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GOD SAVE THE NHS
Lorsqu’en juillet 2010, le gouvernement anglais annonce une nouvelle réforme du National Health Service (NHS), le service national de santé britannique, les Anglais tombent des nues. Il s’agit d’attribuer aux médecins généralistes la mission d’acheter les soins aussi bien au NHS qu’à des prestataires privés. Une révolution qui vise à rendre plus efficient le système de santé selon le gouvernement. Une privatisation pour les opposants à la réforme.
Our NHS, our future »(1), tel est le slogan lancé par Unison, le plus important syndicat du secteur de la santé avec près de 450 000 adhérents, pour défendre le National Health Service (NHS), le service national et public de santé anglais. Créé en 1948, le NHS, financé par les impôts, assure à tous un accès de soins égal et gratuit. Or, ce principe semble mis à mal par la dernière réforme du gouvernement de coalition réunissant conservateurs et démocrates libéraux, mené par David Cameron. Annoncée en juillet 2010, cette réforme (qui ne concerne que l’Angleterre) surprend tous les Britanniques. Les conservateurs n’ont effectivement pas abordé ce sujet lors de la campagne électorale des législatives.
L’indépendance et l’efficacité des services de santé, sujet du jour
L’objectif est, selon le gouvernement, double : rendre le NHS indépendant du pouvoir politique ; améliorer son efficience par une réorganisation des achats de prestations de services. « Il s’agit d’organiser le NHS de façon à ce qu’il puisse être indépendant de toute influence politique et que seules les considérations de santé soient prises en compte », explique David Lloyd, greffier du comité de santé parlementaire, rencontré à Londres lors d’un déplacement organisé par l’AJIS (Association des journalistes de l’information sociale) les 24 et 25 mai derniers. En effet, le ministre de la Santé était jusqu’à présent l’ultime gestionnaire du NHS et pouvait prendre des décisions purement politiques.
Le deuxième axe de la réforme met en première ligne les médecins
Concrètement, les médecins généralistes sont regroupés dans des commissions d’attribution cliniques, les Clinical Commissioning Groups (CCG) chargées, au niveau local, d’acheter les soins et services de santé dont a besoin la population. Ces soins et services couvrent aussi bien les actes de radiographie, les opérations chirurgicales que les accouchements. Au nombre de 212, les CCG remplacent les 10 Strategic Health Authorities (Autorités stratégiques de santé) régionales et les 150 Primary Care Trusts (groupements de soins primaires) locaux qui achetaient les prestations de services (voir l’infographie page 23). « Le but est de rendre les services plus efficaces et mieux adaptés aux besoins locaux, car ce sont les médecins qui les connaissent le mieux. Cette idée d’adapter les services aux besoins locaux sous-tend la réforme », souligne David Lloyd.
Pour l’achat, les médecins peuvent s’adresser aux services du NHS ou qui y sont rattachés (hôpitaux, cliniques) et à des prestataires privés. En clair, il s’agit de faire jouer la concurrence, bien que, selon le ministère de la Santé, les prix des prestataires privés devront être identiques à ceux pratiqués par le NHS. De fait, le gouvernement attend de cette énième réforme de substantielles économies : 20 milliards de livres (environ 24 milliards d’euros) d’ici 2015, soit, chaque année, 4 % du budget annuel du NHS, d’un montant de 100 milliards de livres.
« Allons voir si le diable se cache dans les détails »
Un tel projet a, bien entendu, suscité une vive opposition. Politique mais aussi de la part des différents acteurs de la santé, notamment des médecins généralistes et des infirmiers. La société civile s’est jointe au mouvement de protestation contre la future loi. Le NHS est effectivement « une institution dont les Anglais restent fiers », selon David Babbs, directeur de l’association 38 Degrees, qui a lancé pétition et campagne de communication pour sauver le NHS. Face à une telle mobilisation, le gouvernement a dû entamer une concertation avant de faire adopter son projet de loi un an après l’avoir présenté. Le texte a été amendé. Par exemple, le ministre de la Santé reste le garant de l’accès gratuit à tous les soins pour tous. Les prestataires de services, qui devaient au départ être seulement « prêts à fournir », doivent désormais être « qualifiés et agréés ». Une garantie qui ne rassure pas les opposants à la réforme. Ils craignent que l’ouverture du marché de la santé ne conduise à terme à une privatisation du secteur comme cela a pu être le cas pour le réseau ferré et la distribution de l’électricité.
Le projet de loi a finalement été adopté en septembre 2011
La réforme a été enclenchée et devrait être complètement en place en avril ou mai 2013. Pour autant, de nombreuses inquiétudes demeurent. La « seconde législation », comme l’appellent les Anglais, c’est-à-dire les textes d’application, n’a pas encore paru. De nombreux points restent à éclaircir : la composition des commissions cliniques d’attribution, qui doivent aussi comprendre, outre des médecins hospitaliers et un infirmier, des représentants de patients, la population couverte par chaque commission clinique d’attribution ou le montant des budgets versés à ces mêmes commissions, etc. « C’est l’incertitude la plus complète, résume Guy Collis, responsable de la politique au sein d’Unison. Nous allons voir si le diable se cache dans les détails. » Une expression typiquement anglaise qui résume bien la situation actuelle : les différentes parties prenantes sont tenues d’attendre les textes et de les analyser pour savoir si leurs craintes de voir le NHS démantelé sont justifiées. Au risque de ne plus pouvoir vraiment agir.
(1) « Notre NHS, notre futur »
Repères
• 100 milliards de livres de budget annuel pour le NHS
• 1,2 million d’employés
• 43 000 médecins généralistes
• 50 millions d’habitants en Angleterre
(65 millions au Royaume-Uni).
Médecins et patients : entre parcours de soins et libre choix
Les Anglais sont tenus de choisir un médecin généraliste dans leur quartier. Ce médecin joue en quelque sorte le rôle du « médecin traitant » français, puisqu’il est le point de passage obligé avant toute consultation chez un spécialiste ou dans un service hospitalier. Toutefois, depuis 2004, le NHS a assoupli les règles. En effet, c’est l’hôpital ou la clinique qui imposait les jours et heures de rendez-vous au patient. Maintenant, le patient peut opter pour le service « Choose and book » (choisir et prendre rendez-vous) : le patient peut, sur les conseils de son médecin généraliste, choisir son spécialiste et contacter directement l’hôpital ou la clinique pour prendre un rendez-vous à sa convenance. Depuis 2006, le patient a en outre le choix entre au moins 4 hôpitaux ou cliniques.
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