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Pot de terre contre pot du soir
Le salarié qui refuse d’assister aux soirées conviviales organisées par son entreprise, tout en critiquant son incitation à faire la fête en général, prend-il le risque d’être licencié ? Qu’il ait ou non de la bouteille, la réponse est la même.
LES FAITS
Le 7 février 2011, M. J. est engagé par la société CP comme consultant senior. En février 2014, il est promu directeur, puis licencié, le 11 mars 2015, pour insuffisance professionnelle. La société CP lui reproche de refuser la politique de l’entreprise et le partage des valeurs « fun et pro ». En pratique, M. J. ne voulait pas participer aux pots de fin de semaine qui généraient fréquemment une alcoolisation à outrance de tous les participants, pour lesquels les associés mettaient à disposition une grande quantité de boissons. Il critiquait également ouvertement l’imbrication de la vie personnelle et professionnelle et les pratiques prônées par les associés liant promiscuité, brimades et incitation à divers excès et dérapages pendant ces événements. Le salarié conteste la validité de son licenciement devant les prud’hommes.
LE DÉBAT
L’article L. 1121-1 du Code du travail dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Tel est le cas notamment de la liberté d’expression. Ainsi, un salarié peut librement exprimer ses opinions sur l’entreprise à condition de ne pas porter atteinte aux intérêts de celle-ci. En réponse, la société CP souligne que la lettre de licenciement ne reproche pas à M. J. ses prises de position mais « sa rigidité, son manque d’écoute, son ton parfois cassant et démotivant vis-à-vis de ses subordonnés et son impossibilité d’accepter le point de vue des autres ». Le 10 mars 2021, la cour d’appel de Paris rejette la demande de M. J. Les magistrats constatent que les soirées « fun et pro » donnent lieu à des excès liés à la consommation élevée d’alcool encouragée par le management, mais ils retiennent aussi que les reproches, ne portant que sur son comportement, ne constituent pas une atteinte à sa liberté d’expression. M. J. forme un pourvoi en cassation.
LA DÉCISION
Le 9 novembre 2022, la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel. Les hauts magistrats rappellent que « sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression ». Ils ajoutent qu’un licenciement fondé même en partie sur une atteinte à la liberté d’expression du salarié encourt la nullité. La Cour de cassation estime que le comportement critique du salarié et son refus d’accepter la politique de l’entreprise fondée sur le partage des valeurs « fun et pro », mais aussi sur l’incitation à divers excès, participent bien de sa liberté d’expression et d’opinion. L’affaire est renvoyée devant une autre cour d’appel qui statuera sur le montant des dommages-intérêts que l’entreprise devra verser à M. J. Il demande 450 000 €. Lors des moments conviviaux, la frontière entre vie privée et vie professionnelle peut être ténue. Cette décision rappelle que chaque salarié est libre de participer ou non à ces événements et peut émettre des critiques fondées vis-à-vis du management de l’entreprise qui l’emploie.
Source : Cass. soc., 9 novembre 2022, n° 21-15.208.
À RETENIR
Sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression.
Le licenciement prononcé contre un salarié n’ayant pas abusé de sa liberté d’expression est nul et lui donne droit à des dommagesintérêts.
Un salarié, même cadre, peut être critique vis-à-vis du management et refuser de participer à des moments conviviaux proposés par l’entreprise.
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