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Un pharmacien de Caen profite du vide juridique
Las d’attendre qu’un texte vienne réglementer la vente en ligne de médicaments, Philippe Lailler, titulaire à Caen, vient de lancer un site adossé à son officine. Son avocat assure que toutes les précautions réglementaires ont été prises. L’Ordre reste nettement plus réservé.
A première vue, le site www.pharma-gdd.com ressemble à un site de parapharmacie adossé à une officine, en l’occurrence celle de la Grâce de Dieu à Caen. Sur la page d’accueil, une sélection de produits de beauté apparaît d’emblée : vernis à ongles, crème pour le visage ou encore huile essentielle. Mais à droite de l’écran, l’internaute peut lire des recommandations : « L’achat d’un médicament nécessite le conseil d’un pharmacien ou une ordonnance prescrite par le médecin. » Il est aussi invité à appeler un pharmacien pour bénéficier de conseils ou à envoyer un mail. Mais point de référence à la vente de médicaments en ligne. Il suffit pourtant d’aller dans le moteur de recherche pour pouvoir commander Malarone, Doliprane, aspirine ou pilules contraceptives, photos à l’appui !
Le site, qui fait l’objet de nombreux articles dans la presse depuis son lancement le 14 novembre, se présente comme « le premier site de vente en ligne de médicaments », d’après Philippe Lailler, son fondateur et le titulaire de la pharmacie de la Grâce de Dieu.
Le Code de la santé publique a été épluché
Philippe Lailler, qui a créé un site de parapharmacie en novembre 2011, était las d’attendre qu’un texte vienne réglementer la vente en ligne de médicaments. Il y a six mois, il s’aperçoit, après avoir fait une étude auprès d’un cabinet juridique, « que rien ne l’interdit, à condition de respecter certaines limites ». Robert Apéry, avocat du titulaire, confirme : « La vente de médicaments sur Internet n’est pas interdite, elle est donc possible. » Il assure avoir vérifié tous les textes : Code de la santé publique, Code de commerce, Code de la concurrence, etc. « Le plus délicat est le Code de la santé publique, qui comporte les obligations de conseils du pharmacien », reconnaît l’avocat.
Après avoir pris le soin, par courrier, d’en avertir le conseil régional de l’Ordre, Philippe Lailler a donc conçu un site Internet « en se calquant sur la législation du Code de la santé publique, en insistant sur le devoir de conseil et la possibilité de refuser de valider une commande. A tout moment de la commande, il est possible de contacter un pharmacien pour avoir un conseil ».
Effectivement, pour les médicaments ne nécessitant pas d’ordonnance, au moment de valider sa commande, le site demande spécifiquement à l’internaute s’il a lu la notice d’utilisation pour connaître les mises en garde (concernant les médicaments sur ordonnance, le site propose une transmission d’ordonnances avec obligation de venir chercher les médicaments à l’officine). « Avant le paiement, pour chaque ligne de médicaments commandés, nous leur demandons s’ils ont un traitement ou une pathologie particulière. Le site se veut la réplique exacte de notre officine et, dans ce cadre, un pharmacien est présent pour conseiller, tient à préciser Philippe Lailler. D’ailleurs, en cas d’interactions médicamenteuses, nous téléphonons au client et, en cas de doute, nous pouvons annuler la commande. Depuis l’ouverture du site, ce cas de figure s’est déjà présenté. »
Commande annulée pour la cliente mystère
Le Moniteur s’est transformé en cliente mystère et a testé le site en commandant, le 19 novembre, 8 boîtes de Doliprane 1 000 g (2 × 4), une d’Advil 200 mg et une d’Aspirine Upsa 500 mg. Après avoir renseigné l’âge, la taille et le poids, nous avons également demandé un conseil sur les interactions possibles et spécifié que la cliente souffrait d’une hypertension artérielle traitée simplement par Amlor. Un bon point, le pharmacien ayant pris en charge la demande, dont le nom est clairement indiqué, a répondu rapidement par mail qu’il annulait la commande en indiquant qu’il y avait des interactions et des surdosages. Nous avons donc demandé des précisions pour savoir s’il s’agissait de problèmes en lien avec les médicaments achetés en automédication ou en lien seulement avec la pathologie. Mercredi 21 novembre en fin d’après-midi, à l’heure où Le Moniteur va partir sous presse, nous n’avions pas encore reçu de réponse détaillée.
Philippe Lailler gère actuellement 15 à 20 commandes quotidiennes. « Dans la majorité des cas, il s’agit d’une clientèle nationale, très éloignée de notre patientèle. » Pour cette officine de 25 salariés, l’organisation du site se met en place peu à peu. Les commandes sont emballées sur place puis envoyées par Colissimo. « Nous rentrons progressivement les médicaments sur le site pour parvenir à 400 produits en ligne. » L’objectif est de recruter une personne affectée au site si celui-ci se pérennise. Ce qui n’est pas certain.
Un cas qui doit inciter la France à statuer
Philippe Lailler peut faire l’objet de plaintes émanant du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, de confrères voire de la ministre de la Santé, selon Cathie-Rosalie Joly, avocate au cabinet Ulys. « Le fait que la vente sur Internet soit possible est une interprétation, explique-t-elle. Même s’il est vrai qu’il n’y a à l’heure actuelle ni interdiction ni autorisation expresse. L’e-pharmacie de Caen démontre la volonté de certains pharmaciens de vendre des médicaments non soumis à prescription en ligne. A Marisol Touraine de trancher, sachant que la directive européenne n’a pas été transposée. »
Pour l’avocate, l’interdiction de médicaments non soumis à prescription poserait cependant un problème dans le contexte européen actuel, puisque des pays autorisent leur vente en ligne. « Cet exemple a au moins le mérite de relancer le débat et d’inciter la France à poser des règles », conclut Cathie-Rosalie Joly.
3 QUESTIONS ÀALAIN BRECKLER, CHARGÉ DE MISSION INTERNET À L’ORDRE DES PHARMACIENS
Comment réagissez-vous au lancement de ce site ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que son lancement ne s’est pas fait dans la discrétion ! Sur le fond, nous regarderons de près ce site mais cela souligne, s’il en était besoin, la nécessité de disposer de règles claires sur la gestion des sites de pharmacie, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Oui, mais ce site est-il illégal ?
Il n’existe pas de législation sur la vente en ligne de médicaments, même si une directive européenne doit être transposée prochainement en droit français. L’officine reste actuellement le lieu de dispensation des médicaments, qui requiert, pour répondre à l’ensemble des exigences légales, la présence physique d’un pharmacien.
La possibilité pour le pharmacien d’annuler une commande en cas de doute n’est pas suffisante ?
On peut se poser la question. Une adolescente pourra commander des médicaments derrière son écran sans que le pharmacien s’en aperçoive. De même, si un médicament est déconseillé à une femme enceinte, comment pourra-t-il formuler une mise en garde ? Un patient peut raconter ce qu’il veut par mail, alors qu’au comptoir un pharmacien peut détecter plus vite un mensonge.
Propos recueillis par Stéphanie Bérard
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