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TIMIDE RÉFORME DU MÉDICAMENT

Publié le 7 janvier 2012
Par Isabelle Guardiola
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Si tous les acteurs s’accordent à souligner le bien-fondé de la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé du 29 décembre, ils en soulignent cependant les imperfections. Et attendent avec intérêt les décrets d’application pour comprendre ce qui, concrètement, va changer.

L’objectif premier de la loi était la traque des conflits d’intérêts. Un décret en Conseil d’Etat fixera les conditions selon lesquelles une commission éthique, mise en place au sein de chaque agence régionale de santé, contrôlera la véracité des informations délivrées dans la déclaration d’intérêts, publique et obligatoire. « Les exigences attendues concernant l’expertise sont démesurées, objecte Michel Caillaud, président de l’UNPF. Devra-t-on choisir des experts européens ? Seront-ils neutres et non liés à d’autres intérêts extérieurs ? Je n’aime pas ces textes réactionnels qui jettent l’opprobre sur l’ensemble de la filière. Et l’officine est concernée par cette méfiance. » Dubitatives également, les associations, présentes au conseil d’administration de la nouvelle Agence du médicament mais exclues de celui du Comité économique des produits de santé et de la Haute Autorité de santé : « La partie sur la démocratie sanitaire est mal faite, estime Christian Saout, président du Collectif interassociatif sur la santé. Ce sont les processus qui font l’indépendance, pas les modes de financement. Nous analysons cette loi comme un recul de la légitimité associative et un formidable discrédit sur les associations de patients, accusées de collusion avec l’industrie. On nous flatte en nous disant indispensables, mais on n’a pas vraiment envie de nous voir… » Les industriels se disent pour leur part satisfaits de cette recherche de transparence : « Si cela peut nous éviter d’être suspectés en permanence de comportements antidéontologiques, j’en serais heureux pour les 110 000 personnes travaillant dans l’industrie, désignées comme des parias lors de certains débats parlementaires ou dans les médias », remarque Christian Lajoux, président du Leem.

Plus de pouvoir pour l’Agence du médicament

L’Afssaps, rebaptisée Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), voit ses missions renforcées. Elle prononcera des sanctions financières auprès des laboratoires en cas d’absence de mise en œuvre du système de pharmacovigilance, de déclaration d’un effet indésirable ou de non-communication d’un arrêt de commercialisation. Outre la révision quinquennale des AMM – « une vraie révolution », selon Gilles Bonnefond, président de l’USPO –, l’ANSM sera habilitée à demander au fabricant de mener des essais comparatifs pour prouver le bénéfice de son produit par rapport à un médicament existant, condition de son remboursement.

Si les acteurs soulignent le flou actuel de l’article, lui aussi en attente de décret (essais cliniques comparés à d’autres « stratégies thérapeutiques » et non à des principes actifs existants), ils se félicitent de cet encadrement renforcé. « Est-il en effet utile, quand un médicament arrive sur le marché, que quinze autres de la même classe suivent ? », s’interroge Marie-Christine Pérault-Pochat, présidente de l’Association française des centres régionaux de pharmacovigilance. « On ne pourra plus déguiser une ancienne molécule en nouvelle », confirme Gilles Bonnefond. La loi prévoit que même si un médicament a obtenu son AMM européenne, des études « de sécurité ou d’efficacité postautorisation » supplémentaires puissent être demandées : « Il y a encore peu, un laboratoire interrogé dans le cadre d’un plan de gestion des risques mettait parfois dix ans à mener une étude. Théoriquement, la loi devrait lui imposer le respect d’un calendrier, condition suspensive si les délais ne sont pas respectés », note Marie-Christine Pérault-Pochat. Elle loue aussi le caractère indispensable des articles sur les ATU et les reconnaissances temporaires d’utilisation (RTU) en hors-AMM, cadrées par un délai : « Certaines molécules avaient leur autorisation temporaire d’utilisation depuis des années, une façon pour le laboratoire de pénétrer le marché avec son produit. »

Face à ces mesures, les pharmaciens sont dans l’expectative : « Il n’est pas impossible que nous ayons un rôle à jouer dans les phases IV », projette Philippe Gaertner, qui espère que la mission de la profession sera renforcée : « Souhaitons ne pas devoir nous connecter sur le site de l’Agence pour être informés d’un plan de gestion des risques ou des incompatibilités médicamenteuses dans une prescription hors-AMM. » Le président de la FSPF rappelle que 2011 a été marquée par davantage de retraits de produits et de lots et qu’un plus grand contrôle retarde l’arrivée de nouvelles molécules.

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Dernier point, un article permet au gouvernement de prendre par ordonnance les mesures pour bloquer une chaîne du médicament falsifié et pour encadrer le commerce électronique : « J’attends que l’arbitrage de Xavier Bertrand sur cette interdiction soit limpide ! », appuie Gilles Bonnefond. « Reste à savoir comment on va bloquer sur la Toile des éléments venant de l’étranger… », s’interroge Michel Caillaud.

L’ESSENTIEL

• La loi sur le médicament a paru au Journal officiel du 30 décembre et les décrets d’application devraient paraître au cours des prochains mois.

• Elle réforme les règles déontologiques entre monde de la santé et industrie, la surveillance du médicament et l’information aux patients et aux professionnels.

• La profession est en attente de précisions : rôle du pharmacien dans la chaîne de vigilance, vente sur Internet, logiciels d’aide à la prescription et à la dispensation…

Les principaux points des 48 articles

• La loi oblige à la transparence des liens entre industriels et monde de la santé.

• Le médicament est évalué en continu tout au long de sa vie, la pharmacovigilance renforcée, les prescriptions hors AMM encadrées plus strictement.

• Un portail Internet rassemblant l’ANSM (qui remplacera l’Afssaps), la HAS et l’Assurance maladie sera à disposition du public et des professionnels de santé.

• La publicité des médicaments et des dispositifs médicaux auprès des professionnels de santé sera soumise à un contrôle a priori de l’ANSM.