux de la démographie médicale », réalisés à partir des chiffres du tableau de l’ordre des médecins ne fait que confirmer ce diagnostic.

Quelle est donc cette épidémie galopante qui fait que les médecins choisissent d’entasser leurs cabinets dans certaines régions, laissant les autres dépérir ? Dans le prolongement de la mise en place des agences régionales de santé (ARS), le Conseil national de l’ordre des médecins a voulu en avoir le cœur net et a mandaté le Dr Patrick Romestaing, président de sa section Santé publique, pour superviser l’écriture des « Atlas régionaux de la démographie médicale française ». « L’état des lieux, région par région, met en relief de nombreuses inégalités régionales dans l’accès aux soins et la nécessité d’adapter la politique nationale d’organisation de la santé aux spécificités locales », résume Patrick Romestaing. La Picardie, par exemple, avec 5 % de nouveaux inscrits en secteur libéral, n’abordera pas la question de la démographie médicale de la même manière que la Corse qui en recense 42 %.

Les « Atlas régionaux de la démographie médicale française » révèlent qu’entre le 1er janvier 2008 et le 1er janvier 2009, 19 régions sur 22 enregistrent une baisse des effectifs inscrits au tableau de l’Ordre. Or, qui dit moins de prescripteurs dit aussi souvent conséquences dommageables pour les officines… La région Lorraine, avec – 5,5 %, connaît la baisse la plus significative, suivie par la Bourgogne (– 3,9 %) et la région Centre (-3,7 %). Seul le Languedoc-Roussillon, avec +0,8 % de ses effectifs, se situe au-dessus de la moyenne nationale.

Des disparités importantes dans l’accès aux soins

Les mouvements de répartition territoriale des effectifs en activité globale jouent un rôle central dans la progression des déserts médicaux. A cette situation s’ajoute le vieillissement de la population médicale, avec une augmentation du nombre de médecins retraités, à laquelle la moitié des régions françaises est confrontée. Les régions à forte densité médicale comme Provence-Alpes-Côte d’Azur ou la Bourgogne, qui recensent respectivement 18,5 % et 16,7 % de médecins retraités inscrits au tableau de l’Ordre, sont les plus touchées.

En ce qui concerne le renouvellement de la profession médicale, la moyenne d’âge des nouveaux entrants s’établit à 34 ans au 1er janvier 2009 en France métropolitaine. Néanmoins, l’écart entre régions peut s’avérer important, de 32 ans (Haute-Normandie, Limousin, Pays de la Loire) à 40 ans (Corse). La région Centre, avec une moyenne d’âge de 37 ans, constitue la 2e région de France où la population médicale est la plus âgée.

Enfin, les « Atlas régionaux de la démographie médicale française » alertent également sur le risque de pénurie de médecins libéraux généralistes et spécialistes en activité régulière. En effet, alors que la médecine générale est composée à 58,7 % de médecins libéraux en activité régulière, 27,6 % des nouveaux entrants choisissent une activité salariale exclusive. Quinze spécialités n’enregistrent aucune inscription en médecine libérale entre le 1er janvier 2008 et le 1er janvier 2009 !

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Des propositions en octobre

Certaines solutions ont été adoptées avec un succès plus ou moins grand pour rendre la médecine générale plus attractive. Des aides à l’installation ont été ainsi mises en place dans certaines communes pour trouver un remplaçant à un médecin parti à la retraite. Des conseils généraux ont même octroyé des bourses à des étudiants en médecine sous réserve qu’une fois diplômés ils s’engagent à exercer dans le département pendant quelques années. Le meilleur reste-t-il à venir ? Elisabeth Hubert, ancienne ministre de la Santé, a été chargée par Nicolas Sarkozy d’une mission de concertation sur la médecine de proximité. Elle rendra ses conclusions en octobre.

En attendant, l’ANEMF, (Association nationale des étudiants en médecine de France), l’ISNAR-IMG (Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale) et l’ISNIH (Intersyndicat national des internes des hôpitaux) ont tour à tour été auditionnés par l’ex-ministre de la Santé dans le cadre de sa mission. « Des Etats généraux de l’organisation des soins (visant au consensus) à la mission sur la médecine de proximité (destinée aux usagers) en passant par celle sur la médecine libérale (pour les professionnels), seule l’approche politique change. Le fond du problème est toujours le même : la revalorisation nécessaire et urgente des soins primaires », écrivent dans un communiquél’ANEMF, l’ISNAR-IMG et l’ISNIH. Dans cet objectif, ils rappellent « l’urgence de la mise en place de mesures pour une amélioration réelle de notre système de santé : l’amélioration de notre formation médicale initiale. Le stage de médecine générale de deuxième cycle doit être effectué par tous les étudiants, conformément à la réglementation. Il s’agit aussi de mettre en place un diplôme d’études supérieures de médecine générale réellement professionnalisant ; le développement de notre filière universitaire avec la nomination d’enseignants au minimum en accord avec la loi HPST ; la diversification des modes de rémunérations. Il s’agit de rémunérer de façon adaptée l’ensemble des missions du médecin généraliste de premier recours, objectif que ne peut satisfaire le seul paiement à l’acte ; le développement de mesures organisationnelles, incitatives et intergénérationnelles ».

Elisabeth Hubert est persuadée que « l’augmentation du numerus clausus n’est pas la solution, pas plus que la mesure fiscale isolée ». Il y aurait selon elle une méconnaissance de la médecine de proximité, une réticence par rapport à un exercice jugé solitaire. Et, pour y remédier, une nouvelle organisation des soins doit voir le jour. « Etre mieux soigné n’implique pas d’avoir des médecins partout », estime l’ex-ministre de la Santé. Chacun (diététiciens, infirmiers, kinésithérapeutes, aides-soignants…) doit « se repositionner sur son champ de compétence ».

L’espoir s’appelle « maison médicale »

Les maisons médicales constituent une première solution pour une pratique libérale plus souple. Celle de Vicherey, dans les Vosges, qui regroupe aujourd’hui treize professionnels de la santé, est d’ailleurs un modèle du genre (voir encadré page 24). Si les collectivités locales subventionnent avec parcimonie de telles structures, ces maisons de santé pluridisciplinaires ont reçu un bon accueil auprès de Roselyne Bachelot, ministère de la Santé, qui s’est engagée à en créer 250 sur tout le territoire dans les années qui viennent, à raison d’un financement de 50 000 euros par maison.

Autre point d’achoppement relevé par ceux qui se penchent sur le devenir de la médecine générale : actuellement la répartition entre internes de spécialité et de médecine générale est de 60 % – 40 %, et il faudrait obtenir une répartition 50 % – 50 %. En attendant, l’exemple de la télémédecine, définie dans l’article 78 de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST), est présenté comme pouvant réduire l’inégalité d’accès aux soins dans les territoires isolés. Le Conseil national de l’ordre des médecins se dit favorable à ces nouveaux actes médicaux « à condition qu’ils s’exercent dans un cadre très précis, réglementés et soucieux de la confidentialité des données », souligne le Dr Patrick Romestaing.

Pour un peu, on croirait presque qu’il est plus facile de mettre beaucoup d’argent sur la table pour soigner la population à distance plutôt que de réfléchir à la mise en place d’une carte sanitaire pour les médecins. C’est-à-dire leur demander de s’installer là où on a besoin d’eux plutôt que là où ils ont envie d’être. Certains, à l’instar de Jacques Domergue, député UMP et chirurgien, sont favorables aux mesures coercitives (voir encadré ci-dessous). L’année dernière, il a déposé un amendement qui préconise une véritable organisation des installations. « En d’autres termes, il s’agirait pour une autorité médicale comme les agences régionales de santé de donner son avis sur chaque nouvelle installation dans une zone saturée, déclare Jacques Domergue. Je ne dis pas qu’il faut interdire, mais quelqu’un doit se prononcer sur le caractère raisonnable de l’implantation d’un médecin supplémentaire, en fonction de sa spécialité, dans un lieu déjà bien pourvu. » Alors que la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) insiste sur la nécessité d’instaurer des mesures incitatives par la concertation, au niveau départemental, des syndicats médicaux, de la Caisse nationale d’assurance maladie, de l’Etat et de responsables de la collectivité locale en fonction des besoins en soins estimés, le député UMP répond : « Ce n’est pas compliqué d’estimer les besoins, de dire qu’il manque un médecin ici ou que telle spécialité n’est pas représentée à tel endroit. De toute façon, on connaît ces besoins. Ce qu’il faut, ce sont des mesures concrètes, et l’incitation ne suffira pas. La façon de procéder que je propose n’est peut-être pas la meilleure, mais elle a au moins le mérite de s’attaquer au vrai problème. Toutes les autres solutions, à mon sens, tournent autour du pot. »

S’inspirer de l’Angleterre et de l’Allemagne ?

Le Dr Borée, pseudonyme d’un médecin généraliste installé à la campagne, relate sa vie professionnelle sur le blog http ://boree.eu/. Il aimerait que le système français se rapproche du système anglais, pourtant nettement moins doté en médecins. Chiffres à l’appui, il constate : « Une consultation dure en moyenne 14 minutes en en France contre 8 minutes en Angleterre. Nos voisins se concentrent sur l’acte intellectuel pur (ce pour quoi ils ont étudié tant d’années) tandis que des infirmières s’occupent, par exemple, de prendre les données médicales des patients (tension,…). Alors qu’un généraliste français embauche 0,3 équivalent temps plein, le confrère anglais travaille avec 2,5 équivalents temps plein. Il est fréquent de voir en Angleterre des centres où exercent 4 à 5 médecins généralistes épaulés par 12 à 15 collaborateurs ». Quant à l’interdiction faite aux médecins de s’installer dans une zone surmédicalisée, le Dr Borée se montre très réservé : « Ce type de mesure, à l’instar de celles qui régissent la pratique des pharmaciens, ne peut être applicable qu’à une profession très attractive. Ce qui est loin d’être le cas de la médecine générale qui connaît une vraie crise de vocation ; seuls 10 % des médecins font le choix de l’installation libérale ».

Afin de pallier la pénurie de médecins dans les campagnes, La France, comme l’Allemagne, se tourne de plus en plus vers le recrutement de médecins formés à l’étranger, en particulier dans les pays de l’Est. La Lorraine est ainsi devenue l’une des destinations privilégiées pour les médecins européens avec le nord de la France et les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes. Et l’on continue dans ces régions à dire 33…

Les libéraux échappent à la coercition

Les libéraux ont gagné. Le 25 juin dernier, lors du 4e Congrès national de médecine générale, à Nice, Roselyne Bachelot annonçait dans son discours d’ouverture la mise entre parenthèses de deux points de la loi HPST (« Hôpital, patients, santé et territoires ») qui irritaient particulièrement les médecins libéraux. Finie l’obligation de déclarer ses absences, dans le but pourtant louable d’assurer la continuité des soins. Terminés également les contrats santé solidarité qui auraient obligé les médecins installés dans des zones en surdensité médicale à prêter main-forte à leurs confrères des zones sous-dotées : quelques vacations par-ci, par-là, et pas de refus possible sous peine de payer une amende de 3 000 euros. L’imposition devrait faire place à une proposition basée sur le volontariat.