- Accueil ›
- Profession ›
- Socioprofessionnel ›
- Elisabeth Hubert soigne les médecins
Elisabeth Hubert soigne les médecins
Tandis que la 4e édition de l’atlas de la démographie médicale française fait état d’un désintérêt croissant des médecins pour l’exercice libéral, le rapport Hubert sur la médecine de proximité donne des pistes pour enrayer ce phénomène, préjudiciable à l’ensemble des professions de santé.
Démographie en baisse, sous-densité des médecins dans quinze régions françaises, désintérêt croissant pour l’exercice libéral : ce sont quelques-uns des constats inquiétants de la 4e édition de l’atlas de la démographie médicale française, présentée le 23 novembre dernier par le Conseil national de l’Ordre des médecins. L’écart se creuse entre médecins entrants (+ 1,8 % entre 2009 et 2010) et médecins sortants (+ 6,6 %). En outre, seulement 8,6 % des nouveaux inscrits au tableau de l’Ordre entre le 1er janvier et le 31 décembre 2009 ont choisi l’exercice libéral. Un désintérêt qui concerne aussi bien les généralistes que les spécialistes. Le remplacement paraît être une alternative à l’installation : entre 2007 et 2010, le nombre de remplaçants s’est accru de 9,1 %. Majoritairement jeunes et à dominante féminine, ils sont aujourd’hui 10 006 (soit 4,5 % des médecins en activité), dont 6 003 qui ne se sont jamais installés. Seuls 45 % des remplaçants envisagent de s’installer mais en privilégiant l’exercice de groupe en zone urbaine, alors que 32 % souhaitent poursuivre en remplacement ou diversifier leurs modes d’exercice salarié, libéral et/ou hospitalier. Ils expliquent leur refus de l’installation par des « problèmes d’organisation du travail et le poids des charges administratives ».
Comment, dans ce cas, assurer la pérennité et l’accessibilité de l’offre de santé sur l’ensemble du territoire ? Le rapport que vient de remettre Elisabeth Hubert, ancienne ministre de la Santé et présidente de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (FNEHAD), au président de la République le 26 novembre dernier fourmille de préconisations, de la réforme des études médicales à la refonte des modes de la rémunération en passant par le développement de la télémédecine. Mais le point clé du rapport concerne les nouveaux modes d’exercice de la médecine de proximité.
Coopérations entre professionnels de santé
Il préconise ainsi de développer les coopérations entre professionnels de santé. Pour « dégager du temps médical » et permettre aux médecins de se recentrer sur le cœur du métier, le rapport préconise de « rechercher les modalités d’un transfert de tâches vers d’autres professions de santé ». Cela se fait déjà dans d’autres pays, mais la France est beaucoup plus timide. Malgré l’évolution du cadre légal en 2004(1), seules 16 expérimentations de transferts de compétences à des personnels para-médicaux ont été conduites entre 2004 et 2007. La loi HPST renforce la possibilité de développer ces coopérations. Elisabeth Hubert appelle à en accélérer la mise en œuvre et relève « une forte attente des professionnels », les pharmaciens d’officine étant « les plus demandeurs d’un élargissement de leur mission », note-t-elle. Elle énumère les conditions de généralisation de ces coopérations : revoir le cadre réglementaire d’exercice des différentes professions de santé, rédiger les référentiels métier de chaque profession pour mettre en évidence les zones communes de compétences, faire évoluer les nomenclatures actuelles pour rémunérer ces coopérations, apporter une sécurité juridique. Bref, pour l’essentiel, la balle est dans le camp des pouvoirs publics et en particulier des Agences régionales de santé (ARS), qui, insiste le rapport, devront se doter d’experts de la conduite de projet pour accompagner et encadrer les accords de coopération dans chaque région.
Exercice pluriprofessionnel
Confirmant les données de l’atlas, le rapport signale que l’exercice regroupé et pluriprofessionnel est aujourd’hui « plébiscité » et qualifié de « voie de renouveau pour la médecine générale », tant le « modèle libéral traditionnel d’exercice isolé est en rupture avec les aspirations des jeunes générations ». S’il ne doit pas constituer le modèle unique de l’exercice pluriprofessionnel, le modèle de la MSP (maison de la santé pluridisciplinaire) et du PSP (pôle de santé pluridisciplinaire) est à développer. Pour autant, leur montage reste compliqué et relève souvent de « démarches militantes ». Le rapport préconise donc « un plus grand engagement des autorités sanitaires régionales aux côtés des professionnels de santé » pour les développer. Au-delà des MSP et PSP, Elisabeth Hubert préconise de revoir les articles du Code de la santé et du Code de déontologie médicale qui limitent le partage d’informations entre professionnels de la santé (infirmières, kinésithérapeutes, pharmaciens…). Concernant la permanence des soins sur les territoires, le rapport propose de permettre aux médecins libéraux volontaires de faire une régulation médicale téléphonique, de leur domicile. A cette occasion, il faudrait « développer la prescription médicamenteuse téléphonique », avec rédaction et transmission à distance d’une ordonnance écrite à une officine.
En conclusion, le rapport insiste sur l’urgence à suivre ses recommandations. Ne rien faire, c’est s’attendre à « une raréfaction accélérée non seulement des médecins généralistes, mais également de tous les acteurs de soins tant sont interpénétrées les activités des médecins, pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeutes et autres professionnels de santé libéraux ». Xavier Bertrand, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé, doit d’ailleurs proposer dans les semaines qui viennent, une « méthode » aux professionnels de santé afin de mettre en œuvre le rapport.
(1) Art. 31, loi 2004-806 du 9 août 2004)
3 questions à Charles Tellier, président de la section A du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens
Quelles peuvent être les perspectives pour les pharmacies installées dans des zones où la densité de médecins est faible ?
Dans certaines communes touchées par la désertification médicale, je crains que le pharmacien ne demeure le seul professionnel de santé encore présent. Dans ces conditions, il doit devenir l’interlocuteur de santé privilégié avec l’aide d’un certain nombre d’outils, comme le dossier pharmaceutique. Le développement de la téléconsultation dans les officines peut également représenter une complémentarité dans l’offre de soins et peut concourir au retour d’un maillage sanitaire plus approprié.
Etes-vous d’accord avec les voix qui s’élèvent pour demander une régulation géographique de l’installation des médecins, à la manière de ce qui existe déjà pour les officines ?
La balle est dans le camp des Agences régionales de santé. Cette régionalisation est une chance historique à condition que les médecins prennent leur responsabilité. En 2009, une soixantaine de communes françaises ont eu la chance de voir revenir des médecins, mais leur installation n’a pas été cohérente avec les autres professionnels de santé présents aux alentours. Les officines représentent la trame de l’offre de santé sur le territoire. Il me semble donc évident que les cabinets médicaux ne doivent pas être implantés là où il n’y a pas de pharmacies.
Le rapport Hubert évoque le rôle des pharmaciens dans la coopération entre les professionnels de santé, mais cite uniquement les infirmières pour l’éducation thérapeutique du patient (ETP). Qu’en pensez-vous ?
Le pharmacien est souvent le pivot de la coordination entre les professionnels de santé, notamment avec les médecins et les infirmières. De plus, l’ETP ne pourra être réalisée qu’avec un professionnel présent sur le terrain, ce qui est toujours le cas du pharmacien. Il faut maintenant que les officinaux prennent l’ETP à bras-le-corps et mettent en place des expérimentations sur ce sujet.
Propos recueillis par Arnaud Cristinelli
- Economie officinale : les pharmaciens obligés de rogner sur leur rémunération
- Grille des salaires pour les pharmacies d’officine
- Explosion des défaillances en Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire et Occitanie
- La carte Vitale numérique, ce n’est pas pour tout suite
- [VIDÉO] Financiarisation de l’officine : « Le pharmacien doit rester maître de son exercice »
- Financement des officines : 4 solutions vertueuses… ou pas
- Prescriptions, consultations : les compétences des infirmiers sur le point de s’élargir
- Dispensation à l’unité : chassez-la par la porte, elle revient par la fenêtre
- Quelles populations sont actuellement à risque de développer un scorbut ?
- Gilenya (fingolimod) : quelles conditions de délivrance ?

