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VERS UNE GUERRE DES E-PHARMACIENS ?

Publié le 29 juin 2013
Par Magali Clausener
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39 % des Français seraient prêts à acheter des médicaments sur le site Internet d’une officine, et le prix serait le deuxième critère d’achat, selon une étude Les Echos Etudes que Le Moniteur s’est procurée en exclusivité. Avec la parution au Journal officiel de l’arrêté sur les bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique, en vigueur dès le 12 juillet, les e-pharmacies vont se multiplier. Et une guerre commerciale pourrait commencer.

En Allemagne, le chiffre d’affaires des officines de vente par correspondance a atteint 1,4 milliard d’euros en 2012 et les produits d’automédication (en vente libre et sans ordonnance) représentent 12 % des ventes à distance. Ces chiffres proviennent de l’étude « Les perspectives du marché et de la distribution de l’automédication » réalisée en mai par Les Echos Etudes en partenariat avec la société Le Terrain, qui prévoit que, d’ici 2020, le marché allemand des ventes pharmaceutiques à distance devrait progresser de 110 %. « Il est difficile de se projeter en se calquant sur le modèle allemand dont les modes de distribution et les habitudes d’achat sont différents de la France, mais je pense que l’achat en ligne de médicaments va se développer progressivement dans notre pays, commente Hélène Charrondière, directrice du pôle Pharmacie-Santé des Echos Etudes. La France est en retard, c’est l’un des derniers pays à avoir autorisé ce canal de distribution et l’automédication est moins importante que dans d’autres pays européens, mais l’achat et les habitudes d’achat sur Internet sont largement développés chez les Français. Et le profil le plus dynamique en termes d’achat est celui des plus de 65 ans, qui ont une sensibilité croissante à la notion de prix avec l’érosion de leur pouvoir d’achat. » « Selon certains experts, la vente en ligne de médicaments en France ne dépasserait pas 3 %, mais cela ne représente pas rien », remarque de son côté Cédric O’Neill, pharmacien et cofondateur de 1001pharmacies. Daniel Buchinger, président d’Univers Pharmacie, estime quant à lui le marché annuel à environ 400 millions d’euros : « En 2010, les Français ont acheté sur Internet des médicaments pour 1 milliard d’euros. Cela comprend la contrefaçon, mais aussi l’achat sur des sites étrangers, lesquels absorbent le marché français. »

200 projets d’e-pharmacies en attente en France

D’après les Echos Etudes/Le Terrain, 39 % des 1 069 personnes interrogées sont prêtes à acheter des médicaments d’automédication sur le site web d’une pharmacie pour elles-mêmes ou les membres de leur famille. La vente en ligne de médicaments représenterait donc bel et bien un nouveau marché pour les officines. Sur lequel les pharmaciens ont commencé à se positionner. Outre les deux précurseurs, Philippe Lailler, titulaire à Caen (Calvados), et Cyril Tétard, titulaire à Villeneuve-d’Ascq (Nord), 30 autres pharmaciens, dont Daniel Buchinger, ont obtenu l’autorisation de leur ARS. Et d’après Cédric O’Neill, 200 projets seraient en attente de l’agrément en France.

Beaucoup ont, en effet, attendu la parution au JO de l’arrêté sur les bonnes pratiques de dispensation sur Internet avant de se lancer véritablement sur le web. Le texte est enfin sorti le 23 juin. Il comporte de nombreuses contraintes, mais a également intégré des remarques de l’Autorité de la concurrence. Ainsi, le prix des médicaments vendus sur Internet est libre (le projet d’arrêté prévoyait qu’il soit identique à celui du médicament vendu dans l’officine) et il n’y a pas d’obligation d’avoir les produits en stock. Quant aux frais de livraison, l’arrêté ne précise pas s’ils peuvent être offerts ou plafonnés avec une commande minimale. En revanche, il n’autorise pas les plates-formes et la sous-traitance. Mais certains groupements ou enseignes ont déjà développé des modèles mutualisant les moyens. « Nous allons lancer un site adossé à ma pharmacie et les officines adhérentes pourront être des points relais, les patients ayant le choix d’être livrés à domicile, sur leur lieu de travail ou dans une pharmacie, détaille Daniel Buchinger. Les points relais recevront les colis préparés dans mon officine – il n’y a donc pas de sous-traitance – et les délivreront aux patients. » Le président d’Univers Pharmacie prévoit d’ouvrir son site le 12 juillet après les adaptations nécessaires pour le rendre conforme à l’arrêté. Le modèle d’Univers Pharmacie inspire 1 001pharmacies, qui devrait aussi développer dans les mois à venir un site adossé à une officine avec des pharmacies points relais. « Nous allons nous focaliser sur le drive et le réseau à l’instar de PHR, ajoute Cédric O’Neill. A Paris, 20 % des commandes de parapharmacie sont payées en ligne mais retirées en officine. Ce chiffre peut être amélioré. »

Des leaders se dessineront à terme

La concurrence va donc s’étoffer et s’intensifier. Et les prix vont être un paramètre important, car il est un critère pour les internautes. L’étude les Echos Etudes/Le Terrain le montre : deux critères d’achat émergent pour les individus interrogés : le fait qu’ils connaissent et utilisent déjà le médicament (70,9 % des répondants) et le prix (67,7 %). « Le prix est le critère d’achat pour tous les produits vendus sur Internet. Il est donc logique qu’il le soit aussi pour l’achat de médicaments. Et il va jouer dans la concurrence entre officines », souligne Hélène Charrondière. Dans certaines limites cependant pour les pharmaciens : « Nous allons appliquer les prix habituels de notre réseau. Nous ne pouvons pas non plus faire n’importe quoi », remarque Daniel Buchinger. Pour Cyril Tétard, tous les sites ne pourront pas être rentables : « Des sites vont grossir, mais je pense que seulement cinq à dix sites vont tirer leur épingle du jeu et, avant 2018-2019, il n’en restera pas plus de trois. »

Reste à savoir quel acteur restera sur le marché. On peut penser que la « prime » ira aux premiers qui se sont lancés, comme Philippe Lailler qui réalise actuellement 100 commandes par jour. Mais ce n’est pas l’avis de Daniel Buchinger : « La vente en ligne est un vrai métier. Ce sont les professionnels qui se distingueront. » Outre le prix, les services joueront un rôle. Lucien Bennatan, président de PHR, qui ne croit pas, paradoxalement, à la vente en ligne, réfléchit néanmoins à proposer des services sur son site en novembre prochain : « Nous sentons la nécessité d’aller plus loin dans ce sens. Le site est une vitrine, car l’arrêté, et je m’en réjouis, ne permet pas la marchandisation du médicament. »

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La guerre ne fait donc que commencer. Mais tous les e-pharmaciens sont d’accord : « Il faut se conformer aux règles. Après, nous verrons si elles sont adaptées aux habitudes des internautes », résume Philippe Pouzols, titulaire et e-pharmacien à Chartres, dans l’Eure-et-Loir.

L’arrêté du 20 juin 2013 en 10 points

1) Le site doit comporter des liens vers les sites Internet de l’Ordre des pharmaciens, du ministère de la Santé et de l’ANSM (page du formulaire de pharmacovigilance). Les liens vers les sites des entreprises pharmaceutiques sont interdits.

2) Les forums de discussion ne sont pas autorisés.

3) Le référencement de produits contre rémunération est interdit.

4) La création et l’exploitation du site Internet « ne doivent pas être financées, pour tout ou partie, par une entreprise produisant ou commercialisant des produits de santé ».

5) Tous les échanges entre le pharmacien et le patient sont tracés et archivés.

6) La quantité maximale délivrée ne peut excéder un mois de traitement à posologie usuelle ou la quantité maximale nécessaire pour les traitements d’épisode aigu.

7) L’hébergement des données de santé considérées comme sensibles ne peut se faire qu’auprès d’hébergeurs agréés par le ministère de la Santé.

8) La préparation des commandes ne peut se faire qu’au sein de l’officine.

9) Il n’y a pas de droit de rétractation pour le patient, lequel doit avoir au moins 16 ans pour commander.

10) Les réclamations du patient doivent s’accompagner de la réexpédition par ce dernier du produit concerné.

L’avis des Français

43,3 % pensent que la vente en ligne de médicaments est plutôt une bonne chose et 42,5 % plutôt une mauvaise chose.

18,2 % sont tout à fait d’accord et 43,1 % plutôt d’accord que la vente en ligne de médicaments contribue à baisser le prix de ces derniers.

50,9 % envisagent d’acheter sur n’importe quel site d’officine.

87,7 % sont prêts à acheter des médicaments contre les maux de tête et les douleurs ;

76,5 % des médicaments contre le rhume et la toux ;

60,3 % des médicaments contre les troubles digestifs (constipation, diarrhées…).

Source : sondage Les Echos Etudes/Le Terrain réalisé en mai 2013 auprès de 1 069 personnes.