Recherche et innovation Réservé aux abonnés

« Les pharmaciens doivent aller jusqu’au bout de la chaîne du médicament »

Publié le 29 janvier 2011
Par Marie Luginsland
Mettre en favori

Quelles sont les avancées accomplies depuis votre rapport de 2008 ?

Les résidus de médicaments sont déjà pris en compte dans le Grenelle de l’environnement et l’Afssaps mène actuellement une réflexion et des analyses au niveau des établissements hospitaliers.

Pourquoi les mesures tardent-elles à être mises en œuvre ?

Il manque des données d’évaluation pour légiférer. Prenons l’exemple des analyses effectuées au niveau des hôpitaux. Elles établissent la présence d’anticancéreux dans les eaux usées. Cependant, aujourd’hui il y a nécessité de mesurer les risques de ces concentrations et leur impact sur l’homme.

Pourquoi cela reste-t-il si difficile ?

Publicité

Dans l’environnement, il existe un cocktail de composés chimiques ayant des effets variés, additifs, antagonistes ou synergiques. En ce qui concerne les substances perturbatrices endocriniennes, on dispose de méthodes pour mesurer leurs effets sur les poissons en dosant la vitellogénine, témoin de leur féminisation, comme l’ont démontré des études dans des estuaires en Grande-Bretagne. Aussi, il faudrait pouvoir, avant de se lancer dans la réglementation, disposer de moyens de mesure des effets à long terme sur l’homme. Pour l’instant, on ne sait pas faire.

Le sujet des résidus du médicament dans l’eau est très médiatisé. Est-ce pour occulter les effets d’autres micropolluants ?

Oui et non. Cela fait 20 ans que les rejets médicamenteux sont analysés dans l’eau, mais on ne peut toujours pas évaluer les effets sur l’homme. Il est essentiel de mettre en place des programmes de recherche qui permettront une meilleure évaluation des risques pour l’homme dans l’eau, mais aussi dans les boues des stations d’épuration, dans les végétaux, la viande, le poisson… Il faut introduire des méthodes d’analyse des transferts de résidus de médicaments dans la chaîne alimentaire où certains peuvent vraisemblablement se concentrer. L’évaluation de ces résidus dans le « panier de la ménagère » serait déjà une première étape indispensable de l’évaluation.

Sur quelles sources de pollution les efforts devraient-ils, selon vous, se concentrer ?

Il faut surtout appréhender la question dans sa globalité. Néanmoins, il existe des points noirs. Cela concerne par exemple les rejets hospitaliers fortement concentrés, particulièrement pour ce qui est de certains anticancéreux, que les mesures de l’Afssaps ont chiffrés non en nanogramme mais en microgramme par litre ! Il s’agit de molécules actives et mutagènes. Autres points noirs, les élevages industriels ainsi que la pisciculture, car il s’agit d’une activité conduite directement dans l’eau alors que des médicaments y sont régulièrement utilisés.

Et quelles sont les molécules particulièrement mises en cause ?

Les antibiotiques. Parce qu’ils peuvent provoquer des allergies, mais aussi parce qu’ils peuvent engendrer une antibiorésistance en induisant une sélection des bactéries. Il y a lieu par ailleurs de s’interroger sur ces mutations de gènes qui peuvent passer du milieu aquatique au milieu terrestre. Enfin, il y a les dérivés hormonaux utilisés en thérapeutique aussi bien pour l’animal que pour l’homme. Il s’agit de grands perturbateurs endocriniens. Là aussi il faut s’interroger sur la période de la vie la plus sensible à l’exposition à ces résidus. Il semblerait que la période périnatale soit la plus exposée à ces effets. En raison de son immaturité, le fœtus, dont les cellules sont encore en évolution, est particulièrement vulnérable à ces effets épigénétiques.

Quel rôle peuvent jouer les pharmaciens dans la prévention de ces risques ?

Ils peuvent influer à tous les niveaux du cycle de vie des médicaments : respect des bonnes pratiques environnementales, MNU. Les pharmaciens peuvent être des protecteurs de l’environnement en incitant leurs patients à ne pas jeter leurs MNU dans les toilettes. Ils ne doivent pas oublier qu’ils sont pratiquement les seuls à avoir une culture universitaire en santé-environnement. Ils doivent aller jusqu’au bout de la chaîne du médicament.

Une prescription écologique grâce à l’indice PBT

C’est l’un des chevaux de bataille du C2DS. La France devrait adopter le PBT (Persistent Bioaccumulation and Toxic). Cet indice d’aide à la prescription a été mis au point en Suède où il est utilisé par les médecins pour établir, selon une échelle de 1 à 9, la toxicité d’un médicament dans l’environnement à l’aune des taux rejetés par les urines. Avant de rédiger son ordonnance, le médecin interroge la base de données nationale régulièrement mise à jour, consulte le tableau incluant 13 classes thérapeutiques et prescrit selon un rapport bénéfice/risque. Il n’est pas obligé d’opter pour un principe actif de la liste PBT. Le PBT est une moyenne de 3 critères : la persistance dans l’environnement, la bioaccumulation et la toxicité, mesurée chacune selon une échelle de 0 à 3. A titre d’exemple, l’indice PBT de l’érythromycine est de 6 (3 en persistance, 0 en bioaccumulation, 3 en toxicité), même taux pour l’amoxicilline mais PBT de 9 pour l’ofloxacine ! « Nous devons continuer à promouvoir conjointement avec les pouvoirs publics des recherches spécifiques sur le risque potentiel, notamment en étant capables de prioriser les classes thérapeutiques et les molécules les plus importantes et de documenter leur impact sur la santé. En tout état de cause, la question est à traiter à l’échelle européenne. Et si les normes évoluent, il serait souhaitable que ce soit dans l’ensemble des pays. De là à dire qu’il faut adopter l’indice PBT… Dans la pratique, les prescripteurs ont davantage recours aux recommandations de bonnes pratiques pour le traitement des pathologies plutôt qu’à cette classification centrée sur l’impact environnemental », commente Philippe Lamoureux, directeur général du Leem.

Retrouvez une liste de molécules avec leur indice PBT sur WK-Pharma, rubrique « Complément d’articles ».