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L’IMPASSE POLITIQUE

Publié le 16 février 2013
Par Caroline Coq-Chodorge
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Dans un nouveau rapport sur les déserts médicaux, des sénateurs préconisent d’encadrer la liberté d’installation des médecins libéraux. Mais, pour l’instant, les mises en garde répétées des élus de tous bords ont échoué à convaincre les gouvernements successifs de prendre des mesures fortes.

Les rapports parlementaires sur les déserts médicaux se suivent et se ressemblent. Le dernier – et cinquième depuis 2007 – a été rendu, le 7 février dernier, par la commission du Développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire du Sénat. Son titre : « Agir vraiment ». Sera-t-il promis au même avenir que les précédents : marquer les esprits, mais échouer à infléchir la politique gouvernement ? Trois des quinze propositions des sénateurs visent à « mieux réguler l’installation des professionnels de santé » en encadrant les installations en zones surdotées ou encore en obligeant les jeunes médecins spécialistes à exercer deux ans dans des hôpitaux en zones sous-denses. Sans surprise, ces propositions suscitent la colère des syndicats médicaux, notamment du premier d’entre eux, la CSMF, qui fustige dans un communiqué des mesures « totalement ineptes, dangereuses et contre-productives » et « des élus incapables de mettre en œuvre une politique cohérente et efficace d’aménagement du territoire ».

Des sénateurs débarrassés de toute idéologie

« Les représentants syndicaux font preuve d’une violence incroyable dès que l’on s’attaque à la question de l’installation ! », commente le rapporteur Hervé Maurey, sénateur centriste (UDI) de l’Eure, département où la démographie des médecins généralistes est la plus faible en France. « Mais ces attaques sont à mes yeux un aveu de faiblesse, car ils n’avancent aucun argument de fond. La plupart des médecins sont en réalité conscients de la nécessité d’instaurer une régulation. » Face à cette fronde syndicale, les sénateurs avancent unis : le groupe de travail qui a rendu ce rapport est présidé par le socialiste Jean-Luc Fichet et ses membres représentent tous les groupes politiques présents au Sénat, des communistes à l’UMP. « Lorsque la ministre de la Santé Marisol Touraine a présenté, en décembre, son “Pacte territoire santé”, explique le rapporteur Hervé Maurey, j’ai craint que les sénateurs de la majorité soient tiraillés. Mais cela n’a pas été le cas. Il y a un véritable consensus au sein de notre groupe de travail. Nous sommes des élus nationaux mais nous sommes proches du terrain. Nous voyons les problèmes qui se posent, et qui se poseront encore d’avantage dans les années à venir. »

Auditionnée par le groupe de travail, la ministre de la Santé a admis que « la question des déserts médicaux est, avec raison, une préoccupation majeure pour nos concitoyens comme pour nos élus nationaux et locaux »… avant d’expliquer ne pas avoir « retenu la coercition comme outil d’action » car « elle se heurte à la liberté des patients pour choisir leur praticien et à la liberté d’installation des médecins, principes anciens dans notre pays ». Dans leur rapport, les sénateurs se rappellent que Marisol Touraine fut d’un autre avis lorsqu’elle était députée. Elle signa en effet une proposition de loi, déposée en février 2011, prévoyant que toute installation d’un professionnel de santé libéral soit subordonnée à une autorisation de l’ARS. L’auteur de cette proposition de loi est… Jean-Marc Ayrault, l’actuel Premier ministre. Nicolas Sarkozy a lui aussi en son temps proposé « des mesures audacieuses », se souviennent encore les sénateurs. « Une fois que les hommes politiques sont en responsabilité au niveau national, ils craignent de déplaire aux médecins », réagit sobrement Hervé Maurey.

Pendant ce temps la désertification continue

Pourtant, la désertification médicale à l’œuvre n’épargne plus aucune région, et même aucun département. Car c’est à l’échelle « infradépartementale », celle des « bassins de vie », que les inégalités de la densité médicale sont les plus grandes. Les sénateurs donnent l’exemple des Alpes-Maritimes, où les professionnels de santé sont « géographiquement concentrés sur les quinze kilomètres de la bande littorale, l’arrière-pays correspondant à un authentique désert médical ». Les sénateurs distinguent aussi la démographie des médecins généralistes de celle des spécialistes. Pour les premiers, « la densité varie de 101,2 médecins généralistes pour 100 000 habitants dans l’Eure, à 226,9 pour 100 000 habitants à Paris », soit un ratio de 1 à 2. Pour les seconds, les écarts de densité sont bien plus forts, allant de 1 à presque 8 : il y a ainsi 64,3 médecins spécialistes pour 100 000 habitants dans la Haute-Loire et 501,3 pour 100 000 habitants à Paris. Et le plus difficile est à venir, car les projections de la démographie médicale « sont défavorables à moyen terme » : aujourd’hui, près de 200 000 médecins libéraux exercent en France – un chiffre record –, mais leur âge moyen est de 51,5 ans. En 2019, la démographie médicale devrait tomber à 188 000, pour remonter en 2030 à 206 000, ceci dans un contexte d’accroissement et de vieillissement de la population, donc de besoins de santé grandissants.

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Des maisons de santé pluriprofessionnelles vides

Si ce constat est désormais largement partagé, les solutions n’ont pas encore été trouvées. « Force est de constater que les mesures mises en place par les gouvernements successifs sont insuffisantes, pour ne pas dire inefficaces », constatent les sénateurs. Le rapport liste les multiples incitations à l’installation de médecins libéraux en zones sous-dotées : exonérations fiscales et sociales, majorations d’honoraires, contrat d’engagement de service public assurant 1 200 euros mensuels aux étudiants en médecine qui s’engagent à exercer en zone sous-dotée, etc. Quant aux maisons de santé pluriprofessionnelles, censées offrir un cadre de travail plus attractif aux médecins, il n’est « pas rare » qu’elles restent « vides », « ce qui constitue un intolérable gâchis d’argent public », regrettent les sénateurs.

Ces derniers ne cachent pas non plus leur scepticisme devant le nouveau train de mesures incitatives déployées par le nouveau gouvernement socialiste. Hervé Maurey critique même ouvertement l’intérêt du dispositif des « praticiens territoriaux de médecine générale », qui doit garantir un revenu minimum aux jeunes médecins qui s’installent en zone sous-dotée : « Cela n’a aucun sens. Tout médecin qui s’installe dans un désert médical n’a aucun mal à atteindre un haut niveau de revenu. »

Le groupe de sénateurs va demander une audition à la ministre de la Santé et espère de sa part, sans trop y croire, « une prise de conscience salutaire ». A défaut, Hervé Maurey promet de déposer une nouvelle proposition de loi afin d’encadrer l’installation des médecins libéraux.

Les 15 propositions des sénateurs

Pour lutter contre les déserts médicaux, les sénateurs proposent en premier lieu de « faire évoluer les études de médecine », notamment en diversifiant l’enseignement afin qu’il soit moins centré sur la pratique hospitalière. Une deuxième série de propositions prévoit de « mettre en œuvre à l’échelle des territoires une politique d’accès aux soins » qui passerait notamment par le développement des coopérations et transferts d’actes entre professionnels. L’exercice regroupé pluriprofessionnel doit être favorisé, mais les sénateurs n’excluent pas le recours à des médecins salariés. Ils veulent encore « clarifier et promouvoir les mesures incitatives existantes ». Enfin, ils avancent trois propositions visant à « mieux réguler l’installation » : étendre aux médecins le « conventionnement sélectif » sur le modèle des infirmières ou des kinésithérapeutes ; instaurer, pour les jeunes médecins spécialistes, une obligation d’exercer pendant deux ans dans les hôpitaux des chefs-lieux de départements ; et, enfin, si la démographie médicale ne s’arrangeait pas d’ici à 2017, les jeunes médecins généralistes se verraient eux aussi contraints d’exercer quelques années en zone sous-dotée.