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UNE BASE INÉDITE DE 5 000 INTERVENTIONS PHARMACEUTIQUES
Près de 200 étudiants de sixièmeannée ont notifié de façon systématique et codifiée toutes les interventions qu’ils effectuaient sur les ordonnances « à problèmes » au cours de leur stage. Une base de données inestimable qui démontre le travail quotidien du pharmacien.
Le pharmacien intervient tous les jours sur les ordonnances. Il détecte une interaction, relève une contre-indication, modifie une posologie… mais il ne le notifie pas », déplore Olivier Catala, enseignant associé à la faculté de Lyon et à l’initiative du projet, lors de son intervention au 4e Colloque régional de santé publique qui s’est déroulé à Clermont-Ferrand le 13 octobre dernier. Ce travail de l’ombre n’étant pas quantifié, il ne laisse pas de trace. Comment dès lors apporter la preuve du rôle essentiel de ces interventions quotidiennes du pharmacien ? « La Société française de pharmacie clinique avait mis au point et validé un outil de codification des interventions pharmaceutiques en milieu hospitalier », ajoute Brigitte Vennat, présidente de l’Appex (Association pour la promotion des Pharmacies expérimentales), association qui a participé à l’analyse des données. Dès lors, l’idée est simple : utiliser cet outil – légèrement adapté – à l’officine pendant les 6 mois de stage des étudiants de 6e année.
17 % des interventions étaient liées à des surdosages
Trois facultés participaient au dispositif : Lyon, Clermont-Ferrand et Grenoble. Les étudiants devaient déclarer sur la plate-forme informatique de l’université de Lyon toutes leurs interventions pharmaceutiques (IP) en joignant les scans des ordonnances et des historiques de délivrance. La codification portait sur les caractéristiques du patient, le type de problème détecté, le ou les médicaments concernés, la réponse du médecin le cas échéant et le résultat de l’intervention. Les enseignants des trois facultés attendaient 1 000 à 2 000 notifications. En 6 mois, 5 168 IP ont été notifiées par les 164 stagiaires impliqués !
Que tirer de cette masse impressionnante de données ? Si la majorité des IP est liée à un médicament non disponible (22 %) – ce qui montre bien l’importance des ruptures d’approvisionnement au quotidien –, les surdosages (17 %), les sous-dosages (9 %), les contre-indications physiopathologiques (9 %), les libellés incomplets (7,5 %) et les interactions médicamenteuses contre-indiquées ou déconseillées (7,2 %) sont les principaux motifs d’intervention.
Un certain nombre de faits apparaissent d’ores et déjà qui démontrent l’importance quantitative et qualitative des interventions des pharmaciens. Les surdosages liés à la prescription redondante d’une même molécule concernent ainsi 98 IP. Dans 39 % des cas, il s’agit de paracétamol, avec une dose moyenne de 5 g/j chez l’adulte (allant jusqu’à 8 g/j !) et de 160 mg/kg chez l’enfant, soit le double de la dose maximale. En cause le plus souvent, la coprescription d’un antalgique de palier 1 et 2. Le deuxième principe actif concerné est la metformine, en lien avec la multiplicité des spécialités. Sur ces 98 IP, 12 % des cas concernaient un médicament générique et son princeps prescrits simultanément sur la même ordonnance ! L’enseignant de l’Appex chargé d’analyser ces 98 IP a jugé la réponse apportée par le pharmacien pertinente dans 99 % des cas, avec un bénéfice important pour le patient dans 66 % des cas et au moins un événement potentiellement létal évité (coprescription de Cardensiel et de son générique chez un patient insuffisant cardiaque de 80 ans).
Autre focus : 82 IP concernent une interaction contre-indiquée entre deux médicaments prescrits sur la même ordonnance.
32 % des cas sont des associations de deux vasoconstricteurs, 17 % des associations de médicaments torsadogènes (risque létal !), 13 % des associations de macrolides et de dérivés inhibiteurs du CYP450 3A4, 6 % de Pyostacine et de colchicine (nouvelle interaction). Pour gérer ces interactions, 66 % des prescripteurs sont contactés, mais la solution proposée par le pharmacien est refusée dans un tiers des cas. Par exemple, l’association flécaïne-bêtabloquant est dans tous les cas maintenue par les cardiologues alors que de l’avis même de l’un d’entre eux, elle ne peut se faire que sous surveillance d’un rythmologue tellement elle est potentiellement dangereuse.
Côté contre-indications physiopathologiques, les pharmaciens sont également à l’œuvre : les vasoconstricteurs chez les moins de 15 ans (17 IP) et les antitussifs chez les moins de 2 ans (19 IP) affolent visiblement moins les médecins que les pharmaciens… Enfin, les contre-indications chez la femme enceinte concernent 27 IP. Là encore, elles peuvent être graves, comme cette prescription d’Advil chez une femme enceinte de 8 mois, potentiellement létale pour le fœtus.
Faire sortir le pharmacien de l’ombre
Ces premiers focus sont riches en enseignements. Il apparaît ainsi nécessaire de créer des protocoles ou des consensus de gestion des interventions courantes. Ces protocoles doivent s’appuyer sur des références opposables documentées (CRAT plutôt que Vidal par exemple chez la femme enceinte). Ils seraient d’autant plus utiles que les médecins sont souvent difficilement joignables. Ces résultats démontrent également l’importance d’une sensibilisation des médecins et des pharmaciens sur la responsabilité partagée en cas de délivrance confirmée par le prescripteur malgré une intervention du pharmacien. Ils montrent aussi l’intérêt d’étudier l’impact de la non-intervention pharmaceutique (nombre d’événements graves ou potentiellement létaux évités) pour valoriser et encourager le travail du pharmacien.
Des résultats plus détaillés de cette enquête sont attendus. Ils ouvriront encore d’autres pistes. C’est la première fois que des données informatisées de cette ampleur sont collectées. Puissent-elles servir à améliorer la prise en charge des patients et éviter l’iatrogenèse en faisant sortir le pharmacien de l’ombre.
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