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« POUR JUSTIFIER DE LEUR MONOPOLE, LES PHARMACIENS DOIVENT DÉMONTRER LEUR VALEUR AJOUTÉE »

Publié le 6 avril 2013
Par Magali Clausener
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Etienne Caniard, président de la Mutualité française, croit profondément au rôle du pharmacien dans l’organisation de santé.? A condition qu’il soit formé, compétent et évalué.

LE MONITEUR : Comment voyez-vous les perspectives d’évolution du métier de pharmacien d’officine ?

ÉTIENNE CANIARD : Aujourd’hui, le pharmacien est confronté à de profondes et multiples évolutions économiques – baisse de prix et des volumes des médicaments, déremboursements, maîtrise médicalisée de la prescription – ayant des conséquences sur ses revenus. Mais ce ne sont pas les seules évolutions. La profession est aussi confrontée à des évolutions démographiques et épidémiologiques liées au vieillissement de la population et aux maladies chroniques. Le pharmacien a un rôle pivot à jouer dans la prise en charge des patients âgés et de leur maintien à domicile, comme cela a pu d’ailleurs être souligné dans les différents travaux sur le vieillissement et la perte d’autonomie. Les besoins croissants en information et en conseil conduisent les patients, y compris les plus jeunes, à être de plus en plus exigeants auprès des professionnels de santé, et peut-être encore plus auprès des pharmaciens. Il y a aussi les évolutions juridiques dont on parle peu, comme par exemple l’ouverture du capital et les regroupements d’officine, la vente sur Internet. Enfin, la démographie de la profession est marquée par un « vieillissement » de sa population et une transformation de la pyramide des âges qui vont conduire à d’importants mouvements de départ dans les prochaines années. L’aspect économique est probablement majeur dans la mise en mouvement de la profession aujourd’hui, mais les autres enjeux qui se profilent sont également importants.

Les pharmaciens sont-ils prêts à affronter ces enjeux ?

Dès 2003, nous avons publié 25 propositions pour réformer le système de santé et, parmi celles-ci, nous préconisions la promotion du rôle des pharmaciens en introduisant une nouvelle forme de rémunération déconnectée du volume et des prix des médicaments délivrés. Cette évolution intervient dix ans après, vraisemblablement un petit peu trop tard. Il n’y a pas eu suffisamment d’anticipation sur ces questions. Nous disposons aujourd’hui d’un cadre législatif, réglementaire et conventionnel pour avancer, et la pression économique et démographique oblige à agir. L’enjeu de la pharmacie est de passer d’une économie de produits à une économie de services.

Que pensez-vous de la proposition faite par l’Assurance maladie de transformer le forfait à la boîte en honoraires de dispensation ?

Nous sommes plus favorables aux honoraires de dispensation qui s’appuient sur la ligne de prescription. Il faut faire attention aux effets pervers d’une rémunération de dispensation fondée sur le nombre de boîte. Elle aurait un effet immédiat sur le conditionnement. Nous sommes plutôt dans une logique d’administration d’un traitement. D’autant que le mouvement de baisse des prix des médicaments n’est pas terminé et que la France se situe encore parmi les pays les plus consommateurs de médicaments. Si nous allons vers de nouvelles formes de rémunérations, nous devons avoir des outils d’évaluation du service rendu par le pharmacien.

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D’autres pistes sont évoquées comme des majorations en fonction de traitements, par exemple le traitement de substitution des opiacés. Cela vous paraît-il judicieux ?

Dès l’instant que la valeur ajoutée en termes de santé publique du pharmacien sur un acte de dispensation effectué peut être démontrée, il est normal qu’elle soit honorée. Après, faisons très attention au millefeuille de rémunérations qui rendrait la situation totalement opaque et difficilement gérable. Cela pourrait conduire à l’inflation des dépenses plus qu’à l’amélioration du service rendu. Nous voulons des modes de rémunération le moins « instrumentalisables » possible.

Outre l’accompagnement des patients sous AVK et asthmatiques, quelles pathologies pourraient être suivies par les pharmaciens ?

Les AVK et le traitement de l’asthme sont des bons choix. Il faudra les compléter. Le critère de choix doit être l’existence d’un mésusage, des conséquences en matière de santé publique et la possibilité d’améliorer la prise en charge et le suivi des prescriptions. Le pharmacien doit s’inscrire dans une logique de parcours de soins. Celle-ci ne s’articule pas seulement autour d’un médicament ou de la prise en charge d’une seule pathologie. Les enjeux sont considérables en matière de dépistage ou de vaccination et constituent un sujet un petit peu plus polémique. La situation en matière de vaccination contre la grippe ou de vaccination ROR est loin d’être satisfaisante pour la population française. Le pharmacien a, à l’évidence, un rôle à jouer en matière de surveillance vaccinale, de conseil et, pourquoi pas, en matière d’administration des vaccins si elle est faite en toute sécurité pour le patient. Il faut absolument développer les services des pharmaciens dans ces domaines-là et les évaluer de la façon la plus rigoureuse.

La substitution des génériques peut-elle être développée ?

Nous pouvons imaginer d’aller plus loin que les règles actuelles avec la mise en place d’un répertoire des équivalents thérapeutiques et pas seulement des génériques afin de permettre une substitution entre molécules d’une même classe thérapeutique. Nous devrions trouver des convergences entre les différents acteurs pour avoir une meilleure prescription sur un plan médicoéconomique. Il faut arriver à utiliser de la meilleure façon possible des données collectives pour maintenir un taux de prise en charge qui sinon risque de baisser.

Vous prônez des prix équivalents dans ce répertoire élargi ?

Si on ne modifie pas les règles actuelles et que l’utilisation d’un répertoire d’équivalents conduit le pharmacien à perdre une partie de sa rémunération en recommandant une substitution, il y a peu de chances qu’il adhère à la démarche ! Cet élargissement de la substitution doit s’accompagner d’une mise en cohérence des modes d’allocations de ressources pour qu’elles permettent de rémunérer la valeur ajoutée du pharmacien. Ces modes d’allocation de ressources doivent être en cohérence avec les objectifs de santé publique poursuivis.

La Mutualité française travaille à un accord-cadre avec les pharmaciens. Quels en sont les principes ?

Nous souhaitons transformer les relations historiques que nous avons avec les pharmaciens, relations centrées essentiellement sur la gestion du tiers payant. Nous voulons accompagner le développement des nouvelles missions et prendre notre part dans leur rémunération. Il s’agit bien pour nous d’accompagner une mutation du modèle économique des officines par une évolution du mode de rémunération. Il ne s’agit pas de compenser une baisse des revenus en faisant jouer aux mutuelles un rôle d’ajustement financier ou de créer des relais de croissance pour l’officine. Nous devons tester les domaines dans lesquels de nouveaux accords peuvent être passés, voir comment les mutuelles peuvent « solvabiliser » une prestation nouvelle et la valoriser. Il faut donc mettre en place des outils d’évaluation, mesurer l’apport des pharmaciens dans la délivrance des traitements et le suivi des patients, par exemple le suivi vaccinal, et en tirer les conclusions économiques.

Le sevrage tabagique peut-il faire partie de l’accord-cadre ?

Le sevrage tabagique est un sujet envisageable et en lien avec notre choix de tester à partir de l’automne 2013 la BPCO. C’est la quatrième cause de mortalité en France. Elle est très souvent mal traitée, parce que mal diagnostiquée, et travailler avec les pharmaciens sur sa détection précoce peut améliorer sa prise en charge. Il faut que le pharmacien passe d’un statut de fournisseur de produits voire de services à un statut de producteur de soins. Derrière l’expérimentation sur la BPCO, d’autres actions vont suivre. C’est une porte d’entrée qui illustre bien ce changement du rôle du pharmacien.

Etes-vous favorable au développement de l’automédication ?

L’automédication est une réalité sociale et culturelle. Pour nous, le développement de l’automédication est souhaitable dans des situations très balisées. Si nous remboursons un panier de 30 ou 50 euros, tous les Français vont consommer leur panier de 30 ou 50 euros. Je ne pense pas que cela apporte une quelconque valeur ajoutée en termes d’amélioration de la couverture sociale. En revanche, nous sommes favorables à une logique de parcours autour d’une pathologie pour essayer de trouver la meilleure réponse possible, éviter un recours inutile à des soins et permettre une prise en charge plus précoce. Le pharmacien a un rôle à jouer en termes de conseil, pas seulement médicamenteux, et bien sûr de sécurisation et de validation de l’automédication. Nous devons aussi être capables de développer l’information autour de l’automédication, et dans ce cadre le pharmacien a une place importante.

Quelle est alors votre position sur la vente de médicaments sur Internet ?

Nous pensons que cette évolution est inéluctable. La vente sur Internet vient de faire l’objet d’un encadrement rigoureux compte tenu des risques de surconsommation, de contrefaçon et de mésusage. Probablement faudrait-il que l’ANSM ou la HAS produise très rapidement un référentiel de bonnes pratiques. Il faut être attentif à la distinction entre les conditions réglementaires, qui sont le minimum indispensable, et les référentiels de bonne pratique qui améliorent la qualité des pratiques de ce minimum indispensable.

Etes-vous finalement optimiste sur l’avenir des pharmaciens ?

Aujourd’hui, les éléments de la nouvelle convention permettent d’envisager l’avenir de façon extrêmement positive. Certaines des règles applicables à la profession sont très anciennes. Le monopole de distribution des médicaments date d’une loi de 1803. Ce monopole doit être préservé en ce sens que le pharmacien est le dernier rempart entre le médicament et le patient, et qu’il doit donc être un régulateur dans la distribution des médicaments. Pour justifier de ce monopole, il faut que les pharmaciens démontrent en contrepartie leurs compétences, leur valeur ajoutée. Ils doivent également mettre en œuvre des démarches de formation continue de qualité. Les pharmaciens doivent s’imposer un niveau d’exigence qui soit à la hauteur de leurs responsabilités actuelles et nouvelles. La contrainte économique est souvent le moteur du changement. A nous de faire en sorte que pour les pharmacies d’officine cela soit un changement positif qui revalorise leur rôle en tant que professionnel de santé.

BIO EXPRESS

1990 Président de la Mutuelle des agents des impôts.

1992-1996 Trésorier puis vice-président de la Mutualité fonction publique.

1994 Administrateur de la Mutualité française.

1991-1998 Membre de la Haute Autorité de santé (HAS).

1996-2004 Préside la commission santé-prévention de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).

2001 Vice-président de l’Observatoire national d’éthique clinique.

2004 Membre du collège de la HAS, chargé de la qualité et de la diffusion de l’information médicale.

14 décembre 2010 Président de la Mutualité française.