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LE LENT DÉMARRAGE DES URPS

Publié le 28 avril 2012
Par Claire Bouquigny
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Deux ans après la création des ARS, les unions régionales des professionnels de santé (URPS) sont quasiment toutes installées et les pharmaciens élus planchent sur l’organisation des soins en région et sur des expérimentations de coopération interprofessionnelle. Un travail de très longue haleine.

L’organisation de la santé au niveau de chaque région doit être élaborée et gérée par les professionnels locaux, c’est ce qu’a prévu la loi Hôpital patients santé et territoires (HPST). Pour ce faire, la loi a créé les agences régionales de santé (ARS) qui réunissent les anciennes directions administratives et hospitalières régionales et leur pendant libéral que sont les unions régionales des professionnels de santé (URPS). Il existe une URPS par profession de santé libérale conventionnée et par région. Leurs membres sont issus des organisations syndicales. Ils ont été soit élus (pharmaciens, médecins, infirmiers, chirurgiens-dentistes et masseurs-kinésithérapeutes), soit désignés pour les professions réunissant moins de 20000 personnes (sages-femmes, orthophonistes, orthoptistes, pédicures-podologues et biologistes).

Tout ce qui touche à la santé les concerne. Les représentants de chacune de ces entités : libéraux, établissements de santé publics et privés, administrations travaillent ensemble et avec les représentants du secteur médico-social, les associations de patients et les élus locaux. Ils se réunissent en commissions et discutent afin de déterminer l’offre médicale à mettre en place pour assurer l’égalité des soins pour tous. « Au début, on se regardait un peu en chiens de faïence, rapporte Lucien Désert, président de l’URPS Pharmaciens de Bretagne ; maintenant on se tutoie ». Les discussions portent aussi bien sur l’ouverture de services hospitaliers que sur la mise en place de chirurgie ambulatoire, les accompagnements de sorties hospitalières, l’installation d’un scanner ou l’implantation de maisons de santé. La problématique varie selon les régions. Les zones rurales où la désertification médicale est déjà une réalité n’ont pas la même problématique que celles du sud de la France où il y a une forte densité de médecins. Les centres des grandes agglomérations n’ont pas les mêmes besoins que leurs banlieues, certaines régions ont des pathologies particulières, etc.

Plans, schémas, conférences et autres commissions

Partant des réalités régionales, les professionnels doivent établir des priorités et définir des stratégies à mettre en &œlig;uvre pour y répondre. Les résultats de leurs travaux constituent le plan régional de santé (PRS) spécifique de chaque région. Ce plan intègre les trois sous-ensembles que sont les schémas régionaux d’organisation : l’organisation des soins (SROS), la prévention (SRP) et le médico-social (SROMS). Les URPS doivent contribuer à l’organisation de la permanence et de la continuité des soins, aux nouveaux modes d’exercice et à la mise en place des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) avec les réseaux, les centres, les maisons et les pôles de santé. Elles participent également à la mise en œuvre du développement professionnel continu (DPC). Et elles font partie des instances consultatives que sont la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA), les commissions de coordination des politiques de santé et les conférences de territoire. Un programme très chargé donc pour les élus dont le nombre varie en fonction du nombre d’officines dans la région. Ils sont ainsi 24 en Ile-de-France mais seulement 3 en Corse, dans les Antilles et en Guyane, et ce pour les mêmes charges. Jean-Luc Audhoui (FSPF), qui coordonne les 26 URPS de pharmaciens, explique que l’échange issu de cette coordination est essentiel car « chacun se sent un peu seul dans une structure en construction face à une ARS omniprésente. »

Des élus locaux invités aux réunions

Chaque membre d’URPS est le porte-parole et le défenseur de son corps de métier. « Nous sommes souvent 20 ou 25 personnes autour de la table pour travailler ensemble autour du patient. On discute des tenants et des aboutissants de chaque situation. Chacun apporte son point de vue. On y défend notre place, rien que notre place » commente Lucien Désert. En cas d’absence de consensus les décisions sont votées à main levée ou à bulletins secrets quand la discussion est très serrée. Les pharmaciens sont particulièrement concernés par la désertification médicale et l’implantation de maisons de santé qui peuvent mettre en péril le maillage des officines en favorisant l’officine la plus proche au détriment des autres. Les élus locaux sont associés aux réunions portant sur ce thème pour qu’ils prennent conscience des conséquences de certains choix. L’offre de soins est discutée à partir de cartes sanitaires comprenant les lieux d’implantation des médecins, des infirmiers, des officines, des établissements de santé… « Nous avons insisté pour qu’y soient portés les chiffres d’affaires par tranches des officines afin de déceler celles qui avaient des difficultés » rapporte Lucien Désert. Enfin, si ce dernier est très optimiste sur l’évolution de ces échanges, il est conscient que le processus sera long à mettre en marche et est très inquiet quant au financement des projets.

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Défendre le monde libéral et faire front ensemble

Au fil des réunions, les professionnels libéraux découvrent les « pratiques de chacun ce qui permet de lever les clichés, les amalgames et les idées reçues », commente Jean-François Kuentz, président de la région Alsace. Dans la plupart des régions les relations sont très positives. C’est le cas notamment dans le Limousin où « les médecins ruraux sont tellement débordés qu’ils sont prêts à laisser des missions aux pharmaciens » explique le président Alain Perrier. Par ailleurs, il est apparu que les professionnels de santé libéraux avaient tout intérêt à s’associer pour faire contrepoids au monde hospitalier. Il suffit pour s’en convaincre de savoir que seulement 6 sièges sur 100 sont attribués à des libéraux dans les Commissions régionales de la santé et de l’autonomie (CRSA). Ainsi, dans plusieurs régions, les URPS ont très vite commencé à travailler ensemble sur des projets communs et à mutualiser leurs moyens. C’est le cas dans la région Centre, comme le relate la présidente Elisabeth Lemaure : « lorsqu’on a appris que l’ARS faisait le SROS sans nous les professionnels libéraux, on a décidé de travailler ensemble et de présenter des projets communs. Toute information reçue par une profession est diffusée à toutes les professions. Nous avons aussi tous lu le projet de plan régional de santé ce qui nous a permis de demander des modifications d’ensemble ». Une démarche commune s’est également avérée payante en Champagne-Ardennes où les professionnels libéraux se sont unis pour porter un projet autour des détournements d’ordonnances. Cette entente est logique pour Claude Baroukh, secrétaire de l’URPS Pharmaciens de Basse-Normandie, qui remarque qu’à l’hôpital le couple naturel est le couple médecin/infirmière mais qu’en ville c’est le couple médecin/pharmacien. Enfin, les tours de gardes sont discutés ensemble afin que les gardes des pharmaciens ne soient pas désorganisées par la mise en place de celles des médecins.

L’éducation thérapeutique du patient, un thème fédérateur

Les élus doivent également proposer des projets d’expérimentations de coopération interprofessionnelle et de transfert d’actes et d’activités entre professionnels. De nombreux projets sont en préparation. En Rhône-Alpes, Gilles Bonnefond, président de l’URPS Pharmaciens ( il est également président du syndicat USPO) explique que des groupes de travail ont été constitués sur des thèmes porteurs et calés sur la stratégie de l’ARS, comme les sorties d’hôpital qui concernent tous les professionnels de santé. L’autre grand thème à l’étude dans de nombreuses régions est l’éducation thérapeutique du patient, qu’il s’agisse de la mettre en place ex nihilo ou de prendre le relais en ville des patients qui ont été formés pendant leur séjour à l’hôpital. Les idées ne manquent pas. Le dépistage et la prévention, par exemple, figurent en bonne place au programme de l’URPS Ile-de-France, comme l’explique Renaud Nadjahi, son président : « nous travaillons sur ces thèmes pour le diabète, l’hypertension, le cholestérol, l’asthme, l’obésité, les maladies chroniques et plusieurs projets ont déjà été acceptés par l’ARS. » Tout l’enjeu de ces recherches est, en effet, de trouver un projet qui soit suffisamment pertinent pour être étendu. Il ne suffit pas d’avoir une idée, il faut convaincre les instances de son bien-fondé. Les étapes pour y parvenir sont nombreuses. Tout d’abord un projet de protocole très précis est déposé à l’ARS. Celle-ci l’examine et si elle le juge conforme l’envoie à la Haute Autorité de santé (HAS). Là, une commission de suivi analyse le protocole puis elle le valide, ou elle le renvoie si elle estime que des éléments doivent être corrigés. En cas d’accord, le directeur général de l’ARS signe un arrêté d’autorisation du protocole. Enfin, une demande d’adhésion de professionnels de santé au protocole est faite. Elle doit être autorisée en retour par l’ARS. Le processus, on le voit, est long à mettre en place, d’autant que plusieurs allers-retours peuvent avoir lieu entre la HAS et l’ARS avant que le protocole de coopération ne soit validé.

Des expérimentations opérationnelles et généralisables

« C’est un travail colossal » affirme Charles Fauré, président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Celle-ci a décroché un des premiers financements, soit 42 000 euros alloués par l’ARS pour une expérimentation de dépistage du diabète. Deux autres projets ont également été approuvés. Le premier est un protocole d’éducation thérapeutique sur des patients en post-infarctus avec un budget de 36 000 euros en Pays de la Loire. Le second est un financement de 6 000 euros pour une campagne d’information sur le bon usage des médicaments en Bourgogne. « L’opération a mobilisé 70 % des 617 pharmacies bourguignonnes et touché 300 000 patients, commente Alexandre Berenguer qui préside la région. Les idées foisonnent : audits des besoins des personnes âgées à domicile en Alsace, problématique des DASRI et de la distribution des comprimés d’iode en Auvergne, automesure tensionnelle et dépistage du cancer colorectal en Bretagne, suivi des insuffisants rénaux chroniques et chimiothérapies à domicile dans le Centre. Sans oublier les bilans vaccinaux dans le Nord-Pas-de-Calais, des enquêtes épidémiologiques liées aux sorties de produits en Languedoc-Roussillon et les problématiques de la contraception en région PACA, des IVG à La Réunion et des EHPAD en Rhône-Alpes… Seule l’URPS de Picardie a sciemment décidé de ne pas se lancer dans des expérimentations. Pour Cécile Gaffet qui la préside : « il y a de telles situations de détresse dans la région qu’il n’y a pas de temps pour les expérimentations » ; par ailleurs elle craint avec ces projets de « s’engouffrer dans le provisoire ». Le véritable défi de ces expérimentations est, en effet, qu’elles soient opérationnelles sur le terrain et généralisables. « Il y a des espoirs et des idées intéressantes, commente cependant Michel Caillaud, président de l’UNPF, mais il faudrait un cadrage national et prêter attention aux changements d’échelle et aux transpositions des actions locales au plan national ».

Fédérations des URPS en panne

Il est prévu que toutes les Unions régionales des professionnels de santé soient réunies au sein d’une fédération régionale des URPS. Celle-ci aura pour mission de porter les projets interprofessionnels de collaboration et de délégation de tâches auprès des commissions de l’ARS, d’où l’importance de leur mise en place pour pouvoir démarrer. Mais, pour l’instant, tout est bloqué car les biologistes n’ont toujours pas nommé leurs représentants régionaux. Quand ce sera le cas, chaque URPS devra désigner trois de ses membres pour participer à la fédération. Celle-ci sera financée par une participation égale à 5 % du budget de chaque URPS, ce qui pose problème aux médecins qui sont parmi les plus gros contributeurs au financement et aux petites URPS qui, a contrario, ont très peu de moyens.

Faire fi de l’étiquette syndicale

Les URPS se sont mises en place après les élections de décembre 2010 au cours desquelles les trois syndicats professionnels (FSPF, USPO et UNPF) se sont affrontés. Ils ont obtenu dans chaque région un nombre de sièges proportionnel au nombre de voix remportées par chacun d’eux. « Ce qui a mis en évidence la question de la représentativité des syndicats », souligne Gilles Bonnefond, président de l’USPO et président de l’URPS Rhône-Alpes. La FSPF a pris la première place, et la présidence, dans 20 régions sur 26. Quatre régions ont été remportées par l’USPO. Enfin, dans les deux dernières régions, Poitou-Charentes et Rhône-Alpes, FSPF et USPO sont arrivés à égalité de voix. Elles ont offert au seul élu UNPF une position d’arbitre et le choix de la présidence qu’il a, dans les deux cas, attribuée à l’USPO. De ce fait, la plupart des équipes sont panachées associant des élus issus de deux ou trois syndicats, ce qui peut engendrer ici ou là quelques tensions. Mais dans l’ensemble « les couteaux sont rentrés », commente Michel Caillaud, président de l’UNPF et les élus travaillent de concert dans des URPS, tout en prenant garde « de ne pas se tromper de casquette », souligne François Maeder, président de la région Auvergne.