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« LA MISSION DE PHARMACIEN CORRESPONDANT EST UNE PROPOSITION À DÉFENDRE »

Publié le 2 juin 2012
Par Isabelle Guardiola
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Réorganiser le premier recours autour d’équipes pour offrir à la population une garantie territoriale d’accès aux soins est la proposition centrale du syndicat de médecins généralistes MG-France. Interview de son président, Claude Leicher.

LE MONITEUR : Vous défendez en premier lieu deux sujets : l’accès aux soins et la médecine générale. Diriez-vous que vous les traitez à égale importance ? Et assistez-vous à une paupérisation de votre patientèle ?

CLAUDE LEICHER : Nous les avons toujours placés au même niveau. Pour des raisons économiques et sociologiques, nous pensons qu’un bon accès aux soins est une exigence que les professionnels et l’ensemble du système de santé doivent avoir pour la population. La population et les politiques ne pourraient accepter que seule une petite partie de la population puisse bien se soigner… Le terme de paupérisation peut étonner certains professionnels parce que nous sommes un pays riche, la cinquième puissance industrielle mondiale. Tous les médecins n’en ont pas conscience et opposent parfois des réactions d’incompréhension. On a bien amélioré l’accès à la CMU et l’on sait que ceux qui ont le taux le plus élevé de patients en CMU sont les généralistes. Nous sommes donc très sensibles à ce sujet parce que nous avons vu progressivement, chez les jeunes, la CMU gagner du terrain, et après avoir concerné les personnes précaires, gagner du terrain également chez les salariés, etc. La CMU peut toucher n’importe qui, tout au long du parcours professionnel et de la vie. En même temps, ce dispositif nous a soulagés parce qu’il a solvabilisé des patients qui ne pouvaient plus venir nous voir pour se soigner.

Le renoncement aux soins devient-il un sujet moins tabou ?

Certainement, et cela vient du fait que la problématique des dépassements d’honoraires devient émergente, alors que pendant vingt ans, on n’a pas entendu parler du secteur 2 dans nos cabinets… Par ailleurs, cette histoire de dépassement commence à devenir sensible dans les classes moyennes. Les personnes qui ont une mutuelle ne remboursant pas ces dépassements renoncent à certains frais. Je le vérifie auprès des enseignants cotisant à la MGEN, première mutuelle de France, laquelle ne prend pas en charge les dépassements. Je fais partie du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, avec qui nous avons mené deux grandes études sur le reste à charge et le renoncement aux soins. C’est devenu l’un des sujets centraux, or nous nous sommes longtemps sentis seuls sur le sujet, y compris du côté des associations de patients que l’on a vu se mobiliser lentement sur les dépassements d’honoraires. Aujourd’hui les décideurs politiques considèrent que ce sujet doit être traité.

Quels leviers peuvent être actionnés rapidement et facilement pour favoriser une nécessaire évolution ?

Nous pensons que les ressources du système de santé, soit 11,5 % du PIB, doivent assez facilement nous permettre de régler ce problème. Avec quelques efforts de régulation et de gestion du système, on pourrait dégager de nombreuses marges de manœuvre qui éviteraient la spirale du déremboursement ou du renoncement aux soins. Le montant total de la dépense santé, soit 235 milliards d’euros, doit induire une exigence de bon usage des ressources publiques. Nous avons du mal à comprendre les incohérences d’un système reposant sur un parcours de santé imposé et organisé avec son médecin traitant, suivi par un patient cotisant à un régime obligatoire et complémentaire, mais finalement si mal remboursé. Les soins de ville courants ne sont plus pris en charge qu’à 55 %, même dans le cadre du respect du parcours de soins. De plus en plus de médicaments – ne présentant pas un très grand bénéfice médical mais utiles pour les pathologies courantes – sont de moins en moins bien remboursés. Pour la population, c’est incompréhensible. Les Français sont attachés à ce principe de base : on cotise selon ses moyens et on reçoit selon ses besoins. Avec la solution du médecin traitant et du parcours de santé, on pourrait pourtant aller dans ce sens de façon plus efficace et moins coûteuse. Notre proposition est simple : un parcours de santé à tarif remboursable « régime obligatoire plus régime complémentaire ».

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A ce propos, une enquête parue dans « Le Monde » du 10 avril dernier montrait que sur les 5,7 milliards d’euros restés à la charge des Français ou de leurs mutuelles en 2011, 2,3 milliards étaient imputables aux seuls dépassements d’honoraires. Qu’en pensez-vous ?

La moitié des praticiens étudiés sont des généralistes, leurs dépassements ne représentent que 300 millions d’euros. Le reste, deux milliards de dépassements, est le fait des autres spécialités, avec des niveaux de dépassements parfois très élevés. Le dépassement de certains actes répond à une cotation insuffisante par l’assurance maladie, pour d’autres actes à un besoin de financer son outil de travail. Mais pour l’essentiel, ils répondent à une décision personnelle du médecin. Rappelons que 93 % des généralistes sont en secteur 1 et qu’à Paris, exercer avec des consultations à 23 euros est économiquement invivable. Lors de la négociation conventionnelle, nous avions d’ailleurs demandé qu’un « forfait structure » soit créé et tienne compte du lieu et des conditions économiques d’exercice. Cela reste à faire. Car, d’un côté, on sous-paye les actes cliniques et certains actes techniques non répétitifs, et, de l’autre, on surpaye les actes techniques répétitifs (comme l’imagerie par exemple). Cela dit, sur ce sujet, on est arrivé à une limite. Car on peut considérer que certaines spécialités sont quasiment sorties du champ conventionnel puisqu’elles se situent à 90 % en secteur 2. Le conventionnement ne veut alors plus rien dire pour la population qui paye des cotisations mais est de plus en plus mal remboursée.

Il est trop tôt pour parler des actions en matière de santé du nouveau gouvernement, mais vous êtes-vous reconnus dans les propositions de François Hollande pendant sa campagne présidentielle ?

Parmi les propositions énoncées, nous avons l’impression d’être à l’origine de certaines : nous faisons la promotion des maisons médicales de garde et les maisons de santé pluriprofessionnelles sont des projets créés par MG-France. Dans les années à venir, 10 % des médecins travailleront dans ce type de structures, forme moderne de l’exercice libéral. On a senti dans le discours de François Hollande davantage d’engagement en faveur de la ville qu’auparavant et l’idée que le libéralisme n’est pas forcément incompatible avec l’accès aux soins… Un obstacle idéologique serait-il écarté ? En tout cas, les acteurs libéraux de premiers recours ont trouvé leur place dans les discours. Mais nous demeurons circonspects en nous remémorant, par exemple, Jacques Chirac qui parlait de la médecine générale comme « pivot du système de santé » en 1995… Si l’on veut sauver le système de santé solidaire en France, il faut l’organiser. Concernant l’organisation des équipes de premier recours, je pense que l’on pourrait instituer un conventionnement territorial avec les agences régionales de santé qui ouvrirait le droit à des rémunérations complémentaires pour la coordination des soins en équipe. Ce serait une façon élégante de régler le problème de la validation du projet de santé par les ARS.

Parlons des maisons de santé. Les pharmaciens ont quelques inquiétudes quant à la place qui peut leur y être consacrée. Comment les associer davantage aux projets naissants ?

La territorialisation des soins doit tenir compte du fait que les pharmacies sont déjà attachées à un territoire et pas forcément regroupables, contrairement aux médecins. Les pharmaciens disent perdre 30 % de leur chiffre d’affaires en cas de regroupement de cabinets loin de leur secteur, ce qui n’est économiquement pas viable. Une officine ne peut récupérer les prescriptions de ses confrères du secteur et ainsi risquer de les faire disparaître; il faut repenser les modes d’organisation de la pharmacie et son modèle capitalistique. Il est prévu que l’on rémunère les pharmaciens non plus seulement à la boîte mais à la fonction. On y va tout de même timidement, avec des perspectives de réorganisation à très long terme… La SEL est probablement une des formes juridiques astucieuses pour gérer cette affaire. La mission de pharmacien correspondant désigné est une autre proposition à défendre. On voit l’intérêt pour le médecin et la population que le pharmacien ne délivre pas seulement des boîtes mais accompagne le traitement médicamenteux.

L’autre grand sujet dans l’air est celui de la coopération entre professionnels de santé. Quelle est votre position sur le sujet ?

Nous défendons l’organisation d’équipes de premier recours. Notre particularité est d’expérimenter nous-mêmes nos propositions. Ainsi, je suis dans une région où je fais très peu de visites à domicile, hormis pour des personnes âgées et dépendantes si une infirmière me dit d’y aller. Il ne m’arrive jamais de voir un nourrisson fébrile à la maison : à Paris, on fait déplacer les médecins pour cela mais dans le reste de la France, aucune famille ne le demande… L’enfant est évidemment vu très rapidement, entre deux patients. Cela signifie que dans une zone « blanche », nous nous organisons pour utiliser le temps médical, les professionnels de santé opérant un premier niveau de filtre. Le pharmacien peut voir un patient qui a chuté, regarder une plaie, appeler lorsqu’un patient sous traitement présente une urticaire… C’est ce qu’il fait depuis longtemps, mais son mode de rémunération était désuet. Comme nous, il rend de multiples petits services. Savez-vous que nous passons 7 heures au téléphone par semaine en moyenne ? Je suis une vingtaine de patients sous AVK et équilibre leur traitement en fonction de leur INR sans être rémunéré. Savez-vous que les médecins français passent trois fois plus de temps avec leurs patients que les autres médecins européens (18 minutes contre 5 à 6 minutes) ? Le temps médical doit être mieux utilisé. Un exercice plutôt regroupé, des modes de rémunération pas seulement à l’acte, mais aussi à la fonction, du temps de secrétariat disponible, une bonne coopération…, c’est ainsi que nous pouvons offrir une garantie territoriale d’accès aux soins.

Comment estimez-vous qu’une meilleure coopération soit possible entre médecins et pharmaciens pour atteindre le taux de substitution de 85 %, fixé par la convention ?

Je pense qu’il faut des actions communes pour resensibiliser les professionnels égarés et dubitatifs et le public sur la qualité du générique. On ne peut pas avoir le moindre doute sur la qualité. Il faut une action conjointe entre les professionnels, l’Assurance maladie et l’Etat pour redynamiser la confiance dans le générique. Je rappelle que MG-France est à l’origine de l’introduction des génériques dans la prescription [en contrepartie d’une revalorisation de leurs honoraires, les médecins généralistes libéraux se sont engagés, dans l’accord passé avec la CNAMTS le 5 juin 2002, à prescrire davantage en DCI, NdlR]. De même que nous avons été favorables au rôle de substitution des pharmaciens. Par ailleurs, je crois qu’il faut faire attention au lobbying qui vise à empêcher la diffusion du générique en France, de la même façon que des groupes de pression ont réussi à amoindrir la vaccination dans l’opinion publique. L’effet de ces lobbys est sous-estimé. Des hautes autorités ou des sommités médicales comme l’Académie nationale de médecine ou le président de la Société française d’hypertension ont émis des doutes, estimant que soigner avec des génériques était une pratique à l’ancienne.

Quel était leur intérêt ?

A part celui de faire la promotion de nouveaux traitements qui n’apportent pas forcément plus, je ne vois pas. A moins qu’ils ne soient pris dans des conflits d’intérêts… On ne peut se permettre le luxe de prendre à nouveau du retard sur les autres pays européens, où personne ne meurt pour avoir pris des génériques. Si on veut dégager des marges de manœuvre pour mieux payer les professionnels, développer l’innovation, mieux soigner les pathologies mal prises en charge et mettre en place des dispositifs que l’on ne peut pas payer, elles doivent porter sur la productivité avec notamment des médicaments moins chers. La France se caractérise par une rémunération de certains professionnels de santé assez basse, en particulier les infirmières et les généralistes. Il n’est pas normal que cela perdure car c’est aussi sur ces deux professions que repose l’essentiel des soins. C’est l’une des raisons pour lesquelles les infirmières ne restent pas à l’hôpital. La conjonction entre rythme de travail, rythme de vie et salaire y est indécente.

Avez-vous été surpris par les résultats de la récente enquête menée par l’UFC-Que Choisir dans les pharmacies ?

Oui, certainement. Nous avons tous la perception que nous pouvons faire mieux, les médecins généralistes aussi bien sûr. L’analyse des pratiques doit se faire entre pairs. Dans notre profession, les groupes de pairs se pratiquent beaucoup et ne nous effraient pas. On ne se sent pas rejetés ni remis en question professionnellement par le constat effectué de nos pratiques hétérogènes, lesquelles, finalement, reflètent l’hétérogénéité des populations que nous soignons. Nous devons nous-mêmes faire l’analyse de nos marges d’amélioration car la santé publique repose d’abord sur la confiance de la population, donc sur notre capacité à organiser cette remise en question permanente. Nous devons aussi accepter de construire avec nos patients les décisions qui les concernent. Le pouvoir vertical doit céder la place à la codécision médicale. Il ne faut pas penser la population irresponsable et incapable d’analyse. Nous ne soignons pas des pathologies mais des patients et nous avons à hiérarchiser avec eux les problèmes. Nous savons le faire. Peut-être pas toujours dans l’intérêt des données de la science, mais toujours dans celui du service rendu aux patients. Je ne suis donc pas un craintif de l’évaluation.

Claude Leicher en 5 dates

17 décembre 1953 : naissance.

Janvier 1985 : début d’activité.

En 1986 : adhésion à MG-France lors de sa création. Le syndicat regroupe 6 000 adhérents, sur les 54 000 généralistes français.

14 décembre 2009 : président de MG-France.

26 juillet 2011 : signature de la convention médicale aux côtés de la Confédération des syndicats médicaux français et du Syndicat des médecins libéraux.

Les cinq piliers de MG-France

MG France, syndicat de médecins généralistes, a été créé le 30 novembre 1986 autour de cinq principes fondateurs. Sont-ils toujours d’actualité ? Réponses de son président.

– Une médecine générale reconnue à l’université à égalité avec les autres disciplines : « Nous sommes quasiment au bout du chemin et attendons la nomination du premier professeur universitaire et une filière universitaire complète. Jusque-là nous sommes accueillis par une sous-section de médecine interne (c’est la procédure normale pour la création d’une spécialité). »

– La participation de la médecine générale ès qualités à toutes les commissions qui ont en charge l’élaboration de la politique de santé : « C’est chose faite. Nous y sommes présents depuis longtemps. »

– Une médecine générale rémunérée à sa juste valeur et pour la totalité de ses fonctions : « Y arrivera-t-on un jour… ? »

– Le développement d’une politique incitative de formation médicale continue : « Nous sommes à l’origine de tout le dispositif de formation continue, indépendant des producteurs de biens et de services médicaux, et le futur DPC se fonde sur cette indépendance professionnelle et ces objectifs de santé publique. »

– Un cadre conventionnel spécifique et unique permettant au médecin généraliste d’assurer sa fonction de premier recours, de continuité et de synthèse : « Nous sommes plutôt revenus en arrière. Pourtant, pour organiser le premier recours, nous aurions besoin d’un outil conventionnel spécifique qui nous permettrait d’organiser correctement notre travail de généraliste. Les pharmaciens ont besoin d’une convention spécifique, ce qui n’empêche pas la signature d’autres accords pour des projets interprofessionnels, avec les médecins par exemple. Nous avons ajouté un sixième principe : l’exercice en coopération en équipe de santé de premier recours, parce que nous considérons que la médecine de premier recours ne peut pas s’exercer aujourd’hui de façon solitaire. »