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CES PHARMACIENS QUI DÉFIENT LA MOROSITÉ
La crise peut offrir un excellent prétexte à ne pas baisser les bras, faire preuve d’optimisme, aller de l’avant… Les témoignages montrent que ceux qui gardent une attitude positive sont plus résilients et efficaces que la moyenne. Enquête sur des pharmaciens qui réussissent et prennent du plaisir dans ce qu’ils entreprennent. Pour en prendre de la graine en 2013.
Vivez la crise, le changement de modèle économique de la pharmacie et les évolutions du métier comme une chance ! C’est en substance le message que vous adresse, en guise de vœux pour la nouvelle année, Philippe Bloch, fondateur de Columbus Café, auteur de Service compris 2.0, ouvrage où il délivre « 360 conseils aux entrepreneurs pour améliorer leur qualité de service et remettre l’homme au cœur de la relation client ». Pour comprendre le sens de cette invitation, il faut accepter d’être dérouté, de quitter le souvenir d’un confort désormais révolu, de faire évoluer ses pratiques, et se montrer créatif. « Les entreprises ont l’obligation de se réinventer en fonction du contexte économique et sociétal, expose Philippe Bloch. Il n’y a pas de crise définitive et la sortie des difficultés est toujours plus aisée quand le patron nourrit un vrai projet d’entreprise. »
La difficulté ? Le pessimisme français. « La peur de l’échec joue sur les chefs d’entreprise, ce qui les rend peu audacieux et innovants, constate Philippe Bloch. L’innovation pour ces patrons français se limiterait aux perspectives qu’ils ont eux-mêmes imaginées. […] Pour réussir, il faut au contraire mettre en place un plan d’innovation de rupture et la meilleure façon de s’engager dans cette voie est au préalable d’écouter ses clients et les différents avis autour de soi. Il faut cesser de croire que les changements sont insurmontables et remettre de l’ambition dans ses projets. » Les nouveaux business models sont en embuscade, cela se vérifie en particulier dans les nouvelles technologies (web, applications sur smartphone, tablettes, etc.), lesquelles peuvent offrir des services faisant la différence en pharmacie. Elément du succès, la vitesse d’action : « Les pharmaciens doivent être convaincus que ce n’est pas le plus gros qui mangera le plus petit, mais le plus rapide qui dévorera le plus lent. » Pour vaincre la routine, les nouvelles missions offrent une occasion en or au pharmacien de rester passionné par son métier. « C’est l’ennui et non la passion qui est cause d’épuisement », assène Philippe Bloch.
Une maison de santé bâtie à force d’obstination
L’ennui, Fabrice Foltz ne le connaît pas. Titulaire à Diarville, une petite commune rurale de 500 habitants en Meurthe-et-Moselle, il s’est donné seul les moyens de ses ambitions en achetant un terrain vierge dans le but d’y transférer sa pharmacie et de monter à côté une maison de santé. « Le projet a suscité l’enthousiasme des deux médecins de la ville, mais une fois le permis de construire obtenu il n’y avait plus personne pour me suivre », se souvient Fabrice Foltz. Le pharmacien ne renonce pas pour autant. Il transfère son officine en 2003 et cherche à revendre la parcelle de terrain inoccupée à un promoteur pour construire la maison de santé. Sans succès. « J’ai même proposé de donner le terrain à la mairie mais elle n’avait pas les subventions pour financer la construction », poursuit Fabrice Foltz. En 2010, la municipalité l’alerte sur un projet de création de pôle de santé dans une commune voisine. « Il fallait à tout prix réagir, je me suis donc lancé dans le vide en finançant la construction de la maison médicale uniquement sur fonds propres et au travers d’une SCI. » Elle a vu le jour en juin 2011. Fabrice Foltz n’était pourtant pas arrivé au bout de ses peines. L’Ordre départemental des médecins fait obstacle à la venue d’un gynécologue pour réaliser deux vacations par semaine. « A force de persévérance, je suis parvenu à faire venir deux nouveaux médecins généralistes », se réjouit le titulaire. L’impulsion est lancée : ces deux médecins sont suivis par un kinésithérapeute, un orthophoniste et deux infirmières. « Un des deux médecins qui m’avait dit non et accusé de compérage est maintenant décidé à rejoindre le pôle de santé ; j’ai même décliné la proposition d’un autre médecin… » Fabrice Foltz savoure à présent la réussite de son projet qui se mesure à l’augmentation de son chiffre d’affaires. « Les gens apprécient énormément l’offre du pôle de santé, lequel leur permet de toujours trouver une réponse à leurs questions. »
Le projet de création d’une maison de santé pluridisciplinaire est encore plus enrichissant lorsqu’il est partagé d’emblée par plusieurs professionnels de santé. Citons le cas d’un autre pharmacien rural qui souhaite pour l’instant garder l’anonymat. Il s’apprête à transférer son officine à côté d’une maison de santé qui regroupera médecins, infirmières, kinésithérapeutes et paramédicaux. La relève, après les prochains départs en retraite, est déjà assurée puisque des internes en médecine ont déjà posé leur candidature pour l’avenir. La construction est subventionnée par la communauté des communes, la Région et des fonds européens. Dynamique, ce pharmacien est par ailleurs engagé dans le rachat de clientèle de l’autre pharmacie de la commune, dont la licence sera restituée. « Cela fait deux ans que l’on travaille entre professionnels de santé sur ce projet commun, mais nous n’avons pas attendu la création de cette structure pour nous regrouper, échanger sur nos pratiques professionnelles, parler de la coordination des soins, améliorer la qualité des services rendus aux patients et mettre en place des protocoles de prise en charge », explique-t-il.
Ordonnances du troisième âge : des gisements insoupçonnés
Auteur d’une thèse sur les modèles économiques en officine, Jean-Patrice Folco* rencontre fin 2010 sa consœur Barbara Le Boennec, alors en phase de prospection sur Lyon pour s’installer. Il lui explique que, selon lui, le modèle commercial de l’officine est une impasse économique dans laquelle elle s’est elle-même plongée, et que pour développer sa rentabilité il faut prendre le contre-pied des idées reçues et privilégier les ordonnances. Intriguée, elle se plonge dans une lecture approfondie de sa thèse et constate que la stratégie tient la route, chiffres à l’appui. L’indicateur le plus pertinent pour définir son modèle économique est le panier moyen « ordonnances », où la rentabilité se niche dans les ALD. « Quand je me suis installée à Villeurbanne en 2011, j’ai donc épuré l’officine, réduit l’offre produits, augmenté les stocks de médicaments et décidé de créer un concept d’officine où l’on prend le temps avec le client, au risque que la file d’attente s’allonge », explique Barbara Le Boennec. Ce nouveau modèle économique, pour le moins déroutant, a fait fuir les patients pressés (les jeunes essentiellement) et attiré les plus de 60 ans, dont le panier moyen en pharmacie est trois fois supérieur à celui d’une personne de moins de 40 ans. Sans prendre de personnel supplémentaire, Barbara Le Boennec stabilise la première année le chiffre d’affaires – en chute régulière sous le précédent titulaire –, avant de le faire progresser de 26 % en 2012 et de battre des records de panier moyen par client (48 € contre 34 € pour la moyenne nationale). « Je suis attristée de voir autant de pharmaciens peiner pour maintenir leur activité et leurs résultats. Je m’y retrouve car ma pharmacie s’adresse en priorité à une population dont les dépenses de santé ne font qu’augmenter. Cependant, on ne cherche pas à pousser les ventes associées à l’ordonnance. Comme les clients sont en confiance, ils nous font part spontanément d’autres besoins de santé auxquels nous répondons par un conseil, ce qui génère du chiffre d’affaires additionnel sans avoir un éparpillement des ventes. Ainsi, neuf fois sur dix, les ventes hors ordonnances sont réalisées dans la suite de la délivrance d’une ordonnance », conclut Barbara Le Boennec.
Le pharmacien fournisseur de services au sein des entreprises
Michel Laveix, installé à Juvisy-sur-Orge (Essonne), a une devise : en période de crise, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Il a trouvé de nouveaux relais de croissance en repoussant les limites physiques du comptoir et en devenant « pharmacien référent santé », fournisseurs de services au sein des entreprises locales impliquées dans la prévention et les risques santé. Il a développé, au départ, un marché de fournitures pour les entreprises et aujourd’hui la liste des clients en compte est bien garnie (60 à 70). Sa clientèle s’est constituée par le bouche à oreille, des contacts avec des services médicaux, des réponses à des appels d’offre… Cette activité représente 25 % du chiffre d’affaires de l’officine. « Nous livrons tout type d’entreprise, de la petite PME de 15 salariés à la multinationale du CAC 40 », dévoile Michel Laveix. En contact avec les centres ou services médicaux de ces entreprises, le titulaire se déplace pour des conseils ou des prises de mesure en orthopédie pour équiper les salariés de l’entreprise qui ont médicalement besoin de ceintures lombaires et de bas de contention. « J’ai commencé cette activité il y a une dizaine d’années, mais il est possible aujourd’hui de proposer de nouveaux services. »
PHR, le groupement auquel adhère Michel Laveix, a inscrit la prise en charge des problèmes environnementaux et d’alimentation en entreprises comme l’une de ses priorités pour les dix-huit prochains mois. Selon Lucien Bennatan, son président, de nouvelles relations entre entreprises et professionnels de santé, avec implication directe ou indirecte des mutuelles, doivent être mises en place car l’entreprise, soumise aux nouvelles réglementations, devient un « territoire de santé » et un terreau fertile pour des actions de prévention. Michel Laveix est attentif aux évolutions de l’offre de services de son groupement : « Le développement des consultations des diététiciennes et des infirmières dans les entreprises est une idée séduisante pour consolider et faire croître ce pan d’activité. »
Fidéliser les clients en les éduquant thérapeutiquement
Adjointe dans une pharmacie parisienne, Sandrine Masseron a suivi en 2006 une formation de niveau 1 en éducation thérapeutique du patient (ETP). Elle est aujourd’hui animatrice d’ateliers d’ETP dans le cadre de réseaux de santé sur le diabète et l’insuffisance rénale. « Eduquer le patient à sa maladie et à son traitement pour le rendre plus autonome dans la gestion de sa santé est une manière de pratiquer et de penser son métier autrement », estime-t-elle. Sandrine Masseron exerce cette fonction sans lien avec l’officine où elle travaille, et aucun des patients (6 à 8 par groupe) qu’elle forme n’en est client. En revanche, derrière le comptoir, elle réalise des séances éducatives individuelles. « Le but est de mettre le patient en posture éducative et d’inverser la relation par rapport à celle au comptoir, c’est-à-dire que c’est lui qui mène l’entretien et qui s’investit, explique Sandrine Masseron. Ainsi, au comptoir, j’explique comment utiliser un lecteur de glycémie, manipuler un stylo injecteur d’insuline ou pour l’EPO, manier un dispositif aérosol dans la BPCO… En séance éducative, l’entretien consiste à évaluer ce que le patient a compris de son traitement et de sa maladie, de la manipulation de ses dispositifs médicaux, de ce que le médecin lui a demandé de faire. Je peux dédramatiser la situation ou orienter le patient, en cas de lacunes décelées, vers son médecin traitant ou un autre professionnel de santé : un spécialiste de la douleur, un podologue, une diététicienne… » Les patients apprécient ces colloques singuliers qui peuvent durer entre dix et trente minutes et expriment leur reconnaissance à Sandrine Masseron qui est devenue leur interlocutrice privilégiée, quel que soit le motif de leur visite. Elle réalise en moyenne cinq à dix séances éducatives par semaine. Pour l’image de la pharmacie, c’est une indéniable plus-value. « Cela permet de fidéliser les clients. » Sandrine Masseron a soutenu sa thèse d’exercice sur les AVK. Avec elle, la pharmacie est donc bien armée pour démarrer du bon pied l’année 2013 et les entretiens pharmaceutiques de suivi des patients sous anticoagulants oraux.
Vincent Riera, installé à Gardonne (Dordogne), ne fait état d’aucun résultat hors normes, d’aucune prouesse ou croissance particulière pour 2012. Au contraire, comme bon nombre de pharmaciens, son chiffre d’affaires a légèrement baissé mais sa marge a progressé grâce au médicament générique. Si l’outil de mesure de l’état de santé de sa pharmacie reste calé uniquement sur le chiffre d’affaires, c’est certain, il va broyer du noir. Et il s’y refuse. « Notre modèle économique change, une évolution de chiffre d’affaires ne veut plus rien dire, et pour la première fois dans notre histoire notre métier s’éloigne du commerce », estime Vincent Riera. Une (r) évolution qui, pour cet adhérent d’Alphega, est porteuse d’espérances et de perspectives très prometteuses. « La pharmacie ne traverse pas une mauvaise passe mais vit une période de transition. Il y a une volonté politique d’élargir nos missions dans un contexte agité et difficile économiquement. Plutôt que de réduire la voilure, j’essaie d’utiliser le vent pour continuer à avancer. »
Depuis juin, Vincent Riera se forme, dans le cadre d’un programme réalisé par son groupement, aux entretiens pharmaceutiques pour le suivi des patients sous AVK, à la fois sur le plan scientifique et sur la conduite d’un tel entretien. Il est aujourd’hui fin prêt pour assurer cette nouvelle mission, même si les honoraires perçus sont plus symboliques que rémunérateurs. Il compte faire partager son enthousiasme à toute son équipe, y compris aux préparateurs en les associant à l’information et au recrutement de patients, à la prise de rendez-vous, etc. Certainement une idée à suivre.
* « Mécanique et modèles économiques en officine : contribution pour une nouvelle rémunération », Jean-Patrice Folco. Voir également http://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00625412/
JEAN-JACQUES ZAMBROWSKI, PROFESSEUR ASSOCIÉ, UNIVERSITÉ RENÉ-DESCARTES, PARIS-V, CONSULTANT EN STRATÉGIES ET ÉCONOMIE DE LA SANTÉ« Comprendre les mutations pour réussir l’avenir »
« Le nouveau statut des pharmaciens s’assortit de nouvelles missions, mais pour l’instant la mécanique vertueuse enclenchée n’a pas encore produit ses effets dans les livres comptables. Demain, ces nouvelles missions offriront au pharmacien une façon nouvelle d’occuper son espace géographique par rapport à d’autres confrères. La loi HPST a un effet discriminant mais stimulant. L’exercice officinal est en passe d’être profondément modifié par une nouvelle rémunération qui reconnaît la valeur ajoutée apportée à la chaîne de soins par le pharmacien. L’officine va devenir un espace de santé de proximité encore plus large dans sa valeur et ses attributions, avec des produits et des services que chaque officinal va devoir apprendre à intégrer dans sa pratique professionnelle. Les pharmaciens qui comprendront et saisiront les opportunités de cette profonde mutation peuvent compter sur un avenir à la hauteur de leurs espérances. »
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