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KURT HERSBERGER MÈNE DES ENTRETIENS DE POLYMÉDICATION
En Suisse, les pharmaciens pratiquent des entretiens rémunérés auprès des patients polymédiqués depuis 2010. Rencontre avec Kurt ? Hersberger, qui s’est lancé avec enthousiasme dans cet exercice que l’on imagine facilement transposable en France.
Une feuille de papier, un stylo et trente minutes devant soi. Il n’en faut pas davantage pour mener à bien un entretien de polymédication (PMC). Aucune préparation n’est nécessaire. Le patient n’est pas non plus obligé d’amener ses boîtes de médicaments. Le pharmacien télécharge simplement son historique patient depuis un logiciel. Ce vendredi à Bâle, Hans Schuele, 67 ans, souffrant de problèmes cardiaques depuis l’âge de 22 ans, rencontre son pharmacien, Kurt Hersberger, pour un entretien PMC. Cette offre des pharmacies suisses, destinée à améliorer la compliance des patients prenant au minimum quatre médicaments depuis au moins trois mois, a été introduite dans la convention pharmaceutique fin 2010 (lire encadré p. 28). Kurt Hersberger mène trente PMC par an et en a réalisé treize depuis le début de cette année dans son officine qui compte 1 ? 250 patients inscrits.
Un accord de coopération basé sur la liberté du patient
Le patient et son pharmacien s’installent à l’étage dans le local réservé à l’allaitement. Le bureau spécialement aménagé par Kurt Hersberger dans son back-office, au rez-de-chaussée, est déjà occupé pour un autre entretien mené par l’une des deux adjointes, Karen Maes. Un hasard du calendrier et aussi un signe de la spontanéité de cette officine de la vieille ville de Bâle. « Nous répondons à la demande dans la mesure de notre disponibilité. Mon équipe connaît mes jours de présence et prend les rendez-vous », indique le titulaire qui enseigne à l’université toute proche. Passionné par les questions de compliance, il a établi avec une équipe de pharmaciens le protocole national utilisé lors de l’entretien. « Notre groupe de travail a d’emblée eu pour exigence que ce document ne dépasse pas une page ! Une fois rempli, il peut en toute transparence être consulté par les collaborateurs pratiquant ces entretiens », indique-t-il.
Ne plus parler météo au comptoir
Hans Schuele déballe ses médicaments : Duodart, Exforge HCT, Simvastatine-Mepha 20, Xyzal. Quatre produits qu’il affirme prendre régulièrement. Après avoir commenté le traitement et suggéré de remplacer occasionnellement Xyzal par Prurimed Lipolotion, Kurt Hersberger déroule les questions, dont trois essentielles : « Savez-vous à quoi servent vos médicaments ? », « Les prenez-vous régulièrement ? », « Les oubliez-vous parfois ? » Le patient répond sans hésitation et indique les heures de prise des médicaments. Il en connaît parfaitement la fonction et, à la question finale, « Que faites-vous si vous avez oublié l’un de vos médicaments ? », il répond du tac au tac : « Je les prends plus tard dans la journée mais jamais le lendemain ! » Un sans-faute pour Hans Schuele qui semble maîtriser son traitement.
L’entretien n’a cependant pas les allures de grand oral pour le patient. Plutôt un rendez-vous entre quatre yeux qui permet d’évoquer la thérapie en profondeur et les éventuelles difficultés rencontrées. Axé avant toute chose sur la compliance, il est destiné à déterminer si la non-prise du médicament relève d’un problème de motivation ou d’un défaut de mémorisation. « Le PMC est uniquement structuré autour du traitement et sur les principaux problèmes évoqués par les patients, dont les effets secondaires », ajoute Kurt Hersberger, qui insiste sur son caractère exclusivement pharmaceutique, alors qu’« au comptoir, trop de temps s’avère consacré à parler de la météo ! »
« Il n’est pas question de moraliser le patient »
Or, le besoin de PMC des personnes polymédiquées est bien réel. Le logiciel présent dans chaque pharmacie signale toute personne susceptible d’en bénéficier. Des malades chroniques et âgés qui constituent entre un tiers et un quart de la patientèle de Kurt Hersberger. « Pour eux, les génériques sont la première cause de déstabilisation dans leur traitement. Vient ensuite la problématique des doublons entre les prescriptions de ville et hospitalières. La sortie d’hôpital induit souvent le début d’un PMC car elle est synonyme de changement », énumère-t-il, précisant que ces patients prennent en moyenne neuf médicaments. Si le pharmacien joue avant tout un rôle pédagogique, il ne se positionne aucunement en donneur de leçon : « Pas question de moraliser le patient. Il s’agit au contraire de trouver une solution en coopération avec lui et ses proches qui sont autorisés à assister à l’entretien. » Du reste, le PMC n’est pas géré par des algorithmes et ne débouche donc sur aucune réponse standardisée mais sur une solution individuelle.
Hans Schuele n’a pas besoin d’un soutien plus formalisé. Précisant que 70 à 80 % des patients utilisent le semainier comme outil de compliance, Kurt Hersberger évoque la version manuelle mais aussi la forme sous blister qu’il prescrit à l’issue d’un PMC sur dix en moyenne. Chaque vendredi, dans le back-office, une préparatrice est chargée de réaliser à raison de quatre unités à l’heure, ces semainiers qui seront ensuite distribués à domicile par les collaborateurs ou retirés à l’officine par les patients. « Nous proposons actuellement à une trentaine de patients de rendre leur semainier à la fin de la période pour un ultime contrôle de compliance, un dispositif qui contribue activement à prolonger le maintien à domicile », décrit le pharmacien. Il se félicite du fait que la convention tarifaire de 2010, qui a introduit le PMC, ait accordé pour la première fois aux pharmaciens le droit de prescrire et de vendre une prestation de services. Le pharmacien est rémunéré pour cette prestation « intellectuelle » (selon l’expression suisse utilisée dans la convention), 48,60 CHF (40 €) par PMC et 21,60 CHF (17,80 €) par semaine pour le semainier, sous forme de pilulier (dosette ou blister). Ce semainier correspond à une « prestation de services ».
Un second PMC pour constater les bénéfices du premier ?
Le titulaire ne cache pas son plaisir à mener ces entretiens qui lui permettent de jouer pleinement son rôle de pharmacien : « Il faut faire appel à ses connaissances scientifiques, comme par exemple expliquer au patient la conduite à tenir en cas d’oubli du médicament. » Hans Schuele, de son côté, apprécie le temps que lui a consacré son pharmacien. Une situation unique et précieuse : « Un ami qui questionnait son médecin sur son traitement s’est vu conseiller une recherche sur Internet ! » Et de promettre qu’il recommandera le PMC à ses proches polymédiqués. Le pharmacien regrette cependant que le PMC ne connaisse pas la dynamique qu’il mérite (« Il est interdit aux pharmaciens de faire de la publicité pour un service remboursé par les caisses d’assurance-maladie ») et compte sur le bouche-à-oreille : « Un patient auquel vous consacrez une demi-heure de votre temps n’ira plus jamais voir la concurrence ! » Pour autant, Kurt Hersberger veille à ne pas exclure le médecin de cette relation de confiance. S’il n’est pas autorisé à supprimer un médicament prescrit, ni à en moduler la dose sans accord du médecin traitant, il lui est possible d’aménager les prises selon les besoins du patient. De même, il peut renouveler la prescription pendant une durée d’un an. « Toute modification est signifiée par fax ou par téléphone au prescripteur. Jusqu’à présent, cela se passe très bien », expose-t-il, précisant qu’il lui est même arrivé, comble du zèle, de prescrire des semainiers sous blister à des patients de « médecins-dispensants »(1) !
Le titulaire admet cependant qu’une meilleure information du corps médical aurait pu contribuer à un meilleur essor du PMC. De même, il souhaiterait, à l’instar du modèle britannique MUR(2), qu’un second PMC puisse être consécutif et proche du premier afin de constater le bénéfice des ajustements. Kurt Hersberger ne s’enthousiasme pas moins de ce premier « grand pas » effectué par la pharmacie suisse : « En démontrant que nous savons conduire le PMC, nous prouvons que nous sommes en mesure d’assurer d’autres formes d’entretiens pharmaceutiques ! » Et de rêver à des entretiens ciblant certaines indications ou encore à un entretien de prise en charge à la sortie de l’hôpital.
(1) 17 des 26 cantons suisses autorisent les médecins – notamment dans les zones montagneuses isolées – à vendre des médicaments.
(2) Medicines Use Review en vigueur depuis 2005.
L’AVIS DE KAREN MAES
« Le PMC fait avancer la profession dans son ensemble et lui permet d’exercer une pharmacie axée sur le patient. Souvent notre rôle au comptoir se résume à une réponse à un diagnostic par une thérapie. Au cours du PMC, nous pouvons offrir un service sur l’utilisation du médicament et au besoin apporter d’autres services comme la prise de tension, l’analyse d’urine ou le check-up cardiaque. Des services qui contribuent à resserrer le lien avec le patient. »
Kurt Hersberger en cinq dates
1978 Diplôme de pharmacie de l’université de Bâle.
1982 Reprise de l’officine paternelle.
1992 Chargé de cours à la faculté de pharmacie, université de Bâle.
1996 Création du Pharmaceutical Care Research Group.
2009 Chaire de professeur à l’université de Bâle.
50 % des officines suisses font du PMC
En septembre 2010, PharmaSuisse, l’organisation faîtière des pharmaciens suisses, a introduit dans la nouvelle convention tarifaire, dénommée RBP IV, (rémunération basée sur les prestations), l’entretien de polymédication pour les patients qui en font la demande et attestent de la prise d’au moins quatre médicaments sur une durée supérieure à trois mois. 870 pharmacies suisses, soit 50 %, pratiquent aujourd’hui cet entretien rémunéré. Deux entretiens sont pris en charge par an et font l’objet d’une formation continue facultative. Le dispositif est également régulièrement évalué dans le cadre d’études par le Pharmaceutical Care Research Group de l’université de Bâle par retour de questionnaires de pharmaciens.
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