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Le manuel anglais du parfait pharmacien

Publié le 17 juillet 2010
Par Myriem Lahidely
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Sophie Astruc, co-titulaire à Saint-Georges d’Orque, près de Montpellier, applique dans son officine les procédures – strictes – en vigueur depuis 2002 en Angleterre, où elle a travaillé plusieurs années. Elle y a d’ailleurs conçu le manuel qui les détaille. Avant de devenir présidente du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens britannique, puis pharmacien référent assurance qualité en France.

Sept années passées à travailler dans des officines anglaises ont permis à Sophie Astruc de démêler les arcanes de la qualité à l’officine et d’en devenir un porte-voix. « En Angleterre, même si on y achète aussi ses pellicules photos ou des sacs poubelle, les officines sont très sérieuses », décrit la pharmacienne. Le conseil est systématique, même pour du paracétamol. « En France, cela étonne. Il faut pourtant se mettre à la portée de n’importe quelle personne. Lui demander comment elle met ses gouttes et lui rappeler l’espacement entre les instillations s’il y a deux collyres différents par exemple. » Pointilleux donc, le milieu pharmaceutique anglo-saxon ! Ainsi, une boîte d’amoxycilline ne peut sortir si elle n’a pas été visée à la fois par le pharmacien et le préparateur. Toutes les posologies sont écrites sur les boîtes, non pas à la main, mais sur une étiquette autocollante pourvue d’encoches pour les initiales. En outre, « tous les six mois, nous étions tenus de suivre un diplôme universitaire différent. De fait, on délivrait un conseil différent », note Sophie Astruc qui a notamment fait valoir des DU sur les opioïdes, sur les maladies oculaires et le sevrage tabagique. Et a trouvé outre-Manche rigueur et intégrité professionnelles.

Le premier manuel du genre en Angleterre

Lorsqu’elle est partie vivre en Angleterre, en juin 1999, Sophie Astruc quittait l’Italie où elle a suivi ses études (à Bologne), soutenu sa thèse, puis travaillé pendant deux ans dans une société qui fabriquait des laques. Outre-Manche, elle a débuté comme assistante dans un hôpital de Katring (Northamptonshire). Cette expérience l’a familiarisée avec le KMeD (Knowledge-based multimedia medical distributed database system). « Ce système implique un suivi de la personne par une enquête, qui permet par exemple de savoir comment va être géré le retour au domicile ». Elle s’est aussi frottée dans ce pays à l’exercice en pharmacie privée et dans des chaînes de pharmacies : tous les lundis dans une enseigne, les mercredis dans une autre et, le samedi, des remplacements « à l’arrache ». « Là, on voit comment sont gérées les officines et l’on apprend à résoudre tous les problèmes, qu’ils soient humains, médicaux ou liés à l’équipe. C’était parfois un “foutoir” mégagalactique mais cela permet d’apprendre beaucoup. » Dans une pharmacie où elle s’est retrouvée à travailler seule, bien qu’en coordination avec un cabinet médical, elle délivrait des substituts opioïdes à des « junkies » parfois agressifs. Dans une autre, elle avait à gérer un préparateur alcoolique : « je devais être d’autant plus vigilante que je travaillais seule, notamment en cas de contrôle ». En Angleterre, elle a aussi appris à délivrer la bonne quantité en fonction de la durée du traitement.

« En 2002, toutes les officines anglaises devaient avoir mis en place un ensemble de procédures de travail jusqu’à la facon de remplir une agrafeuse ou de mettre un produit dans un frigo ! », explique la pharmacienne. Elle s’est mis en tête de travailler sur les protocoles et de concocter une « Standard operational procedure » (SOP) réunissant toutes les normes ISO et les procédures qu’il deviendrait indispensable de mettre en œuvre dans les officines. L’idée lui est venue alors d’éditer un manuel des PSOP (Protocole standard operationnel procedure) – le premier du genre en Angleterre – pour le diffuser, in fine, auprès de 125 confrères anglo-saxons, à 4 000 euros l’exemplaire. Sophie Astruc a ainsi monté une petite entreprise – « C’est beaucoup plus facile outre-Manche. » – avec son mari, designer graphique, pour concrétiser son projet d’édition. « Il existait en Angleterre un magazine professionnel [le Pharmaceutical Journal, équivalent du Moniteur des pharmacies] qui annoncait déjà les mesures très strictes qu’il faudrait prendre. » Pendant un an, la pharmacienne a donc effectué un travail de fourmi, précis et pointu, pour glaner les informations et directives officielles, relever progressivement les mesures attendues, intégrer les procédure, le tout écrit noir sur blanc, fiche par fiche. « A l’époque, rien n’avait été émis du côté du Conseil de l’Ordre. Nous nous sommes aussi basés sur le travail au jour le jour à l’officine. »

Un protocole qui peut dérouter l’équipe

Sophie Astruc, dont les confrères anglosaxons avaient mesuré l’implication dans la profession, est devenue présidente du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens britannique. Puis elle est rentrée en France, en 2006, pour se rapprocher de sa famille et de sa ville natale. Elle s’est associée à un confrère dans une officine à Saint-Georges d’Orque, en périphérie de Montpellier. Elle a reconstruit aussitôt tout son système de travail. Elle a fait installer un robot et surtout remis à plat son équipe, « des gens dans la routine depuis dix ans », justifie-t-elle. Elle n’a pas tardé non plus à traduire en français son manuel des PSOP, prêt depuis 2008 dans son ordinateur. Chaque membre de son équipe s’est vu remettre un exemplaire, dans lequel elle détaille toutes les fiches de poste, soit pas moins de 40 protocoles en six chapitres. Viendra bientôt une mise en forme plus officielle de son manuel, à diffuser à plus grande échelle peut-être. « Le plus important, c’est le poste de travail, puis la façon de travailler : une délivrance hors prescription, une demande de conseil – quoi faire, comment le faire –, réceptionner une commande, la vérifier… Il est en outre indispensable d’avoir le même cadre derrière et devant le comptoire. » Dans le back-office justement, les directives concernent aussi bien le suivi des locations, les retours, les étagères des « promis » avec le nom du patient et des médicament(s), les offres du mois, le tableau des formations, que les transferts d’appel, la liste des infirmières du village et les messages dont chacun doit avoir pris connaissance en le signant : éteindre la lumière, stabyloter un arrêt de travail… « Il y a des gestes aussi simples que vérifier l’extincteur pour s’assurer qu’il fonctionne ou encore l’étalonnage des balan­ces. » Par écrit, cela passe mieux. « Chacun doit pouvoir se dire : “je peux le faire” », note la pharmacienne.

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Il y a deux ou trois ans, l’Association des pharmaciens de la Méditerranée (APM) a voulu mettre en place un référentiel qualité. Elle a fait appel à l’expérience de Sophie Astruc pour rédiger ses protocoles à partir de procédures rigoureuses. Ce référentiel est mis à disposition de tous les adhérents de l’APM invités à se l’approprier. L’Ordre des pharmaciens anglais lui-même a repris les protocoles de la pharmacienne pour éditer l’opus outre-Manche. « Ce protocole n’est pas si lourd. C’est juste un peu déroutant pour l’équipe », rassure Sophie Astruc. « J’ai un protocole très poussé mais je suis sûre qu’il y a des choses très simples auxquelles je n’ai pas pensé. » De la rigueur, isn’t it ?

Envie d’essayer ?

LES AVANTAGES

• Permet à quiconque d’arriver à faire ce qui est écrit dans le détail.

• Sert de référence, laquelle permet une polyvalence.

• Réduit la marge d’erreur, notamment vis-à-vis d’une clientèle de plus en plus procédurière.

• Amène des automatismes.

• Fait office de règlement, permettant d’éviter toute contestation.

• Rend autonome.

• Le document peut toujours évoluer.

LES DIFFICULTES

• L’imposer à l’équipe, car le changement fait peur.

• L’énergie et le temps nécessaires.

LES CONSEILS

• Echangez avec votre équipe.

• Ne restez pas recroquevillé sur vous-même mais mettez en place une solidarité et un réel travail d’équipe.