- Accueil ›
- Profession ›
- Interpro ›
- L’officine, une aide idéale au dépistage du cancer colorectal
L’officine, une aide idéale au dépistage du cancer colorectal
Salvador Tous participe à un programme de détection à grande échelle du cancer colorectal, fruit d’une collaboration entre deux hôpitaux barcelonais et les officines de la ville. En cas de succès, la généralisation de cette expérience pionnière permettrait de sauver des centaines de vies en Catalogne.
Participer à un programme de détection comme celui-ci est une décision qui doit se peser soigneusement en raison de la surcharge de travail qu’elle implique et de la responsabilité liée à un enjeu de santé aussi important mais, quand on m’a sollicité, je n’ai pas hésité une seconde », explique Salvador Tous depuis sa pharmacie du quartier des Corts, à Barcelone, qu’il gère avec son frère depuis vingt ans. En deux mois, les frères Tous ont recueilli les échantillons de 500 personnes ayant accepté de se soumettre à un test immunologique de détection du cancer colorectal. Sachant que son officine, située dans une zone universitaire peu peuplée, dessert une population de 1 300 personnes à peu près (moins que la moyenne espagnole, qui est de 2 200), Salvador Tous est plus que satisfait : « La plupart des plus de cinquante ans qui vivent ici, professeurs ou fonctionnaires, ont participé ».
60 % des pharmacies ont rejoint le programme
L’idée de faire appel aux pharmaciens pour détecter ce cancer qui atteint 25 000 personnes par an en Espagne (soit le cancer le plus fréquent si l’on considère la population des deux sexes) est née en 2009 dans deux grands hôpitaux barcelonais, l’Hospital Clinic et l’Hospital del Mar. « Le dernier criblage à grande échelle, voici dix ans, s’était soldé par un taux de participation modeste de 17 %. Or, lors d’un séjour à Florence en 2005, j’avais été surpris de voir que les pharmaciens aidaient à la lutte contre ce cancer en recueillant des échantillons », se souvient le docteur Antoni Castells, coordonnateur du projet à l’Hospital Clinic (le coordonnateur de l’Hospital del Mar étant le docteur Francesca Macia). D’où l’idée de perfectionner cette approche en exploitant encore plus la proximité qu’offrent les pharmacies. « Fin 2009, les gastroentérologues sont venus nous trouver pour nous soumettre leur projet et solliciter notre collaboration afin d’élaborer un plan fonctionnel », raconte Rafael Guyata, conseiller scientifique du COFB, le Collège des pharmaciens de Barcelone. Objectif : « cribler » 200 000 Barcelonais sur les 600 000 qui dépendent des deux hôpitaux pour ce type de cancer. Le fonctionnement de ce plan ? Dans chacune des 20 zones géographiques prédéterminées, toutes les personnes de plus de 50 ans ne faisant pas l’objet d’un suivi particulier en raison d’antécédents familiaux ou d’une coloscopie récente reçoivent une première lettre d’information. Elle est suivie, 15 jours plus tard, d’une lettre d’invitation indiquant la liste des pharmacies, 10 à 15 par zone, où ces personnes peuvent retirer gratuitement le test (Auto Sampling Bottle 3 de la société Elken Chemical CO). C’est là que Salvador Tous intervient.
Gérer les files d’attente
« Avant de remettre ce test, qui a l’avantage d’éviter les faux négatifs, je dois suivre un protocole très précis », explique-t-il. Il faut vérifier que la seconde lettre envoyée par les hôpitaux soit datée et signée, mais aussi « amener diplomatiquement » les participants à différer la collecte d’échantillon de selles d’au moins 3 jours en cas de saignements hémorroïdal ou de règles, par exemple. Un exercice subtil qui prend 5 à 7 minutes en moyenne. Salvador Tous ou l’un de ses employés (ils ont tous reçu une formation spéciale de trois heures) colle par ailleurs une partie de l’étiquette du tube du test sur la lettre d’invitation qui est ensuite transmise aux hôpitaux de façon à enregistrer le nouvel entrant dans le programme, ce qui permet une relance en cas de non remise de l’échantillon.
La logistique (transport des lettres puis des échantillons vers les hôpitaux) est assurée à titre gratuit par les sociétés de transport pharmaceutique. « Je n’aurais jamais cru qu’autant de personnes viennent chercher le test », avoue Salvador Tous qui a dû faire face à des « pics » de 7 à 8 demandes les samedis matins. Au COFB, Rafael Guyata confirme l’excellente réponse des Barcelonais. « La confiance qu’inspirent les officines a permis d’atteindre des gens qui n’auraient sans doute jamais entrepris cette démarche par ailleurs », estime-t-il.
Compte tenu de sa simplicité et de la clarté du prospectus remis aux participants, la collecte de l’échantillon à domicile est rarement problématique. « La seule chose à craindre est une rupture de la chaîne du froid, raison pour laquelle nous soulignons l’importance de nous ramener au plus vite l’échantillon », indique Salvador Tous. Le risque de mélange des échantillons, particulièrement dans un couple, est écarté grâce à la consigne d’indiquer le nom, la date, l’âge et le sexe sur la partie de l’étiquette qui demeure fixée au tube du test. « Le seul problème, pour nos clients, est que l’étiquette est fort petite pour tant d’informations », juge Salvador Tous. Un point perfectible (tout comme l’insuffisance des moyens informatiques dans les hôpitaux empêchant pour le moment la lecture électromagnétique des étiquettes), car l’opération n’en est encore qu’à ses débuts : elle a débuté en décembre 2009 et s’étalera jusqu’en décembre 2011 à raison de 2 mois par zone géographique.
L’impression gratifiante de sauver des vies
Mais les premiers résultats sont très prometteurs. Même si les autorités médicales regrettent « la prise de conscience encore insuffisante de la population », l’appui des médias (reportages sur la chaîne régionale TV3 et dans les journaux) a beaucoup fait pour la campagne de détection. Au COFB, on cite l’exemple d’une pharmacie ayant recueilli en une seule journée plus de 200 échantillons ! « Le taux de participation varie entre 40 et 50 % de la population cible selon les zones, plus du double qu’en 2000 », se félicite le docteur Antoni Castells. « Nous nous étions fixé un objectif de 30 % qui est déjà largement dépassé », confirme-t-on au COFB. D’autres régions espagnoles menant des campagnes de détection plus classiques, l’idée, à terme, est de comparer les résultats. « Je suis confiant, affirme Salvador Tous. Pour moi, il ne fait pas de doute que les pharmacies sont les mieux placées pour atteindre une cible le plus large possible. » Il connaît presque tous ses clients par leur nom et a toujours cherché à développer ce rôle « d’agent de santé ». « Cette fois, ajoute-t-il, nous avons l’impression très gratifiante de contribuer à sauver des vies. » Sans compter qu’en 2012, les résultats définitifs une fois connus, cette démarche pourrait être étendue au reste de la Catalogne. Le Departament de Salut, c’est-à-dire le ministère catalan de la Santé, estime qu’une détection précoce par ce moyen permettrait de réduire d’au moins 15 % les morts par cancer colorectal, soit plus de 400 vies sauvées par an !
Envie d’essayer ?
LES AVANTAGES
• Une initiative extrêmement gratifiante pour l’officine.
• L’occasion de capter de nouveaux clients.
• Pour les pharmaciens moins tournés vers le relationnel, une occasion parfaite pour se rapprocher de leur clientèle.
LES DIFFICULTÉS
• Le service n’est pas rétribué mais pourrait le devenir à terme.
• Gérer l’aspect intime en cas de contre-indications comme des hémorroïdes ou la période des règles par exemple.
• Intégrer l’envoi des échantillons vers les hôpitaux dans la logistique quotidienne.
• Signaler aux hôpitaux les personnes non recensées qui veulent se soumettre au test.
• S’assurer que 7 jours ne se sont pas écoulés entre le prélèvement de l’échantillon et sa remise en pharmacie.
LES CONSEILS
• Bien réfléchir avant de participer à ce genre d’opération qui demande une implication très forte de la part de tout le personnel de l’officine.
• Disposer d’un endroit séparé et calme pour l’entretien préalable à la remise du test.
• Jouer le jeu et faire la promotion de la campagne en en parlant aux clients qui n’auraient reçu aucune lettre d’information par exemple.
- Economie officinale : les pharmaciens obligés de rogner sur leur rémunération
- Grille des salaires pour les pharmacies d’officine
- Explosion des défaillances en Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire et Occitanie
- La carte Vitale numérique, ce n’est pas pour tout suite
- [VIDÉO] Financiarisation de l’officine : « Le pharmacien doit rester maître de son exercice »
- Financement des officines : 4 solutions vertueuses… ou pas
- Prescriptions, consultations : les compétences des infirmiers sur le point de s’élargir
- Dispensation à l’unité : chassez-la par la porte, elle revient par la fenêtre
- Quelles populations sont actuellement à risque de développer un scorbut ?
- Gilenya (fingolimod) : quelles conditions de délivrance ?

