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POURQUOI S’ENGAGER DANS UNE EXPÉRIMENTATION

Publié le 8 septembre 2012
Par Isabelle Guardiola
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Qu’est-ce au juste qu’une expérimentation et comment monter un dossier ? Quelles sont les conditions à réunir pour qu’il soit accepté et financé ? Sont nécessaires analyse et réflexion en amont, un peu de technique…, mais sont également indispensables l’envie de travailler ensemble et l’engagement professionnel.

Une expérimentation mobilise un nombre réduit de professionnels, et parmi eux une poignée de pharmaciens qui s’engagent et acceptent d’assumer des responsabilités. Ceux qui s’engagent le font pour le reste de la profession. Cela a toujours été ainsi dans l’histoire de la santé, dans les réseaux, les associations… » Renaud Nadjahi, président de l’URPS-pharmaciens d’Ile-de-France (union régionale des professionnels de santé), résume l’esprit des expérimentations. Trois ans après la loi HPST qui les rend possibles et les encourage, deux ans après la création des ARS (agences régionales de santé) chargées de repérer les besoins locaux et de coordonner sur le terrain les actions, et un an après l’instauration des URPS – interlocuteurs des ARS pour représenter les professionnels de santé exerçant à titre libéral –, les premiers dossiers d’expérimentations sont financés et la coopération interprofessionnelle s’organise sur les territoires.

Le but des expérimentations est de réaliser des économies

« Il ne faut pas confondre expérimentations et nouvelles missions ! », avertit Jean-Luc Audhoui, élu au bureau national de la FSPF, responsable de la commission coordination des URPS, qui relève un certain trouble dans la terminologie usitée actuellement. « Dans une expérimentation, définit-il, l’ARS « autorise » les professionnels à mener une action en contrepartie d’une indemnisation. » « Cette indemnisation ne correspond pas à une rémunération permanente ou conventionnelle et calibrée, comme c’est le cas par exemple dans le suivi des patients sous anticoagulants, mais est versée pour cette prestation limitée dans le temps et évaluée en fin de course, analyse Renaud Nadjahi. L’objectif de l’expérimentation est de valider la pertinence du rôle du pharmacien dans une prise en charge donnée : la sortie hospitalière, la contraception, l’hygiène buccodentaire… » « En somme, c’est un pilote pour chercher à prouver quelque chose, poursuit Martial Fraysse, président du conseil régional des pharmaciens d’Ile-de-France. Il convient bien sûr de défrayer pour cela les expérimentateurs. Mais, au-delà, il s’agit surtout d’accompagner la profession pour dégager dans un second temps une rémunération qui sera supérieure. » Car le but de l’expérimentation est la généralisation de l’action, sur la région ou le pays. Et, bien entendu, la réalisation d’économies : « Les sommes allouées à l’éducation thérapeutique du patient sont ainsi un bon ”investissement” si l’on regarde le rythme de consultations et la réhospitalisation aux urgences, illustre Martial Fraysse. On estime que 1 euro investi en éducation thérapeutique du patient, c’est 4 euros économisés pour l’assurance maladie… En expérimentation, on est dans cette recherche d’une prise en charge plus efficiente. Le travail est gigantesque : je pense au patient pakistanais qui ne parle pas français et ne connaît pas sa maladie ou, à l’inverse, au patient surdiplômé bardé d’information qui “sait” et ne veut rien entendre. Que leur proposer ? »

La coordination est la règle d’or de l’expérimentation

La première démarche pour monter un dossier d’expérimentation est de consulter le volet ambulatoire du SROS (schéma régional d’organisation des soins) de son ARS qui détermine les priorités territoriales : « Il s’agit de repérer sur quels axes veut travailler l’ARS, complète Jean-Luc Audhoui. Inutile de proposer un programme diabète si les études statistiques montrent un faible taux de prévalence. Les ARS travaillent sur les problèmes ou les manques : un taux d’IVG plus important dans certaines zones défavorisées – comme c’est le cas en Ile-de-France – doit inciter les pharmaciens à proposer des plans sur la contraception d’urgence… » Le style administratif des documents peut rebuter, même si les ARS sont dotées de plates-formes d’appui aux professionnels de santé (http://www.ars.sante.fr/Plates-formes-d-appui-aux-Prof.116678.0.html), sites Internet régionaux informant et facilitant l’orientation des professionnels. L’URPS est bien entendu l’interlocuteur privilégié, mais il ne faut pas hésiter non plus à rencontrer son ARS : soit la direction territoriale départementale, soit, si le projet a une visée plus régionale, directement l’agence.

Le travail préparatoire, subtil équilibre politique et technique, est donc important. « Il s’agit de répondre aux questions que l’ARS ne manquera pas de poser, poursuit Jean-Luc Audhoui. Quel est votre projet de santé ? A qui s’adresse-t-il ? Combien cela coûte ? Comment comptez-vous vous y prendre ? Qu’est-ce que cela apporte ? » S’appuyer sur une expérimentation réussie et reproductible, au budget et aux indicateurs fiables, peut être un bon tuteur. Ces indicateurs ne doivent cependant pas être trop complexes, au vu du contrôle de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) sur l’anonymat des questionnaires notamment (http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/Guides_pratiques/CNIL-Guide_professionnels_de_sante.pdf).

Une visite sur le site de la HAS (Haute Autorité de santé), laquelle validera dans un second temps le projet déposé à l’ARS, est également utile. Ne pas négliger, en outre, les aspects techniques. « Les appréhender montre que l’on a bien préparé son projet, commente Jean-Luc Audhoui. Si je prévois une expérimentation sur l’asthme avec un débitmètre de pointe, encore faut-il que les embouts soient à usage unique, ou, si je me lance dans le dépistage du diabète, je prévoirai des lancettes à usage unique… » Et puis, règle d’or de l’expérimentation, la coordination autour du patient est capitale. « Dans la loi HPST, analyse Martial Fraysse, le malade a été défini et est redevenu – ce qu’il aurait toujours dû être – le centre d’intérêt des professionnels de santé. » Pour monter un projet, le préalable nécessaire est de ne pas travailler seul. Et d’aller, soit en ville, soit en liaison ville-hôpital, chercher des partenaires. « La volonté de la loi HPST, c’est l’interprofessionnalité ! », scandent les observateurs.

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Créer un environnement d’exercice professionnel en commun

Il faut chercher des partenaires parce que, techniquement, monter un dossier seul n’est pas aisé et qu’il vaut mieux profiter des compétences de chacun pour une mise en forme acceptable par l’administration : l’un s’attellera au budget, le deuxième à la lecture des recommandations préalables à la rédaction du dossier, un autre à la réalisation des Power Point, à la formation de l’équipe. Ensuite, parce que dans ce nouveau mode d’accompagnement du patient se dessine la création d’un environnement d’exercice professionnel en commun : « J’entends trop souvent des confrères se lancer dans du dépistage gratuit pour attirer les clients, comme ils cassent les prix de la parapharmacie, fustige Renaud Nadjahi. L’objectif de l’expérimentation est bien que chaque profession s’apporte mutuellement quelque chose. Nous, pharmaciens, pouvons par exemple accompagner les dentistes dans leur mission de prévention buccodentaire des enfants et des personnes âgées… Et le rôle des URPS est de fluidifier le courant interprofessionnel. »

L’URPS Provence-Alpes-Côte d’Azur a reçu, fin 2011, 42 000 euros pour un dépistage rémunéré du diabète. L’opération s’effectue dans 37 officines réparties dans des cantons sélectionnés en fonction d’un taux de surmortalité liée à cette pathologie auprès de patients âgés de plus de 45 ans, n’ayant pas consulté un médecin depuis un an et dont l’excès pondéral est visible. Michel Siffre, président du syndicat des pharmaciens du Var et secrétaire général de l’URPS, reconnaît que l’expérimentation ne serait pas forcément retenue aujourd’hui : « La coopération interprofessionnelle n’était pas au goût du jour et notre ARS a lancé avec nous un galop d’essai dans le cadre des nouvelles missions sur lesquelles planchait la CNAM. » A cet égard, une autre initiative, en cours en Seine-Saint-Denis, correspond bien aux projets actuels. Le réseau Equip’âge a conçu un programme d’ETP destiné aux personnes âgées de plus de 75 ans et leur conjoint, isolées ou en grand besoin, pour mieux gérer la maladie, les traitements, prévenir l’iatrogénie médicamenteuse et les hospitalisations. Le programme commencera par la formation, par le réseau, des professionnels volontaires (kinésithérapeutes, pharmaciens hospitaliers et de ville, médecins, infirmiers…) de toute la zone (soit les 20 communes du nord du canal de l’Ourcq), lesquels travailleront ensuite à une prise en charge coordonnée. « J’encourage les pharmaciens à se rapprocher de leurs collègues hospitaliers qui ont des besoins sur la prise en charge de leurs patients en ville, notamment concernant l’observance de leur traitement. Je pense par exemple au domaine de la santé mentale », conseille Martial Fraysse.

Se compléter tout en restant dans son champ de compétences

Cette tendance à la coopération est confirmée par Dominique Dépinoy : « Lorsque l’on monte un projet, il faut réfléchir au principe de subsidiarité, autrement dit à ce que chacun apporte pour renforcer l’entreprise. » Médecin généraliste et enseignant, le praticien a monté son cabinet de conseil en organisation des systèmes de santé voici trois ans, convaincu de la nécessité de promouvoir les soins de premier recours à travers le regroupement pluriprofessionnel (maisons et pôles de santé). La condition sine qua non pour qu’un projet fonctionne ? L’envie d’un groupe de travailler ensemble. En interprofessionnel, dans une approche de santé globale on ne peut pas « saucissonner » les patients. La seconde ? Le rôle de « leader » assumé par l’un des acteurs. « L’ARS veut savoir qui est le coordinateur, le promoteur », confirme Martial Fraysse. Dominique Dépinoy accompagne, par exemple, la création d’une maison de santé à l’initiative de Jean-Marc Facq, titulaire à Montataire (Oise). « Ce pharmacien engagé dans ce quartier de zone urbaine sensible, aux vrais problèmes de santé, voyant qu’il allait se retrouver seul, a intelligemment prévu l’avenir avec ce projet de maison de santé », décrit Dominique Dépinoy. Ce dernier animait récemment une réunion à la demande des collectivités locales impliquées : « Les professionnels se complètent mais chacun doit rester dans son champ de compétences : prévenir, soigner, éduquer à la santé, aider à l’observance. Il faut connaître ses limites et ne pas transformer son rôle. On ne prendra pas en charge seul la précarité. ». Lors de cette réunion, il remobilise Jean-Marc Facq, longtemps très engagé, un instant en retrait : « Le leader, c’est vous ! »

Se faire aider par un cabinet conseil pour monter son projet

Monter un dossier demande d’être aidé. C’est le rôle des URPS, dont le financement est encore fragile mais qui s’organisent souvent pour mutualiser des chargés de missions entre régions. Maîtrise de santé publique en poche, ceux-ci élaborent des projets et suivent les dossiers au quotidien, en lien direct avec les ARS. « Mais une bonne secrétaire avec BTS peut faire l’affaire, assure Michel Siffre. D’ailleurs, la plupart des URPS sont en réflexion pour en embaucher une. » Pour l’expérimentation « diabète », qu’il a montée seul, il comptabilise une dizaine de soirées à plancher sur le dossier, quelques allers-retours à Marseille pris sur du temps URPS, donc rémunérés, « de l’engagement, de l’altruisme et de la passion ». Une autre possibilité existe pour les professionnels, celle de se faire assister par un cabinet conseil. Ceux-ci se sont développés ces dernières années avec le balbutiement des nouveaux modes d’exercice. Le cabinet Acsantis, que dirige Dominique Dépinoy, se paie ainsi sur la ligne budgétaire attribuée par l’ARS à l’ingénierie du projet : « Nous aidons des projets à mûrir, en étudions la pertinence et la faisabilité, aidons les professionnels à se mobiliser et à s’organiser entre eux, faisons parfois de la médiation entre professionnels, réglons des problèmes avec des élus ou financeurs, aidons à la rédaction du projet, au montage du budget… Et amenons les acteurs à se projeter dans un travail collaboratif avec des outils nouveaux : systèmes d’information, réunions de coordination pluriprofessionnelles, etc. »

Agence ou URPS ? La question fait débat. « Si les professionnels n’y arrivent pas seuls, toutes les aides sont les bienvenues », commente Martial Fraysse. « Je suis très sceptique sur la pertinence de ces cabinets, conteste Alain Guilleminot, président de l’URPS-pharmaciens Pays de la Loire, membre du bureau national de la FSPF, chargé de la mise en place des missions HPST. Les ARS préféreront passer par les URPS, organismes bien identifiés, pour qu’ensuite ceux-ci reversent les financements à d’autres structures. C’est le cas sur l’action d’Angers [voir p. 29]. L’URPS a reçu les fonds de l’ARS et distribue l’enveloppe au fur et à mesure. »

Les pharmaciens ont encore du mal à trouver leur place

« En trois ans, on a bien avancé, les URPS-pharmaciens sont structurées et c’est le pragmatisme des pharmaciens qui l’emporte et les faits bouger », s’étonne Martial Fraysse qui, comme d’autres, estime qu’avec les expérimentations est venue l’heure de la reconnaissance des multiples services rendus par les pharmaciens. « Lorsque le pharmacien intervenait lors d’une interaction médicamenteuse ou une intervention salutaire, qui était au courant ? Le médecin, le malade qui, parfois, vous offrait un ballotin de chocolat pour vous remercier ! Mais personne d’autre… Dans ce type de projet, tout est validé et rapporté. » Dominique Dépinoy est plus modéré quant à l’allant des pharmaciens : « Ils assistent aux réunions par peur d’être lésés par le lieu d’implantation d’une maison de santé ou qu’un autre en profite, résistent à participer au projet et ne préparent pas l’avenir. » Le consultant souligne aussi que le pharmacien a encore du mal à trouver sa place, « mal perçu par le médecin qui le soupçonne de venir uniquement dans son intérêt », signe de l’incommunicabilité ancienne entre pharmaciens et médecins. Des barrières culturelles et concurrentielles qu’il faut abaisser par davantage d’éthique : « Dans un réseau officinal fragile, il faut veiller à ce qu’un pharmacien ne soit pas avantagé au détriment d’autres, conclut Dominique Dépinoy. Le tempérament entrepreneurial des pharmaciens est aussi une force. On a besoin de cette qualité dans les projets qui se montent ! »

INTERVIEW

ARNAUD DE LA SEIGLIÈRE ET BÉRANGÈRE DOSTE, DÉPARTEMENT RELATIONS AVEC LES PROFESSIONNELS DE SANTÉ AU PÔLE AMBULATOIRE DE L’ARS ILE-DE-FRANCE

Quelles sont vos relations avec les URPS ?

Nous sommes en relation étroite avec elles et travaillons ensemble dans le cadre de l’élaboration du plan régional de santé de l’ARS. L’URPS pharmaciens est partante pour développer des projets sur les territoires de santé. Elle a édité des fiches d’actions très concrètes décrivant les expérimentations à mettre en place : résumé succinct des objectifs, du financement et de la partie rémunération, les éventuelles coopérations, l’évaluation… Ces actions ont été inscrites dans les schémas de l’agence régionale et certaines sont déjà en œuvre.

Quel est le calendrier à respecter ? Et quelle démarche faut-il suivre ?

Certains projets nous arrivent directement du terrain. Pour les professionnels, passer par une URPS permet de consolider un dossier embryonnaire. Si un projet intéressant parvient à l’agence, nous informons systématiquement les URPS. Les dossiers nous arrivent au fur et à mesure et ils touchent de nombreux champs : prévention, accès aux soins (à la contraception), vaccination, dépistage de maladies chroniques… A titre d’exemple, l’URPS – en liaison avec les URPS-médecins et infirmiers – nous a proposé une fiche sur la prise en charge pharmaceutique en sortie hospitalière. Elle a donné lieu à une expérimentation sur trois mois (avril-juillet) dans les Hauts de Seine avec quinze pharmaciens volontaires. L’expérimentation va être évaluée et, selon les résultats, pourra donner lieu à une extension du projet avec financement.

Quels conseils pourriez-vous donner, et quels sont les besoins ?

Certains publics sont prioritaires : les personnes les plus vulnérables, les personnes âgées dépendantes ainsi que les personnes avec une pathologie chronique, les personnes vivant avec le VIH ou atteintes de cancer… Dès qu’un projet vient du terrain, il traduit un besoin. Lorsqu’il est porté par plusieurs professions, vraisemblablement il n’en sera que plus pertinent. L’ETP nous intéresse beaucoup. En Ile-de-France, 80 % des programmes émanent des structures hospitalières, la ville doit s’y mettre et les pharmaciens, à l’intersection ville-hôpital, sont bien placés pour faire des propositions. Ils ont aussi sûrement des idées en matière de télésurveillance et de maintien à domicile, de coopérations interprofessionnelles. Qu’ils restent attentifs aux appels à projets de l’agence et postulent !