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Les canaux ioniques membranaires

Publié le 8 septembre 2012
Par Denis Richard
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La membrane des cellules est traversée de canaux permettant la diffusion passive des ions. Ces canaux constituent la cible de médicaments diversifiés.

Que sont les canaux ioniques ?

• Il s’agit de structures protéiques concourant au maintien des équilibres ioniques transmembranaires : elles traversent la membrane plasmique entourant la cellule. De tels canaux existent également dans les membranes intracellulaires (réticulum, mitochondries).

• Ces canaux permettent la diffusion d’ions liée passivement au gradient ionique transmembranaire (du milieu le plus concentré vers le moins concentré).

• Ils sont la cible de nombreux médicaments couramment utilisés en thérapeutique ainsi que de toxines diverses.

En existe-t-il plusieurs types ?

• De façon schématique, on distingue deux types fonctionnels de canaux :

– les canaux permettant le passage d’un cation (charge positive) : canaux sodiques, potassiques, calciques, cationiques non spécifiques, récepteurs-canaux à perméabilité cationique ;

– les canaux permettant le passage d’un anion (charge négative) : canaux chlorure, à acétates, phosphates, récepteurs-canaux à perméabilité anionique.

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• Les canaux fonctionnant sans activation préalable par un médiateur sont dits « voltage-dépendants » : leur ouverture dépend de la seule différence de potentiel électrique transmembranaire. Ils se distinguent des récepteurs-canaux dont la probabilité d’ouverture est modifiée par la liaison préalable d’un ligand plus ou moins spécifique (cf. ci-dessous).

• Plusieurs types de canaux coexistent généralement sur les membranes : certains, contigus, entretiennent des relations de « coopération », assurant ainsi, globalement, le passage de flux ioniques mixtes (ex. : Na+, K+, Ca2+).

Quels médicaments agissent sur les canaux sodiques ?

• Ces canaux sont retrouvés essentiellement dans les neurones (centraux comme périphériques) et dans les cellules musculaires.

• Leur mutation est à l’origine de diverses maladies génétiques neurologiques (certaines épilepsies) ou musculaires (myopathies).

• Des toxines naturelles interfèrent avec leur fonctionnement, soit elles inhibent le flux sodique (tétrodotoxine de divers poissons et crustacés paralysants, saxitoxine de microalgues à l’origine des signes neurologiques accompagnant des intoxications par ingestion de coquillages, etc.), soit elles activent de façon constante les canaux avec hyperexcitation musculaire et paralysie (aconitine des aconits, pyréthrine et dérivés, utilisés comme antimoustiques, etc.).

• L’amiloride (Modamide, Logirène, Moducren, Modurétic) se lie aux canaux sodiques du tube contourné et des canaux collecteurs rénaux : il inhibe la réabsorption du sodium et donc de l’eau, d’où son action diurétique et antihypertensive.

• Les anesthésiques locaux (lidocaïne et analogues) se fixent sur les canaux sodiques, s’opposent à leur inactivation et bloquent le cheminement de l’influx nerveux. Cette liaison, peu sélective, concerne aussi les canaux potassiques : ceci explique leurs effets indésirables cardiaques.

• Les antiarythmiques présentent une sélectivité variable pour les canaux sodiques cardiaques (élevée pour l’amiodarone ou la lidocaïne ; plus réduite pour le disopyramide ou la flécaïnide) ; certains agissent aussi sur les récepteurs adrénergiques (propafénone).

• Divers antiépileptiques agissent, entre autres, sur ces canaux : c’est le cas notamment de la phénytoïne (Di-Hydan), de la carbamazépine (Tégrétol), de la lamotrigine (Lamictal) et du topiramate (Epitomax).

• Le lithium bloque aussi, entre autres actions, les canaux sodiques.

Quels médicaments agissent sur les canaux potassiques ?

• Le fonctionnement des canaux potassiques est plus complexe que celui des canaux sodiques : certains sont voltage-dépendants, d’autres sont activés par les ions calcium intracellulaires qui s’y fixent, d’autres se ferment lorsque la teneur intracellulaire en ATP augmente.

• Les canaux potassiques, exprimés sur les neurones, les muscles striés et lisses, les cellules bêta du pancréas, constituent la cible de nombreux médicaments :

– divers antidiabétiques (sulfamides et glinides) ferment les canaux potassiques sensibles à l’ATP ; suit une dépolarisation des cellules bêta pancréatiques avec sécrétion d’insuline ;

– les anesthésiques généraux (halothane, etc.) ;

– Les anesthésiques locaux (lidocaïne, etc.) bloquent aussi ces canaux ;

– il en va de même pour certains antiarythmiques (quinidine) ; l’amiodarone (Cordarone) agit aussi sur les canaux potassiques (effet antiarythmique de classe III s’ajoutant à celui de classe I par action sur les canaux sodiques) ;

– au contraire, d’autres médicaments favorisent l’ouverture de ces canaux. Hyperpolarisant les cellules, ils diminuent en conséquence la probabilité d’ouverture des canaux calciques voltage-dépendants (celle-ci dépend de la polarisation membranaire et donc de la concentration potassique intracellulaire), d’où une réduction de la concentration cytosolique en calcium : c’est le cas du nicorandil (Adancor, Ikorel).

Quels médicaments agissent sur les canaux calciques ?

• La plupart des canaux calciques sont voltage-dépendants. Il en existe de nombreux types.

• Les canaux calciques de la membrane cytoplasmique « L » (pour low inactivation car ils s’inactivent lentement une fois ouverts) sont localisés sur les fibres squelettiques, notamment vasculaires et cardiaques : contribuant au maintien de la dépolarisation membranaire et initiant la contraction des myocytes, ils sont bloqués par les médicaments inhibiteurs calciques (dihydropyridines, diltiazem, vérapamil), vasodilatateurs et/ou antiarythmiques.

Quels médicaments agissent sur les canaux chlorure ?

• Les canaux chlorure, dont il existe plusieurs familles, sont présents sur la membrane plasmique et la membrane d’organites intracellulaires (lysosomes, vésicules de sécrétion des neurones, etc.) dans de très nombreux types cellulaires.

• Ils exercent d’importantes fonctions dans la cellule : maintien de l’excitabilité neuronale, régulation du volume cellulaire, transport transépithélial. Leur mutation est à l’origine, au moins partielle, de nombreuses pathologies : la mucoviscidose est l’une des plus connues.

• Certains médicaments agissent sur ces canaux de façon peu spécifique : ainsi, les barbituriques augmentent leur probabilité d’ouverture ; d’autres activateurs sont indiqués dans le traitement de la constipation (linaclotide, lubiprostone, non disponibles en France).

Quel est l’intérêt des canaux non sélectifs en thérapeutique ?

• Les canaux non sélectifs sont perméables à divers ions.

• La capsaïcine (patchs Qutenza, à l’hôpital) agit sur un récepteur-canal non sélectif, simultanément perméable au calcium et au sodium. A l’origine de la saveur brûlante du piment, elle est indiquée en thérapeutique dans le traitement des douleurs neuropathiques postzostériennes.

Que sont les récepteurs-canaux ?

• Ce sont des canaux intégrant un récepteur spécifique. Leur fonctionnement est conditionné par la liaison d’un ligand intra– ou extracellulaire (neuromédiateur ou hormone). Ils ont une perméabilité cationique ou anionique.

• Les récepteurs-canaux à perméabilité cationique laissent passer les cations monovalents (Na+, K+) ou divalents (Ca2+, Mg2+). Les perméabilités sodique et calcique sont essentielles : les médiateurs agonistes de ces canaux provoquent un potentiel d’action postsynaptique excitateur. Parmi eux, il faut souligner, pour leur intérêt en thérapeutique :

– les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine, localisées sur les muscles striés (plaque motrice) et sur les neurones (corps cellulaires des neurones postganglionnaires des voies sympathiques et parasympathiques) : leur action est stimulée par l’acétylcholine ou la nicotine et antagonisée par les curares ;

– les récepteurs à la sérotonine 5-HT3 : en sont antagonistes les sétrons (Kytril, Zophren, etc.) indiqués comme antiémétiques ;

• Les récepteurs-canaux à perméabilité anionique permettent avant tout le passage des chlorures dont l’influx produit une hyperpolarisation postsynaptique à l’origine d’un potentiel inhibiteur. Cette famille comprend notamment les récepteurs GABAergiques sur lesquels se fixent les benzodiazépines et leurs apparentés (zopiclone, zolpidem) ainsi que divers anticonvulsivants.

ÉCHANGES IONIQUES TRANSMEMBRANAIRES

• La concentration des ions de chaque côté des membranes cellulaires est inégale : pour la membrane plasmique, les ions K+ sont plus concentrés à l’intérieur, les ions Na+, Ca2+ et Cl l’étant à l’extérieur. Les membranes lipidiques sont imperméables aux ions : les échanges indispensables au contrôle des gradients sont possibles grâce à l’existence de pores protéiques permettant leur transport actif (système de « pompes » dont l’énergie est fournie par l’hydrolyse de l’ATP ; transporteurs ou « échangeurs » ioniques) ou passif (canaux ioniques). Les flux passifs (canaux) sont compensés par les flux actifs (pompes).

• Le potentiel transmembranaire à l’équilibre est dit « potentiel de repos » : l’intérieur de la cellule est chargé négativement par rapport à l’extérieur. Il résulte d’un équilibre constant entre le flux entrant et sortant des divers ions. Le potentiel peut être modifié lorsque la cellule est stimulée : s’il devient moins négatif que le potentiel de repos, la cellule se dépolarise (entrée de cations) ; s’il devient plus négatif, la cellule s’hyperpolarise (sortie de cations et/ou entrée d’anions).

Sources : Goodman and Gilman’s, The pharmacological basis of therapeutics, 12e édition, 2010, McGraw Hill ; Landry Y., Gies J.-P., Pharmacologie ?: des cibles vers l’indication thérapeutique, 2e édition, 2009, Dunod.