Marchés Réservé aux abonnés

QUELS ARGUMENTS FACE AU BOYCOTT ?

Publié le 14 janvier 2012
Par Marie Luginsland
Mettre en favori

Génériques issus de pays en voie de développement, expérimentation animale, craintes des vaccins… Au comptoir, l’équipe officinale doit faire face au boycott de certains produits, voire à des mouvements d’opposition. Quels arguments avancer ? Comment calmer les soupçons qui peuvent peser sur un médicament ? Des experts répondent.

Teva, j’en veux pas. » A Paris, cet appel au boycott des génériques du laboratoire israélien Teva s’affiche sur les murs des couloirs et dans les rames du métro. En province, depuis près de deux ans, des manifestations se succèdent de ville en ville contre les pharmacies ou ciblent une enseigne nationale de parfumerie distribuant les produits Ahava, des cosmétiques aux actifs issus de la mer Morte. Cette vague de protestation émane du collectif BDS (Boycott désinvestissement sanctions) qui entend lutter contre la politique d’Israël d’occupation des terres palestiniennes. Comme d’autres pharmaciens (voir encadré), Jean-François Moisset, titulaire d’une officine au Puy-en-Velay (Haute-Loire), en a fait les frais. « Je leur ai répondu que,si une pharmacie commençait à boycotter les produits d’un laboratoire parce qu’ils étaient fabriqués dans un certain pays, nous pouvions continuer avec le paracétamol de l’Asie du Sud-Est », argue-t-il.

Sans atteindre cette virulence, l’appel au boycott et le refus de produits pour raisons idéologiques atteint par vagues régulières l’officine. Pendant plus de cinq ans, les pharmacies ont dû faire face au rejet des produits contenant du parabène. D’autres clients, munis de listes téléchargées sur Internet, mettent à l’index des cosmétiques et même des médicaments sous prétexte qu’ils ont bénéficié d’essais sur des animaux. Généralisé avec Internet, l’appel au boycott a pourtant été interdit en 2010 en France par le ministère de la Justice, qui s’appuie sur les articles 225-1 et 225-2 du Code pénal relatifs à la discrimination. Une interdiction que les associations contournent bien souvent. « Nous ne publions que des listes positives de produits non testés sur animaux », se défend Muriel Arnal, présidente de One Voice, l’association de défense animale qui a répertorié tous les cosmétiques sans expérimentation. Associés à des campagnes d’information, les boycotts se distinguent des refus individuels opposés pour raisons religieuses (refus de produits à base d’alcool ou de gélatine non halal ou casher), alimentaires (refus des dérivés de l’espèce animale, lactose et gélatine par les patients végans) ou encore personnelles. « Certains clients, par principe, refusent des produits. Ce sont de vraies objections reposant sur des inconvénients comme le goût du produit, la galénique, une allergie… », précise Marie-Hélène Gauthey, directrice associée du cabinet de formation Atoopharm.

Des alternatives pour calmer les inquiétudes

Alors, que faire ? « Une méthode consiste à proposer un produit de remplacement. Il en est de même face à des clients qui, par principe ou idéologie, refusent un médicament non remboursé ou un générique », avance Marie-Hélène Gauthey. Calmer les inquiétudes, c’est également ce que propose Christine, préparatrice en Seine-et-Marne : « Dès qu’une cliente a des réticences envers un produit susceptible de contenir du parabène, je vérifie avec elle directement au comptoir. Dans le doute, je lui propose un produit dont je suis sûre. » Dans tous les cas, l’officinal doit écouter la remarque du patient et faire preuve de compréhension. « Le titulaire ne doit pas nier ce qui constitue une réalité pour le patient. Avant toute chose, il est important d’écouter et de prendre en considération ce qu’il dit avant de répondre », conseille Brigitte Defoulny, directrice du cabinet Heliotrope.

« Dans un deuxième temps, si l’information est vraie, il convient de relativiser les faits au regard des bénéfices apportés par le produit. Si elle est fausse, il faut éviter de braquer le client en niant vigoureusement. Il est préférable de manifester de la compréhension avant d’argumenter », précise la formatrice. C’est alors souvent une question de formulation. Par exemple, pour l’expérimentation sur les animaux, le personnel officinal pourra avancer : « Je peux comprendre votre attitude, mais les essais sur les animaux, les rats en particulier, sont nécessaires pour étudier les effet potentiels indésirables avant de passer à l’expérimentation chez l’homme. »

Publicité

Faut-il pour autant s’engager sur le terrain glissant de l’idéologie au risque de transformer l’officine en café du commerce ? « Le titulaire doit avoir conscience que, en tant que commerçant et chef d’entreprise, il peut y avoir des risques à prendre parti dans un débat idéologique. Je le déconseille fortement », recommande Marie-Hélène Gauthey. Avec, toutefois, un bémol. « Si le titulaire défend lui aussi cette cause, il pourra s’engager sur le registre des valeurs. Il devra alors sortir de la zone du comptoir par respect pour les autres clients », renchérit la formatrice.

Le titulaire engage sa crédibilité

Cependant, il y a des limites au droit d’objection des clients : celles de la désinformation et de la manipulation. En effet, s’il ne réagit pas, le titulaire engage sa crédibilité. « Face à une mauvaise information, le titulaire devra rectifier en étant factuel et en s’appuyant sur des données chiffrées. Par exemple, si un client se déclare contre la vaccination, le titulaire pourra lui dire que certaines maladies ont disparu grâce à elle ou encore que la mortalité infantile a considérablement reculé », suggère Marie-Hélène Gauthey.

Autre exemple : le refus d’un générique venant de Chine. « Le pharmacien, en tant que professionnel de santé, a l’obligation de rétablir la vérité », renchérit Brigitte Defoulny. Mais, là encore, le patient ne devra pas être pris de front : « L’officinal doit englober le refus du client dans une attitude générale sans le viser directement », précise– t-elle. Dans ce cas, il faudra tempérer : « Effectivement, un certain nombre de personnes ont cette opinion, mais sachez que ce sont des médicaments qui ont une AMM et que, en aucun cas je ne me permettrais de vous vendre de tels médicaments si ces accusations étaient légitimes. »

Le titulaire aura d’autant plus d’aplomb pour contrer le refus de son client qu’il maîtrisera le sujet. Aussi, dès qu’un sujet de boycott est dans l’air du temps, l’officinal doit se préparer afin de ne pas être désarçonné. « Il est nécessaire d’anticiper les questions pour ne pas être pris au dépourvu. Dans le cas contraire, le risque est de s’engager dans une polémique difficile à gérer ou, au contraire, de rester coi et, dans ce cas, le silence peut être interprété comme un acquiescement », précise Brigitte Defoulny.

D’où l’intérêt de discuter des sujets d’actualité avec l’ensemble de l’équipe et de convenir de la conduite à tenir. « On pourra préparer à l’intention des collaborateurs depetites fiches argumentaires permettant de répondre aux objections », suggère Marie-Hélène Gauthey.

TÉMOIGNAGE

« Nous devons rester dans notre domaine »

ANNE-MARIE ESCUDIÉ, TITULAIRE À ALBI

L’officine d’Anne-Marie Escudié est l’une des trois pharmacies à Albi qui ont été la cible, il y a un peu plus d’un an, du collectif BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) dans le cadre de son tour de France. « Un homme âgé est entré et m’a demandé des produits Teva. A sa suite, des manifestants ont investi mon officine en scandant : “Elle travaille avec Teva ! Elle travaille avec Israël !” C’était assez violent », se souvient la titulaire du centre-ville. Devant la pharmacienne interloquée, les manifestants déroulent une liste ahurissante de produits. Anne-Marie Escudié, dont Teva n’est pas le premier génériqueur, se défend : « Avec la mondialisation et les rachats des laboratoires entre eux, il est devenu difficile de savoir à quel groupe appartient tel ou tel fabricant. Devons-nous entrer dans les conflits ? Nous sommes des professionnels de santé. Nous n’avons pas fait Sciences-Po ! Nous devons rester dans notre domaine. »