Un espace pour retrouver son corps
La Pharmacie des Oliviers a créé un espace confidentiel pour accompagner les femmes opérées d’un cancer du sein. Et remporté le prix Initiatives Pharmacie 2010 « Education du patient ».
La vie professionnelle de Martine Azémar est étroitement liée au cancer du sein depuis sa rencontre, en 1986, avec une patiente, depuis décédée, qui cherchait une prothèse mammaire. « Cette femme, qui n’avait pas d’argent, avait été mal accueillie dans une officine qui, de surcroît, avait essayé de lui vendre un maillot de bain », se souvient Martine Azémar. La pharmacienne, bouleversée par cette histoire, se jure de monter un jour un espace qui prendrait en charge les femmes touchées par la maladie. Ce sera chose faite en 1998, après avoir quitté la petite officine de 50 m2 où elle travaillait depuis 1986 pour créer la Pharmacie de l’Olivier, à Clermont-l’Hérault : 800 m2, dont 300 consacrés à l’orthopédie et au matériel, et un salon où sont accueillies individuellement, et le mieux possible, les femmes atteintes d’un cancer du sein.
Cinq mille euros de stock permanent
C’est Martine Azémar qui a conçu elle-même ce salon très cosy, fermant à clef, avec un canapé couleur crème et des fauteuils en rotin, trois murs blancs et un mur rouge brique sur lequel une copie de la Femme nue vue de dos, de Rodin, côtoie un long miroir vertical. Un meuble à tiroirs de mercerie et deux armoires à confiserie, fabriqués sur mesure, présentent les boîtes de prothèses.
L’officine privilégie les prothèses mammaires adhérentes, plus légères. « Après une opération, il ne faut pas porter de poids à cause du lymphœdème et ces prothèses font vraiment corps avec la personne. En outre, elles s’adressent à toutes les femmes, même aux plus âgées », indique Martine Azémar. La Pharmacie des Oliviers a en stock plus de 300 soutiens-gorge différents, une cinquantaine de prothèses et près de 70 modèles de maillots de bain. Elle propose également des hauts très « lingerie », des bustiers pour l’été, des mamelons pour les patientes dont la reconstruction n’est pas encore terminée, des compléments mammaires adhérents pour celles à qui l’on n’a enlevé qu’un bout de sein… Soit un stock permanent de 5 000 euros. « Les femmes craignant que ces accessoires soient trop médicaux sont vite rassurées », assure Isabelle Bringuier, associée de Martine Azémar. Des conseils pour du maquillage hypoallergénique adapté sont également proposés : « Quand on a perdu ses sourcils, il faut aussi pouvoir trouver une aide. »
Les pharmaciennes, qui reçoivent au moins deux patientes par jour, uniquement sur rendez-vous, prennent le parti, dans un premier temps, d’oublier l’ordonnance. L’objectif est d’amener ces femmes à raconter comment elles ont découvert leur maladie et le parcours qui les a amenées jusqu’à la pharmacie. « Peu importe de passer trois heures avec ces patientes », assure Isabelle Bringuier. Nous sommes là pour les mettre en confiance. Nous leur offrons un thé ou un café et, très vite, elles voient que l’on prend notre temps et elles finissent par accepter de se dévoiler », souligne Martine Azémar.
Le plus souvent, ces femmes viennent à l’officine juste après leur sortie du milieu hospitalier, d’un service de chirurgie, de chimiothérapie ou de radiothérapie. « Nous restons avec elles le temps qu’il faut tout en faisant des essayages. Nous parlons de leurs enfants, de leur mari, des réactions des uns et des autres, de reconstruction, et nous les regardons retrouver leur image corporelle alors que certaines n’ont pas réussi à se regarder avant de venir ici », détaille Isabelle Bringuier. Les cotitulaires informent aussi leurs patientes sur la chimiothérapie et la radiothérapie : « Nous leur donnons des astuces afin de moins souffrir. » Martine Azémar et Isabelle Bringuier n’ont pas hésité à se rendre à l’hôpital Saint-Eloi, à Montpellier, dans un service pointu sur le lymphœdème pour apprendre à faire des bandages, se renseigner sur les nouveaux moyens de contention… « Cet accompagnement permet aux patientes d’oublier qu’elles sont en orthopédie. Elles entrent souvent voûtées dans l’officine et elles repartent avec des prothèses qui les rééquilibrent et les aident à se redresser. »
Des patientes viennent de tous les départements limitrophes
Les cotitulaires ont-elles suivi une formation en psychologie pour tenir le choc ? « Non, même si c’est parfois difficile et si cela demande beaucoup d’énergie. » En revanche, outre un DU d’orthopédie, elles participent à toutes les formations proposées par leur fournisseur principal de prothèses, assistent aux congrès consacrés à la question, se tiennent au courant sur la chirurgie, la chimio et la radiothérapie. Et n’hésitent pas à appeler les oncologues pour discuter de cas particuliers. « Si une question intrigue une patiente et si nous ne savons pas répondre, nous obtenons toujours une réponse. »
Ce travail de longue haleine porte ses fruits. Des femmes viennent parfois de Sète (Hérault) et de Narbonne (Aude) ou même de Mende (Lozère) pour rencontrer les pharmaciennes et leur demander conseil. Des confrères d’autres villes du département, y compris du Gard, accompagnent aussi des patientes à la Pharmacie des Oliviers pour assister à l’entretien. « Certaines femmes n’osent pas sortir de chez elles. Par exemple, une infirmière est venue nous rencontrer car une de ses patientes n’osait pas quitter la clinique sans prothèse postopératoire », observe Martine Azémar.
Les cotitulaires forment déjà une collaboratrice de l’équipe pour prendre leur relais en cas d’absence. Elles envisagent aussi de restructurer l’officine pour répondre aux demandes actuelles comme les prothèses capillaires et le maquillage, et, d’ici deux ans, de créer de nouveaux espaces et un laboratoire aux normes pour assurer des préparations en chimiothérapie. « Notre accompagnement correspond à l’évolution de la prise en charge des patients. Les pharmaciens ont un rôle à jouer. Nous sommes déjà dans la loi HPST qui nous conforte dans ce que nous faisons », concluent Martine Azémar et Isabelle Bringuier.
Envie d’essayer ?
LES AVANTAGES
• Cet accompagnement est en relation directe avec les études de pharmacie et est un volet que la profession peut exploiter.
• Il permet un contact différent avec le patient.
• C’est un moyen pour le pharmacien d’explorer d’autres domaines.
• C’est un travail valorisant qui renvoie une image positive du pharmacien.
• Cette activité apporte beaucoup à la personne accompagnée, mais aussi au pharmacien sur le plan humain et médical.
• Il y a une vraie réciprocité dans la relation.
• Le contact avec les chirurgiens et les oncologues est intellectuellement enrichissant et amène une complémentarité avec les médecins.
LES DIFFICULTÉS
• C’est une activité chronophage.
• Ce n’est pas vraiment rentable si l’on tient compte du temps consacré à l’accompagnement des patientes.
• Il faut avoir beaucoup de stock et, par conséquent, disposer de place. Il faut aussi comptabiliser le coût du stock immobilisé.
• Les maillots de bain sont chers et ne peuvent pas être renvoyés au fabricant, s’ils n’ont pas été vendus.
LES CONSEILS
• Ne pas se lancer si l’on cherche avant tout la rentabilité.
• Ne pas avoir peur de mettre en place cette activité mais ne pas faire semblant d’être motivé.
• Ne pas avoir peur d’y consacrer du temps.
• Investir dans la création d’une salle, accueillante et fermée afin de permettre une vraie confidentialité.
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