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« CHIFFRONS LE COÛT MONSTRUEUX DE L’ABSENCE DE COORDINATION »
Christian Saout est président du Collectif interassociatif sur la santé (CISS). Après l’« Année des patients et de leurs droits » qui vient de s’écouler et en cette période préélectorale, « Le Moniteur » a tenu à interroger ce porte-parole des patients connu pour son franc-parler. Il estime notamment que les pharmaciens pourraient être bien mieux utilisés.
Le Moniteur : A quoi sert le Collectif interassociatif sur la santé ?
Christian Saout : Le CISS a été créé au lendemain de la réforme de la Sécurité sociale d’Alain Juppé, en 1996, par l’ancien président d’AIDES, Pierre Lascoumes, et Nicolas Brun, chargé de santé de l’Union nationale des associations familiales, deux associations qui partageaient l’envie que s’exprime la vision des usagers du système de santé de manière combative et militante. Le CISS compte aujourd’hui 37 associations (familiales, de personnes âgées, handicapées, de consommateurs et de patients) regroupées autour des mêmes objectifs : informer les usagers du système de santé sur leurs droits, les former à jouer un rôle actif dans les instances où elles siègent, observer les transformations de notre système et communiquer en tant qu’interlocutrices privilégiées des pouvoirs publics. Sur ce dernier point, l’objectif est atteint. En revanche, il reste encore à « faire mouvement », ce qui est délicat pour notre collectif qui anime avant tout des structures et n’a pas de dialogue direct avec les militants et les bénévoles des associations. Nous avons encore du chemin à faire. Il faut que les associations de patients qui sont les moins organisées entre elles parmi les cinq piliers du CISS donnent plus de force à l’expression de leurs intérêts communs : prise en charge des soins par l’assurance maladie, parcours et coordination des soins, éducation thérapeutique, recherche médicale… Prenons l’exemple des registres des essais cliniques qui existent pour le VIH, dont on aurait pu s’inspirer et revendiquer leur prolongement dans d’autres pathologies.
Que reste-t-il de l’« Année des patients et de leurs droits » 2011 ?
Rien de nouveau. La réforme du médicament n’a pas été à la hauteur de nos espérances. Les associations ont peiné à imposer leur présence au conseil d’administration de la nouvelle Agence nationale de sécurité du médicament et n’ont pas obtenu de siège au Comité économique des produits de santé ou à la Haute Autorité de santé. Lors des débats, nous avons été attaqués et suspectés plus que jamais, et nous n’avons finalement pas obtenu les actions de groupe(1), que nous ne réclamions pourtant pas sur le modèle anglo-saxon mais adaptées à la française. L’année qui vient de s’écouler n’a pas apporté d’avancée marquante en matière de droits des usagers du système de santé.
En plein contexte préélectoral, entendez-vous des propositions qui vous séduisent ?
Ce qui est dit est plutôt tiède. Rien sur l’accès à la complémentaire santé, dans un pays où 5 millions de personnes n’en possèdent pas. Rien de concret sur les dépassements d’honoraires ; Xavier Bertrand propose même de créer un nouveau régime en plus des consultations : « sans », « avec dépassements » et « avec dépassements plafonnés »… Sur le défi que constituent les déserts médicaux, aucune proposition intéressante n’est formulée et tout le monde redoute de dire aux médecins qu’ils devraient prendre exemple sur les solutions développées par les pharmaciens et les autres professionnels de santé pour faciliter leur bonne répartition sur le territoire. Nous avons lancé un site pour sensibiliser l’opinion et interpeller les candidats (www.quellesanteaprès2012.org) rassemblant des éclairages associatifs et des points de vue d’experts sur ces enjeux que nous considérons essentiels.
Prôneriez-vous des mesures coercitives, à l’instar de celles de la Fédération hospitalière de France ?
La FHF est bien aimable, mais personne n’a envie de copier ce modèle pour l’appliquer à la médecine ambulatoire. Qu’elle s’occupe donc d’améliorer la réponse hospitalière qui en a bien besoin : comptes rendus opératoires et lettres de sortie trop souvent inexistants, absence de régulation de l’activité privée à l’hôpital, manque criant de lien entre l’hôpital et la médecine de ville… Ceci étant, je ne crois guère à la coercition, ne serait-ce que parce qu’il n’existe pas un vivier de médecins à contraindre, la démographie étant plutôt à la baisse. Même si les chiffres donnent le sentiment qu’il y a beaucoup de médecins, il faut en fait compter en « temps médical disponible ». C’est cela qui fait défaut, car la profession s’est féminisée et, de façon générale, les jeunes médecins ne veulent plus des rythmes de travail de leurs aînés. Il faut au moins limiter l’installation en zones surdotées en bloquant le conventionnement, et aussi modifier le mode de rémunération en développant le « forfait par patient » pour rendre les zones sous-médicalisées plus attractives. La promotion de l’exercice regroupé, comme avec les maisons de santé, est aussi de nature à améliorer l’attractivité. La généralisation des outils d’échange électronique peut également faciliter certains exercices. Mais il faut cesser de disqualifier la médecine générale – où l’on peut traiter plus de 80 % des pathologies ! Le rapport Marescaux publié en 2009 (2) pointait que seuls 4 % des cas traités en CHU en relevaient… Enfin, il faudrait aussi que les services publics se montrent exemplaires en cessant de déserter certains territoires.
Quel premier bilan faites-vous de la loi HPST, et notamment des nouvelles missions qu’elle prévoit pour les professionnels ?
La coopération présente un intérêt si elle génère la coordination des soins. Or derrière le sujet « coopération » dans la loi HPST se dissimule en fait la délégation des tâches subalternes, mais absolument pas de coordination. On a fait de la « câlinothérapie » pour rendre la notion de délégation de tâches acceptable pour les médecins. Je ne suis pas certain que l’on puisse modifier l’esprit de la loi et parvenir à une véritable coopération interprofessionnelle, bien plus complexe et supposant un changement de culture. Ce dernier va s’imposer avec le temps, les jeunes générations étant conscientes que l’on ne peut plus travailler seul, face à des pluripathologies nécessitant une prise en charge pluridisciplinaire. La vision du professionnel irremplaçable est dépassée dans d’autres domaines professionnels, plus personne ne raisonne en pensant qu’il est lui-même indispensable et la culture du partage des compétences s’impose progressivement. J’aimerais que l’on chiffre, dans notre pays, le coût monstrueux de l’absence de coordination, comme on a mesuré celui des inadéquations hospitalières ou des accidents iatrogènes…
Parleriez-vous de lobby médical ?
Il semble que les médecins aient eu ce pouvoir en 1997. Après les ordonnances Juppé, on a souvent estimé que les médecins avaient fait passer la consigne indirecte, dans leur cabinet, de ne pas voter pour le gouvernement sortant et d’avoir ainsi favorisé le retour de la gauche. Il semble donc admis, en science politique, que les médecins ont un pouvoir électoral incitatif, mais je n’en suis pas certain. Ce qui me paraît plus certain, c’est que nos concitoyens acceptent de moins en moins que collectivement les médecins fassent défaut à ce qui est leur honneur : soigner quoi qu’il arrive. Or, en refusant d’exercer dans certaines zones ou en pratiquant des dépassements d’honoraires exorbitants, les médecins choquent profondément nos concitoyens. Pourquoi ? Parce que, derrière la maladie, c’est la vie qui est en jeu et que la préservation de la vie passe au-dessus de tout. Au fond, nous considérons tous qu’il y a implicitement un service public de santé de proximité, comme l’a jugé d’ailleurs le Conseil d’Etat dans le célèbre arrêt « Ville de Nanterre » à propos de l’ouverture, lors de travaux d’aménagement dans les années 60, d’un cabinet dentaire par la commune en l’absence d’initiative privée. Après tout, un service public peut exister et être incarné par une offre privée, une offre publique ou une offre privée à but non lucratif. C’est comme cela que fonctionne le service public hospitalier ! C’est le nouvel horizon. C’est cette étape qu’il faut réussir si l’on veut éviter la coercition à l’installation que tout le monde semble avoir en horreur. Nous devrions pouvoir nous mettre d’accord sur une telle démarche. L’une des solutions pour changer la donne serait, au lendemain des élections présidentielle et législatives, de convoquer les seconds états généraux de la santé (3) pour débattre véritablement de ces enjeux.
Vous avez souligné que le pharmacien était mal utilisé dans notre système de soins. Avez-vous changé d’avis ?
Les revenus de la pharmacie vont baisser : le médicament est moins cher, on prescrit moins, il faut prévoir un nouveau modèle économique. Il est dommage d’avoir des professionnels bien répartis sur tout le territoire et de ne pas mobiliser leurs compétences pour le suivi, l’accompagnement, le dépistage, le référencement… Il me semble ainsi que la coordination, tâche organisationnelle et logistique, pourrait être assurée notamment par les pharmaciens. On devrait adopter un principe : dès lors qu’il y a des soins, il y a un parcours de soins et un coordinateur de soins, choisi par le patient. Il peut opter pour l’infirmière ou, pour plus de discrétion, pour le pharmacien du village d’à côté ou encore le kinésithérapeute situé à 15 kilomètres. Des professionnels de santé sont présents partout, plus ou moins bien répartis, et ne disposent pas toujours du revenu attendu faute d’activité : ils pourraient être mobilisés pour ce type de tâches s’ils en ont la compétence, l’appétence et les qualités d’empathie nécessaires. La solution n’est sûrement pas du côté du cabinet médical : déjà débordés, les médecins demandent en plus la responsabilité de la coordination, ce n’est pas crédible. Cependant, pour que la coordination des soins soit attribuée à d’autres professionnels de santé, il faut qu’ils puissent garantir le respect de la confidentialité, y compris physiquement. Ce n’est pas toujours évident en pharmacie où font souvent défaut les espaces adaptés à la discrétion requise pour un entretien.
Quelle est votre position en ce qui concerne le non-substituable ?
Deux remarques nous parviennent. La première consiste à dire, notamment pour les personnes âgées, qu’il est difficile de s’y retrouver : le nom change, la couleur de la boîte aussi. Or ce sont souvent des repères mémoriels. La mention en DCI en plus du nom de fantaisie, rendue obligatoire par la réforme, permettra peut-être de contourner cet écueil. Les conditionnements sont différents, les patients s’y perdent et il faudrait sans doute y mettre de l’ordre. La seconde réserve porte sur la sensation, pour les patients, que parfois un générique ne produit pas le même effet que son princeps. Dans ces cas limités, il faut non pas le nier mais s’attacher à vérifier cet écart entre générique et princeps. La pharmacovigilance devrait le permettre, à condition d’être expliquée aux patients et de solliciter leur implication dans ce mécanisme
On n’écoute pas assez les patients ?
La conséquence induite par notre médecine à l’acte est l’enchaînement des consultations, parfois à un rythme soutenu, pour disposer du revenu que l’on estime adéquat. Dans ce système, la rédaction de l’ordonnance est devenue un outil pour mettre fin à un entretien. Gérer la frustration du patient, mener un entretien sur un mode de relation d’aide est plus complexe que prescrire à tour de bras. La seule façon de lutter contre cette aberration est de considérer les personnes, d’écouter leur récit, leur histoire et de s’interroger sur leurs besoins. C’est tout ce que l’on n’apprend pas à faire aux médecins lors de leurs études, auxquelles la puissante Conférence des doyens refuse les évolutions essentielles pour une meilleure adéquation de la réponse médicale aux besoins nouveaux des patients.
L’e-prescription vous paraît-elle servir l’intérêt des patients ?
L’idée de l’adaptation des logiciels d’aide à la prescription à un certain nombre de critères de santé publique est bonne. Au vu du nombre d’incidents iatrogènes en France, cela ne devrait pas nous déranger qu’un signal alerte un professionnel en cas de contradiction entre deux médicaments d’une même prescription. Aujourd’hui, le seul qui soit alerté dans ce cas de figure est le pharmacien. L’aide à la prescription permettrait aussi de voir plus de génériques sur les ordonnances et peut-être moins de gros coups de tampons « NS » sur celles-ci. L’e-prescription sous-entend aussi le transfert électronique du médecin au pharmacien, ce qui peut éviter aux personnes de transporter leur ordonnance avec elles, et parfois de les égarer. On peut enfin comprendre l’e-prescription comme un acte à distance, sans voir le patient ; elle ne peut alors s’inscrire que dans les dispositions de la télémédecine bornées par la loi Bachelot, laquelle a prévu la reconnaissance de cinq actes, et rien d’autre. Mais rien de tout cela n’est encore instauré ni clair.
Tout cela avec des garanties de sécurisation des données ?
L’informatisation fait progresser la sécurité mais, en cas de violation d’un système, les conséquences sont beaucoup plus graves. On vend sur Internet des machines qui permettent d’aller sur le web en cryptant les données : cela montre bien qu’une frange de l’opinion est attachée à la sécurité de la confidentialité des données. J’ai peur que demain, après le Mediator on assiste à un « Internetor »… Depuis le rapport Nora-Minc sur l’informatisation de la société, publié en 1977 et ayant donné lieu à la très protectrice loi informatique et liberté en 1978, on n’a pas rebattu les cartes. Or aucune question n’est aujourd’hui posée par exemple sur la filière de destruction des matériels informatiques dont les personnes se débarrassent, qui n’est pas du tout sécurisée quant aux informations qu’ils contiennent. Je suis également surpris de la façon dont on a communiqué sur le dossier pharmaceutique ou le dossier médical personnel, y compris dans certaines pharmacies où l’on ne dispensait pas d’information préalable complète et compréhensible. Je ne suis donc pas certain, ainsi, que beaucoup de personnes sachent ce que signifie l’hébergement des données… Nous aurions besoin d’un débat public sur la question : peut-être, après tout, à l’heure de Facebook et d’Internet, que nos concitoyens ne sont pas inquiets ? A l’occasion du lancement de Code d’urgence, un service commercial privé qui permet par exemple en cas d’accident l’accès à ses données de santé par les pompiers, tout le monde a trouvé cela formidable. Mais accepterions-nous l’approche des Anglais qui ont une autre façon de voir le privacy ? Les données de santé étant considérées comme utiles à la santé publique, elles ne sont pas soumises à autorisation de collecte vis-à-vis du patient ! Les Anglais ont cependant des outils et des réactions judiciaires plus musclés, comme par exemple les actions de groupe et les sanctions massives en cas de violation des données personnelles à un usage non prévu.
(1) Procédure judiciaire qui permet à un grand nombre de consommateurs de poursuivre une personne morale afin d’obtenir une indemnisation.
(2) Le professeur Jacques Marescaux présida en 2009 une commission sur l’avenir des centres hospitaliers universitaires.
(3) Des états généraux de la santé se sont tenus dans toute la France de septembre 1998 à juin 1999. Plus de 1 000 réunions dans 180 villes ont rassemblé près de 200 000 participants autour de débats citoyens sur la santé.
Ses dates clés
Depuis 1993 Magistrat administratif
De 1998 à 2007 Président d’AIDES, dont il est volontaire depuis 1993
Depuis 2007 Administrateur et président d’honneur d’AIDES et président du Collectif interassociatif sur la santé
2006 à 2010 Président de la Conférence nationale de santé
Christian Saout est également :
• Membre du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie depuis 2004
• Membre du conseil d’administration de l’INSERM depuis 2009
• Membre de l’Observatoire national des professions de santé depuis 2009
• Membre du conseil d’administration de la Fondation Roche pour les maladies chroniques et du conseil d’administration de la Fondation La Mondiale
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