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Quand la « farmacia » écoute le cœur des femmes

Publié le 18 décembre 2010
Par Eléonore Kern
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Les « histoires de cœur » des femmes intéressent les pharmaciens italiens ! Pendant un mois, plus de 450 officines du réseau Apoteca Natura ont offert aux donne conseils et contrôles préventifs sur le thème des maladies cardio-vasculaires. A Milan, la pharmacie dei Padri Fatebenefratelli revient sur cette opération.

Ci sta a cuore il cuore delle donne ! » (Le cœur des femmes nous tient à cœur). C’est le slogan qu’affichaient en novembre plus de 450 pharmacies italiennes du réseau Apoteca Natura. Pendant un mois, les pharmaciens de ce réseau d’officines spécialistes des produits naturels ont écouté les « histoires de cœur » de femmes âgées de 35 à 50 ans gratuitement tous les mardis matins. Au moins 14 000 femmes ont poussé la porte de leur officine pour parler des maladies cardio-vasculaires, dont une cinquantaine à Milan dans la farmacia dei Padri Fatebenefratelli. Lanfranco Galimberti, 35 ans, possède depuis 2004 avec ses parents cette officine d’environ 80 m2 hypermoderne, située devant un hôpital. « Nous avons été contactés par notre réseau Apoteca Natura pour participer à cette opération et nous avons tout de suite dit oui. J’ai suivi une formation d’une demi-journée avant l’été », raconte le pharmacien milanais avant d’aller chercher le kit envoyé par Apoteca Natura, qui comprenait des livrets ainsi que du matériel (mètre, autopiqueur…) pour effectuer des contrôles. « Les femmes prenaient rendez-vous spontanément ou sur notre conseil, reprend Lanfranco Galimberti. Tous les mardis matins de novembre, dans une petite pièce à l’écart, nous les recevions. Un de nos sept pharmaciens les aidait à mesurer leur cholestérol, prenait leur tension, les pesait, mesurait leur tour de taille afin de calculer l’indice de masse corporelle… Puis nous analysions ces résultats, donnions le livret rempli de conseils, et surtout discutions ! ».

La relation avant la vente

Attirées par l’affiche exposée en vitrine ou par la communication dans la presse financée par Apoteca Natura (NDLR : le réseau a investi au total 750 000 € dans cette opération), les Italiennes sont la plupart du temps venues par curiosité, estime le pharmacien. En un mois, Lanfranco Galimberti a rencontré peu de femmes présentant un risque. « Nous avons plutôt reçu des femmes à la limite du risque, qui devaient changer de style de vie. Nous avons pu en discuter avec elle, leur dire de varier leur alimentation, de faire du sport, d’arrêter la cigarette… Pour nous, l’enjeu n’était pas de vendre un produit naturel mais plutôt de créer une relation avec nos clientes et de les sensibiliser sur ce thème en leur donnant un maximum d’informations. » Seul bémol, l’opération étant organisée seulement une matinée par semaine, les femmes actives avaient plus de difficultés pour prendre rendez-vous. « Nous avons laissé une certaine flexibilité pour les personnes qui ne pouvaient absolument pas se libérer le mardi, répond Lanfranco Galimberti. Mais je pense quand même qu’il était important de fixer des limites. Cela montre aussi que c’est une opération et un sujet sérieux. » Et de souligner combien cette opération – soutenue par l’Observatoire italien de la santé de la femme (O.N.Da) – est « très importante car les femmes ont tendance à sous évaluer l’hypertension et les maladies cardio-vasculaires en pensant que ce sont des “maladies d’homme”. » En effet, selon l’Observatoire italien de la santé des femmes, 44 % des femmes (contre seulement 33 % des hommes) meurent chaque année de ces maladies. Conscient de ce phénomène, Lanfranco Galimberti trouve essentiel de diffuser ce message dans une officine comme la sienne, qui voit défiler de 400 à 450 personnes par jour.

Accompagner et conseiller

« Il est important de ne pas devenir un simple centre délivrant des médicaments. La pharmacie doit aussi être un lieu d’assistance et d’accompagnement. Ce type d’opération permet au pharmacien de retrouver le rôle de conseiller qu’il a parfois perdu. Si nous ne faisons rien, un jour, un ordinateur fera notre travail. Or conseiller est notre travail ! » Outre l’aspect financier – en Italie, le prix et la marge des produits naturels sont libres – c’est justement dans l’optique de reconquérir le rôle de pharmacien conseiller que Lanfranco Galimberti a rejoint en 2005 le réseau Apoteca Natura. Ce réseau incite et forme le pharmacien afin qu’il propose des « réponses naturelles » à ses patients.

« Avec ce type de produits, il ne faut plus raisonner en termes de guérison, mais d’accompagnement, de prévention », décrypte Lanfranco Galimberti avant de préciser que les produits naturels représentent 4 % de son chiffre d’affaires annuel qui oscille entre 2,5 et 2,8 millions d’euros. Très dynamique, la farmacia dei Padri Fatebenefratelli – qui a un site internet et réalise une newsletter comptabilisant 2500 abonnés – envisage déjà de proposer à ses clients de nouvelles opérations. « Je pense que nous en ferons d’autres car cette opération pour les femmes a été une très belle expérience. Nous n’avons entendu aucun commentaire négatif de la part des clientes qui ont trouvé au contraire que c’était très bien. » Auparavant, la pharmacie milanaise avait déjà organisé avec Apoteca Natura un mois de sensibilisation sur le thème de la santé de l’intestin. « C’était différent car nous donnions à nos clients des échantillons de tisane et de fibres liquides », explique Lanfranco Galimberti. Son officine organise aussi de manière autonome des cours sur des thèmes de santé durant lesquels un médecin spécialiste rencontre des clients. « Le succès est incroyable, nous louons une salle à la faculté et nos clients viennent discuter avec un spécialiste. Nous avons parfois 50 personnes ! » Dans le futur, Lanfranco Galimberti envisage de s’affilier à des réseaux spécialisés dans d’autres secteurs, comme l’orthopédie. « Le réseau est l’un des avenirs de la pharmacie. Il faut apprendre à travailler ensemble tout en maintenant son identité ».

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LES AVANTAGES

• Créer un rapport de proximité avec la clientèle.

• Retrouver le rôle central du pharmacien en proposant un accompagnement et un conseil.

• Augmenter la visibilité de la pharmacie.

• Se distinguer des autres officines en offrant un service en plus.

• A terme, les avantages précédemment cités permettent de fidéliser la clientèle et de la faire croître.

LES DIFFICULTÉS

• Le temps investi est important, les tests mobilisant un pharmacien. L’opération a donc des répercussions sur l’organisation de l’officine.

• Quelques clientes n’ayant pas le profil visé par l’initiative ont pris rendez-vous sans vraiment comprendre le but de l’opération. Par exemple des femmes trop jeunes ou trop âgées qui ont perdu du temps. Il faut donc bien cibler les personnes au préalable.

• Sans faire partie d’un réseau, lancer une telle opération impliquerait un coût financier ainsi qu’une campagne de communication difficile à mener.

LES CONSEILS

• Ne pas hésiter à lancer une opération s’inspirant de ce fonctionnement, même sans l’appui d’un réseau. Un exemple ? Organiser un mois sur la thématique de la glycémie.

• Fixer des limites temporelles : cela facilite l’organisation et donne plus de crédibilité à l’opération. Néanmoins, une initiative plus longue peut être envisagée : par exemple, tous les mercredis matins pendant un an, la pharmacie prendra gratuitement la tension des personnes âgées.

• Comprendre et admettre dès le départ que le but d’une telle opération n’est pas de faire grimper son chiffre d’affaires.