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QUEL « SMR » POUR LES PATIENTS ?
Le « Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux » des Prs Even et Debré n’est pas le premier du genre. Et, comme pour ses devanciers, on est en droit de demander quel service il pourra rendre aux patients, aux professionnels de santé et aux pouvoirs publics.
Le Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux continue de susciter la polémique. Qualifié de « provocateur » par Jean-Luc Harousseau, président du collège de la HAS, ou de « pamphlet primaire » par Gérard Raymond, président de l’Association française des diabétiques, le livre de Philippe Even et de Bernard Debré sera peut-être inutile comme, selon les auteurs, un médicament sur deux. Les deux professeurs de médecine n’en sont pas à leur coup d’essai. Ils ne sont pas non plus les seuls à dénoncer les risques liés aux médicaments et à leur consommation (voir « Repères » cicontre). Alors, ce guide met-il le doigt sur une réalité, l’inutilité de nombreux médicaments ? « Certaines formules sont sonores mais n’éclairent pas toujours. La notion d’inutilité recouvre aussi bien l’absence d’effet, le doublon ou le triplé thérapeutique, etc., comme le risque excessif. Le problème est souvent plus lié à l’usage qu’à l’outil lui-même », met en garde Francis Megerlin, maître de conférences en droit et économie de la santé à la faculté de pharmacie Paris V-René Descartes.
« Une logique hélas dénonciatoire plutôt qu’explicative »
Le Guide des 4 000… risque-t-il d’inciter les patients à arrêter leur traitement ? « Le vrai danger me semble résider dans les conditions et les conséquences d’un éventuel arrêt, dans un climat de perte de confiance généralisée, alerte Francis Megerlin. Cet ouvrage aiguise la réflexion nécessaire sur la façon dont les décisions sont élaborées par les médecins et expliquées aux patients, mais selon une logique hélas dénonciatoire plutôt qu’explicative. »
« Cela va rajouter encore de la suspicion vis-àvis des médicaments et des professionnels de santé », estime Gérard Raymond qui croit en la sagesse des patients, notamment diabétiques : « Sur la partie consacrée au diabète, le livre comporte des inexactitudes. Et revenir à la metformine, c’est rétrograde. Et si on considère qu’un médicament est dangereux, alors le médicament le plus dangereux dans le traitement du diabète, c’est l’insuline ! Toutes les nouvelles molécules sorties ces dernières années mériteraient une vigilance accrue de la part de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Nous restons extrêmement vigilants sur les effets secondaires. » L’octroi de l’AMM et l’évaluation sont d’ailleurs remis en cause par Bernard Debré et Philippe Even. « L’évaluation comparée des médicaments doit monter en puissance, mais l’évaluation dynamique en usage réel est aussi nécessaire, déclare Francis Megerlin. L’AMM est un état provisoire des connaissances, la sécurité suppose une pharmacovigilance continue pour documenter le bénéfice/risque en vie réelle. » « Depuis cinq ans, la Commission de la transparence de la Haute Autorité de santé a changé ses pondérations pour évaluer le SMR. Auparavant, le niveau de gravité d’une pathologie prévalait, même si l’efficacité était discutable », analyse Sylvain Pichetti, chargé de recherche sur le médicament à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé.
Les pouvoirs publics n’ont toujours pas réagi
La réflexion sur une révision de l’évaluation et les notions de SMR et ASMR est de fait déjà largement entamée. Ce qu’a rappelé Jean-Luc Harousseau en présentant l’index thérapeutique unique relatif (voir p. 20). Et de commenter : « Les produits mal placés par Debré et Even étaient mal classés par la Commission de la transparence. Cela me permet d’insister sur la nécessité de repenser l’évaluation des médicaments en termes de comparaison. Quand il y a un produit et d’autres à côté, il faut faire en sorte que le médicament qui n’apporte rien, à tout le moins, coûte moins cher. »
Dérembourser les médicaments inutiles n’est pas non plus une antienne. Pour Gilles Bouvenot, président de la Commission de la transparence, parmi les médicaments que Bernard Debré et Philippe Even souhaiteraient voir dérembourser, « un certain nombre sont déjà déremboursés ». « Nous ne proposons au remboursement que les produits susceptibles d’apporter une ASMR ou équivalents à ceux sur le marché. Aux pouvoirs publics de décider. C’est aussi à eux d’avoir une réflexion pour savoir si la Pharmacopée doit être revue ou non », a-t-il précisé. Pour l’heure, Marisol Touraine n’a pris aucune position officielle sur la question.
REPÈRES
• 2001 : publication de la 8e édition du « Guide de tous les médicaments » de Jean-Paul Giroud et Charles-Gilles Hagège. Sur 9 000 médicaments, les auteurs attribuent à 55 % d’entre eux une note supérieure à 11/20.
• 2011 : Bernard Debré et Philippe Even coécrivent « Les leçons du Mediator, l’intégralité du rapport sur les médicaments », où ils jugent que 40 % des médicaments, le plus souvent français, sont inefficaces.
• 2011 : Jean-Paul Giroud publie « Médicaments sans ordonnance, les bons et les mauvais ». Selon lui, sur les 4 000 médicaments vendus sans ordonnance, près de la moitié sont peu ou pas efficaces.
INTERVIEW PHILIPPE EVEN, PROFESSEUR DE MÉDECINE, COAUTEUR DU « GUIDE DES 4 000 MÉDICAMENTS UTILES, INUTILES OU DANGEREUX »« Nous voulons susciter un dialogue entre patients et médecins »
Comment avez-vous élaboré le classement des médicaments ?
Nous avons repris la classification de l’efficacité en cinq niveaux, d’« exceptionnelle » à « absence complète d’efficacité démontrée », élaborée par la Commission de la transparence de la HAS. Dans son contenu, notre classification résulte de notre expérience de médecin, mais surtout du recueil de 20 000 données scientifiques croisées avec la base de données de la revue Prescrire. Ces informations étaient déjà portées à la connaissance des médecins, mais elles n’avaient jamais été rassemblées ni divulguées au public. Nous avons essayé d’être objectifs, mais notre classification peut comporter une marge d’erreur de 5 à 10 %. Il ne peut en être autrement.
Quelles interrogations avez-vous voulu susciter avec ce livre ?
Un ouvrage qui a épuisé ses 20 000 exemplaires en une seule journée* répond forcément à un besoin des patients. Or, ce besoin aurait dû être comblé depuis longtemps par l’Etat, qui devrait mettre en place une commission, constituée d’un groupe d’une trentaine d’experts dont l’indépendance serait reconnue à l’échelle internationale, afin d’évaluer les risques et l’efficacité des médicaments.
Quelles réactions attendez-vous des patients ?
Notre ouvrage doit susciter un questionnement des patients et créer un dialogue avec les médecins sur l’efficacité de leur traitement et d’éventuels ajustements à effectuer. Et s’ils arrêtent un traitement qui n’a pas d’effet notable, il ne se passera rien de grave. J’espère, avec cet ouvrage, créer un dialogue plus fructueux entre le patient et le médecin. De même, le pharmacien doit avoir, face aux malades, un discours coopératif de professionnel de santé veillant à la santé publique. Notre ouvrage doit, là aussi, ouvrir à la discussion au comptoir.
Faut-il mener une politique de déremboursement plus offensive ?
Il ne faudrait pas hésiter à dérembourser à 100 % des molécules inefficaces. Le déremboursement partiel n’a pas de sens car, si une molécule est efficace, il est légitime qu’elle soit entièrement prise en charge. Des médicaments devraient même être retirés du marché et ne plus être commercialisés sous le statut de médicament, comme les veinotoniques. Il faudrait aussi réformer le système des AMM et des essais cliniques. Car il est choquant que les études cliniques soient commanditées par les firmes pharmaceutiques. De même, l’Agence européenne du médicament est une passoire et, n’hésitons pas à le dire, corrompue. Les Etats n’ont pas la main sur les essais cliniques.
Propos recueillis par Stéphanie Bérard
* Les éditions du Cherche-Midi ont réédité en urgence 100 000 nouveaux exemplaires.
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