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SIX CONSEILS POUR APPRIVOISER LA NUIT

Publié le 11 février 2012
Par Chloé Devis
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Coller à l’évolution des modes de vie, répondre aux attentes de publics spécifiques, se démarquer de la concurrence ?: autant de raisons justifiant l’ouverture au-delà des horaires habituels, hors système de garde. Un positionnement qui doit s’appuyer sur une organisation à la hauteur.

1 Relever le pari sur des bases solides

Au vu des contraintes et des coûts qu’elle implique, la décision d’ouvrir la nuit doit s’avérer pertinente au regard du profil et de la situation de son officine. C’est bien entendu en milieu urbain, et dans les grandes agglomérations en particulier, que le rythme de vie s’avère le plus en phase avec une forte amplitude horaire. Les zones touristiques se prêtent particulièrement à cette démarche.

Des caractéristiques sociosanitaires peuvent également entrer en ligne de compte : « Troyes est une ville dont le patrimoine historique attire de nombreux visiteurs et dont la population présente un taux de chômage élevé, d’où une forte demande de soins », explique Sandra Remoleur, future associée dans une pharmacie ouverte 24 heures sur 24 à Troyes (Aube), la première de la ville.

La surface de la pharmacie et la taille de l’équipe officinale doivent en outre permettre de faire face au surplus d’activité.

2 Respecter ses obligations

« Liberté du commerce oblige, il n’y a aucune raison de considérer comme de la concurrence déloyale la pratique des horaires nocturnes », assure Thierry Foyard, avocat associé au cabinet LFA. L’article L. 5125-22 du Code de la santé publique précise qu’un pharmacien est autorisé à ouvrir son commerce au-delà des horaires habituels, lorsqu’il n’effectue pas un service de garde, uniquement s’il le fait pendant toute la durée du service considéré. Il doit donc en principe fermer au plus tard à 21 heures, ou rester ouvert toute la nuit. Un arrêté préfectoral peut néanmoins interdire l’ouverture d’une pharmacie nocturne (hors système de garde) dans la région. Autre devoir : avertir ses confrères amenés à effectuer le service de garde de l’ouverture de son officine durant la durée de celui-ci.

A Troyes, les associés de la pharmacie ont rencontré les organisations syndicales en amont. « Nous sommes nous-mêmes dans le tour de garde et, lorsque la permanence nous revient, nous touchons les indemnités correspondantes », précise Sandra Remoleur.

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3 Valoriser le service apporté

Le service que représentent des horaires d’ouverture étendus transparaît sur l’image de l’officine. Il faut communiquer in situ en adoptant une signalétique claire : mention « 24 h/24 » ajoutée à la croix verte si tel est le cas, stickers en vitrine… « Nous prévoyons d’équiper la vitrine de lumières vertes la nuit », indique Sandra Remoleur. L’ouverture nocturne peut ainsi constituer un levier de croissance : « Durant la nuit, nous réalisons le chiffre d’affaires d’une garde, mais le gain de notoriété que nous retirons de notre spécificité fait aussi augmenter nos ventes de jour », soutient Sandra Remoleur. Attention toutefois à ne pas surestimer la rentabilité de l’activité nocturne en elle-même, qui se restreint fortement à partir de minuit ou 2 heures !

4 Organiser l’équipe

Le recrutement de l’équipe de nuit doit être étudié avec attention, celle-ci devant être particulièrement expérimentée afin de faire face aux urgences. La Pharmacie de la Porte de Vincennes, à Paris, qui ferme ses portes à 2 heures du matin, tourne avec trois pharmaciens ne travaillant que la nuit, les effectifs étant calibrés en fonction de la tranche horaire. Dans la Pharmacie de l’Horloge à Tassin-la-Demi-Lune (Rhône), dirigée par Séverine Galle, « trois pharmaciens en CDI se relaient au cours de la semaine pour assurer la tranche horaire 19 h 30-7 h 30, un autre collaborateur étant présent jusqu’à 21 h 30 ».

« Concernant le travail de nuit des salariés, le Code du travail stipule qu’une autorisation de l’inspection du travail est requise en l’absence d’accord collectif de branche, comme dans le cas de la pharmacie, rappelle Thierry Foyard. Le dossier doit faire état des motifs du recours au travail de nuit. Dans le cas des pharmacies, c’est l’utilité sociale qui peut être avancée. » En outre, tout changement d’horaires doit être négocié et la médecine du travail consultée.

Quant à la rémunération, selon la convention collective elle doit être majorée de 20 % de 20 heures à 22 heures et de 5 heures à 8 heures, et de 40 % entre 22 heure et 5 heures. Dans les faits, nombre d’officines fonctionnent avec un forfait de nuit de l’ordre de 200 à 300 euros, équivalent à celui des gardes. « Les associés de la pharmacie eux-mêmes effectuent les permanences nocturnes à partir de 22 h-22 h 30, en attendant la montée en puissance de l’activité, indique Sandra Remoleur. Certaines activités chronophages et sans valeur ajoutée comme la gestion des caisses et des télétransmissions ont également été tranférées sur ces horaires nocturnes. » Dans le cas des pharmacies ouvertes 24 heures sur 24, il est de coutume de mettre un lit à la disposition du pharmacien de nuit.

5 Prévoir des stocks adaptés

Moins d’ordonnances, davantage d’urgences et de dépannages en tous genres : les spécificités des clients qui arrivent tard le soir ou dans la nuit doivent être prises en compte par l’officine avec des stocks en conséquence pour les rayons concernés, qui vont de l’orthopédie aux traitements substitutifs en passant par l’héparine, les perfusions, la contention, les traitements de l’hypertension… « En tant que pharmacie ouverte 24 heures sur 24, notre principe est de tout avoir, dans tous les formats », clame Sandra Remoleur. Une contrainte qui requiert un espace adapté et une gestion rigoureuse.

6 Concilier accueil et sécurité

Il est nécessaire d’investir dans la panoplie préventive classique : vigiles (environ 20 euros de l’heure), système d’alarme et de vidéosurveillance. « Nous avons installé sept caméras, déclarées en préfecture, pour un coût de 1 500 euros », indique Sandra Remoleur. La pharmacienne prévoit également d’isoler la parapharmacie en soirée.

La plupart des pharmacies de nuit font également le choix, à l’instar de ce qui se pratique pour les gardes, de passer à volets fermés à une heure plus ou moins tardive de la soirée, une sonnette voire un numéro de téléphone affiché permettant de joindre le pharmacien. Un sas peut aussi être aménagé, comme celui de la pharmacie de Troyes, équipé de chaises, d’une télévision et d’un chauffage.

Pharmacies nocturnes et gardes

Pourquoi des pharmacies à ouverture tardive, voire nocturne, alors qu’il existe un système de garde ? La polémique ressurgit régulièrement à l’occasion de nouvelles ouvertures ou de certaines réformes. Ces pharmacies insistent pourtant sur leur valeur ajoutée : « Nous sommes plus accessibles que les pharmacies de garde en l’absence de filtrage du commissariat, et nous avons des relations plus étroites et approfondies, car quotidiennes, avec les soignants, SOS Médecins, le personnel du CHU, etc. En outre, nous ne nous contentons pas de traiter les urgences, nous dépannons, nous répondons aux questions », arguë Sandra Remoleur, en cours d’association à Troyes. Jean-Charles Tellier, président de la section A, rappelle que « l’existence de pharmacies 24 h/24 n’interdit pas l’organisation d’un système de garde et d’urgence ». Il déplore cependant le flou dont fait preuve l’article L. 5125-22 du Code de la santé publique, lequel évoque, pour les gardes, un service apte à répondre aux besoins du public en dehors des « heures d’ouverture généralement pratiquées ». Or, Jean-Charles Tellier constate que « ces horaires sont très variables sur l’ensemble du territoire et sont fonction des spécificités de chaque zone ». D’où son appel à une table ronde pour réfléchir à une réorganisation du système de gardes.