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LABORATOIRES ET PHARMACIENS SE CHERCHENT ENCORE
La relation ancienne et complexe entretenue entre les pharmaciens d’officine et les laboratoires se transforme sous l’effet des nouvelles missions et des nouvelles exigences de transparence. Dans ce contexte mouvant s’esquissent les bases de relations moins strictement commerciales et plus collaboratives.
Nouvelles missions et nouvelles rémunérations et bientôt stratégie nationale de santé pour réaffirmer la place du pharmacien en premier recours : « La perception qu’ont les acteurs du système de santé du pharmacien s’en trouve modifiée », constate Philippe Lamoureux. Mais, dans cette période de mutation, les laboratoires sont encore dans l’expectative, comme le reconnaît à demi-mot le directeur général du Leem : « Cette perception évolue à mesure que les pharmaciens s’engagent de manière concrète dans leurs nouvelles missions. »
Côté pharmacien, l’expectative vire parfois à l’impatience : « Je les attends, les laboratoires pharmaceutiques !, s’agace Lucien Bennatan, président du groupement PHR. Mais ils préfèrent toujours investir dans des campagnes grand public ou auprès des médecins. » « Les laboratoires sentent que notre métier est en train d’évoluer et veulent se positionner, nuance Elisabeth Marchal, pharmacienne à Barentin (Seine-Maritime) et présidente de la commission « métier » du Giphar. Mais je ne trouve pas que cela soit très concret. » « Je rêve devrais partenariats entre les pharmaciens et les industriels », renchérit Pascal Louis, président du CNGPO.
Les industriels sont, quant à eux, bousculés par la législation mouvante encadrant leurs liens avec les professionnels de santé (voir interview p. 31). « On est très réglementés, ce n’est pas forcément facile pour nous d’accompagner les pharmacies », explique Fanny Neiger, chef de produit chez Teva. « Les médecins et les patients doivent être préservés de l’influence des industriels. Mais quelqu’un doit discuter avec eux. C’est la fonction du pharmacien d’être le lien entre la chaîne du médicament et le système de santé », analyse Philippe Besset. Parmi les liens protéiformes entre pharmaciens et laboratoires, le président de la commission « économie de l’officine » de la FSPF estime que ce sont bien les relations « non facturées » qui sont réinterrogées. Elles peuvent s’inscrire dans le cadre de « relations commerciales », c’est-à-dire en lien avec un produit vendu par le laboratoire, ou au contraire viser plus largement « l’accompagnement du métier du pharmacien », distingue à son tour Elisabeth Marchal. Les liens non facturés sont encadrés par le « dispositif anti-cadeaux » introduit dès 1993 et étendu par la loi Bertrand. Tous les « avantages en nature, ou en espèces, de quelque forme que ce soit » procurés par les laboratoires pharmaceutiques sont en règle générale interdits, rappelle Xavier Desmas, président de la commission « exercice professionnel » de l’Ordre des pharmaciens. « L’indépendance du professionnel de santé prime », insiste-t-il. Mais il existe des dérogations à ce principe « si les avantages sont encadrés par des conventions de recherche ou scientifique ou encore d’hospitalité dans le cadre d’invitation à des colloques par exemple. Ces conventions sont soumises au Conseil de l’Ordre, qui doit en apprécier le sérieux avant de les autoriser », poursuit Xavier Desmas. Le dispositif anti-cadeaux ne s’applique pas non plus aux services proposés dans le cadre « des relations normales de travail », pas plus qu’il n’interdise « le financement des actions de formation médicale continue ».
Une avalanche de propositions de services
Dans ce cadre, les laboratoires rivalisent d’inventivité pour fidéliser les pharmaciens. « Nous voulons faire de cet acteur de premier recours un partenaire pour la santé. Nous voulons innover, dans la transparence » : telle est la philosophie de Sanofi, présentée par Franck Le Meur, directeur des opérations génériques chez Zentiva France, la filiale générique de Sanofi. Le réseau commun à Sanofi et Zentiva de 65 visiteurs médicaux délégués à l’officine a récemment été renforcé et travaille notamment à l’information des équipes officinales sur le diabète, l’une des spécialités du laboratoire. Il forme par exemple à l’utilisation de son lecteur de glycémie BGStar. Mais Zentiva propose également aux pharmaciens un accompagnement personnalisé (« Mon parcours pro Zentiva ») qui consiste, entre autres, en des formations en e-learning aux entretiens pharmaceutiques sur l’asthme ou les AVK. Chez Biogaran, l’autre génériqueur français, « les nouvelles missions, le dépistage, la prévention, ce n’est pas nouveau, assure Corinne Dardel, directrice marketing du pôle marques. Nous travaillons sur la prévention des accidents liés à l’iatrogénie depuis 1996 avec nos packagings ou encore des kits de sécurité distribués aux patients pour bien ranger leurs médicaments ». La filiale de Servier a également mis au point une formation par e-learning intitulée Star (« Substituer pour Augmenter votre Rentabilité ») qui consiste en cinq modules balayant « les génériques de A à Z », « l’analyse des attitudes des patients » face au générique pour prévenir les refus de substitution, ou encore « la liaison médecin-pharmacien ». En outre, la dernière formation de Biogaran enseigne les techniques du management en partenariat avec l’école de commerce ESSEC. 300 pharmaciens devraient en bénéficier cette année. « Pour que le pharmacien joue son nouveau rôle, il doit gérer son temps en chef d’entreprise », explique Corinne Dardel.
Devant cette avalanche de services gratuits, les réactions sont partagées. S’il ne remet pas en cause leur intérêt, Lucien Bennatan est « toujours suspicieux » quant aux motivations des laboratoires : « C’est de l’habillage pour rendre le pharmacien dépendant. » Pour Philippe Besset, « c’est avant tout de la com’. J’en oublierais presque à qui appartient Biogaran… ». Mais pour Xavier Desmas, « il ne faut pas voir le mal partout. Les formations en e-learning sur les nouvelles missions sont appelées à se développer, surtout pour les pharmaciens qui exercent en zone rurale ». Pour Thierry Barthelmé, pharmacien et président de l’organisme de formation UTIP, le pharmacien doit être « plus proactif ». Il sollicite régulièrement les laboratoires pour des formations spécifiques répondant à ses besoins particuliers : « Le bon usage du produit, la mise en scène du point de vente, et même le management, énumère-t-il, et assume : Chaque fois que les laboratoires passent me voir, je leur demande ce qu’ils peuvent faire de plus. »
L’idée d’un partenariat plus équilibré fait aussi son chemin dans les groupements, aux liens particulièrement ténus avec les industriels. « On veut bien bénéficier de leur expertise, mais c’est nous qui mettons en forme, qui réalisons, explique Lucien Bennatan. Sur tous nos modèles d’e-learning sur la grossesse, les anticoagulants oraux, l’asthme, nous avons pioché dans les bibliothèques des industriels, mais réalisé nous-mêmes nos programmes. » Même volonté d’indépendance chez Giphar : « A chaque proposition des laboratoires, nous sommes méfiants, explique Elisabeth Marchal. Nous essayons plutôt de travailler nos approches, sans aller chercher tout de suite le laboratoire qui va faire le travail à notre place. Nous développons nos projets, les laboratoires sont attentifs et nous demandent ce qu’ils peuvent nous apporter. » Le groupement a ainsi fait appel à « l’expertise » du laboratoire Teva, qui a une franchise en pneumologie, pour une formation aux entretiens pharmaceutiques sur l’asthme. Le laboratoire a mis à disposition de Giphar son outil d’e-learning et participé au financement, sans contreparties. Pour Elisabeth Marchal, le laboratoire adopte « un positionnement éthique » et « renforce son partenariat avec le groupement ». « Mais nous avons réuni nos propres comités d’experts, insiste-t-elle. Et il y a d’autres outils que l’on autofinance, par exemple notre campagne qui vient de démarrer sur le dépistage de la thyroïde. »
L’UTIP est allé plus loin : « Avec Sanofi et Abbott, nous avons écrit le premier protocole de prise en charge des patients diabétiques de type 2 en officine », revendique son président Thierry Barthelmé. Pour cela, l’UTIP a constitué un comité scientifique pluridisciplinaire associant médecins, pharmaciens, diététiciens et podologues, sans oublier « les laboratoires qui ont apporté leur expertise » ainsi que le financement d’un outil informatique de formation de l’équipe officinale et d’accompagnement de l’entretien pharmaceutique. Cet outil comprend des quiz sur le diabète de type 2, des fiches pratiques pour informer le patient ainsi qu’un dossier patient permettant d’assurer un suivi personnalisé. « Le rôle financier des laboratoires est indispensable, mais pas premier. Ils sont avant tout intéressés par l’aspect pédagogique de cet outil », assure Thierry Barthelmé.
URPS : quelles limites à l’aide des laboratoires ?
A la tête de l’URPS-pharmaciens d’Ile-de-France, Renaud Nadjahi veut lui aussi utiliser « la compétence des laboratoires, leur connaissance des pathologies, indispensable pour faire évoluer notre métier ». L’URPS a présenté plusieurs projets d’expérimentations sur les nouvelles missions à l’agence régionale de santé (ARS), encore à l’étude : de la télépharmacie permettant de mesurer les constantes du patient (tension, poids, glycémie), une sensibilisation à la vaccination contre la coqueluche et la grippe, ou encore à la contraception auprès de femmes ayant demandé une pilule du lendemain. Pour chacun de ces projets, « les laboratoires ont apporté leur expertise, du matériel, mais jamais d’argent », explique Renaud Nadjahi. Selon lui, les statuts des URPS sont compatibles avec cette aide matérielle. Pourtant ces statuts stipulent qu’elles ne peuvent accepter « des concours qui, par leur nature ou leur importance, seraient susceptibles de mettre en cause l’indépendance nécessaire à l’accomplissement des missions de l’union ». Renaud Nadjahi estime que, pour respecter ce texte, il faut « refuser les financements directs » en espèces. Et pour ne pas aliéner son indépendance, les aides matérielles doivent provenir non pas d’un seul mais de « plusieurs laboratoires ».
Michel Siffre, président de l’URPS-pharmaciens de PACA, a de son côté une lecture plus littérale de ce texte : « Nos statuts excluent tout financement privé quel qu’il soit », en espèces ou en nature. Dans le cadre d’une expérimentation d’un dépistage du diabète et de l’hypertension en officine financé par l’ARS, l’URPS PACA a cependant accepté le don de lecteurs de glycémie par Sanofi : « Mais nous étions déjà très “limite” », assure Michel Siffre.
Entre souhait d’indépendance des pharmaciens et nécessaire recours à l’expertise des laboratoires, les liens d’intérêts entre ces deux partenaires indissociables restent sujets à interprétation.
Sondage
Sondage réalisé par téléphone du 27 au 29 mai 2013 sur un échantillon représentatif de 100 titulaires en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d’affaires.
Etes-vous satisfait des relations que vous entretenez avec les laboratoires pharmaceutiques ?
Selon vous, le regard des laboratoires sur le métier de pharmacien évolue-t-il ?
Les laboratoires vous font-ils de nouvelles propositions de services ayant trait aux nouvelles missions, directement ou par l’intermédiaire de votre groupement ?
Ces propositions proviennentelles plutôt de laboratoires de génériques ou de princeps ?
Avez-vous accepté certaines de ces propositions ?
Lesquelles ?
Etes-vous satisfait de la qualité de ces services ?