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LA COUVERTURE SANTÉ ?

Publié le 6 juillet 2013
Par Isabelle Guardiola
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Sous-vêtements surveillant les paramètres vitaux, draps lumineux pour soigner la jaunisse du nourrisson, stents antithrombotiques, chaussettes pour les diabétiques… Les textiles deviennent de plus en plus « intelligents » et pourraient bien devenir les médicaments du futur.

Peut-être connaissez-vous déjà l’une des applications les plus abouties de ces tissus intelligents – ou smart textiles –, capables de réagir à la température, à la lumière ou encore au frottement. Il s’agit de la veste de pompier, truffée de capteurs relevant température extérieure et gaz toxiques, tissée en fibres d’aramides (pour aromatic polyamide) tel le Kevlar, légère et résistante à la chaleur. A porter avec des sous-vêtements communicants capables de surveiller les paramètres vitaux (température corporelle, respiration, rythme cardiaque…) à l’aide de puces ou capteurs intégrés dans les fibres. Farfelu ? Ces produits, développés en premier lieu dans les secteurs du sport et de la sécurité, existent pourtant depuis plusieurs années et on pourrait en imaginer d’autres pour tous les publics dans le domaine de la santé. La révolution industrielle est-elle en marche ? Autrement dit, est-on sur le point de passer du stade du prototype à la commercialisation ?

En devenant technique, le textile s’est fait « actif »

Souple, léger ou plus épais, absorbant, résistant, élastique, s’adaptant à toutes les surfaces, les propriétés du tissu avaient tous les atouts pour intéresser les chercheurs. En le travaillant, ils sont parvenus à doter la matière textile de nouvelles propriétés : conduire la chaleur ou garder le froid, changer de couleur en fonction de la lumière, de la chaleur ou de la pression, stocker et libérer de grandes quantités d’énergie… En devenant technique, le textile s’est fait « actif ». Il est défini par une norme ISO-Afnor, parue en février 2012 : « Les textiles intelligents sont les matériaux textiles ou les systèmes textiles qui possèdent des propriétés intrinsèques et fonctionnelles supplémentaires non normalement associées au textile traditionnel. »

Définir ce qu’est un textile « intelligent », c’est s’engager dans un débat sémantique. Reynald Convert, directeur recherche-développement pour Thuasne, se dit gêné par le terme « intelligent », qui désigne la capacité à raisonner et agir sur la base d’informations.Il définit ces produits comme « des matériaux souples sur lesquels on va poser des dispositifs qui utilisent de l’électronique pour mesurer des signaux et renvoyer ces signaux au premier utilisateur – le patient – ou au second, le professionnel de santé. » D’autres parlent de textiles « intelligents » parce qu’ils ont une composition qui leur permet de réagir à une stimulation externe, ou à son environnement extérieur afin de produire un effet particulier. Julien Payen, responsable projet chez Up-Tex et en charge de la partie commerciale du CETI (1) (Centre européen des textiles innovants), cite l’exemple illustratif d’un matériau type isolant : « Le textile peut être technique sans forcément réagir à une stimulation extérieure. En revanche, si l’isolant chauffe quand il fait froid et inversement, il s’agit d’un textile intelligent. De même qu’un pansement libérant de façon contrôlée un médicament en contact avec l’exsudat est un textile intelligent et non un pansement classique. »

Des recherches sur l’impression en 3D et les fibres électroniques tissées

Pour diversifier les fonctionnalités des textiles, les scientifiques ont notamment utilisé les nanotechnologies, en fixant ou encapsulant des éléments de plus en plus petits sur les tissus. Des microcapsules fichées dans les fibres du textile contiennent un agent actif qu’elles « relarguent » à la suite d’une stimulation mécanique, thermique ou chimique. Il s’agit le plus souvent d’applications en cosmétotextile, mais pas uniquement : « Des essais sont en cours sur des patchs qui, sous l’impulsion de courant électrique, font pénétrer les médicaments sous la peau, explique Philippe Guermonprez, responsable du département Textiles intelligents au sein de l’Institut français du textile et de l’habillement (IFTH). On pourra notamment programmer la diffusion de médicaments à plusieurs moments de la journée. Il faut cependant que les molécules soient suffisamment fines pour passer en intradermique, comme c’est le cas pour l’ibuprofène. »

Les microcapsules peuvent être incorporées dans des fibres textiles creuses ou poreuses lors du filage ou fixées au support textile. Une couche de « liant », constituée de fibres naturelles, artificielles ou synthétiques, est utilisée pour l’adhérence des microcapsules au support textile. D’autres recherches sont en cours sur des supports synthétiques où l’on mélange, par exemple, un antibactérien au polymère fondu avant le filage.

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Les principaux écueils au développement de ces techniques et donc à la commercialisation de ces produits, en plus de leur coût élevé, sont la durée de vie des capsules et leur résistance au lavage, ainsi que la nécessité d’utiliser de grandes quantités de solvants : « De plus, objecte Reynald Convert, comment évaluer que disposer tel principe actif à tel emplacement va être efficace pour la personne ? A quelle quantité et à quelle durée de portée ? Selon moi, ces questions sont loin d’être maîtrisées. »

D’autres recherches sont menées sur les fibres électroniques tissées et l’impression en 3D, réalisée directement sur les vêtements. La première approche consiste à fondre des granulés de polyester ou de polymère et à les associer à des nanotubes de carbone, avant de filer la fibre qui deviendra un filament conducteur, prêt à être tissé. Le but est d’obtenir des textiles techniques souples et résistants, nombre de prototypes ne passant pas le cap du cinquième ou du dixième lavage. Parmi les applications principales de ces smart textiles à conductivité électrique, figurent des capteurs de points de pression, avec relevé précis des coordonnées sur le vêtement, et le monitoring des signes vitaux. « Les stimuli peuvent être électriques ou mécaniques (ECG ou battements cardiaques) et “captés” en particulier par les technologies suivantes : matériaux piézoélectriques, à mémoire de forme, fibres optiques et autres matériaux fonctionnels conducteurs, permettant ainsi une restitution sous forme d’ondes électromagnétiques communicantes », selon un rapport réalisé par Up-Tex et le CETI (2). Les spécialistes déclinent les différentes applications en préparation en électrostimulation : la montre pour diabétique à injection d’insuline par aiguilles, des sous-vêtements avec des patchs antidouleur, ou massant pour améliorer la circulation, remuscler ou encore dispenser une séance d’acupuncture…

Les tissus intelligents sont notamment utilisés en médecine pour réaliser des implants pour la chirurgie orthopédique, digestive, neurologique ou vasculaire. Ils servent à fabriquer des artères artificielles tricotées en fibres de polyester et, d’ici quelques années, des valves cardiaques, plus solides que le tissu biologique… Dans le cadre d’un appel à projet lancé en mai 2012 par GöteborgBIO, des chercheurs suédois et norvégiens mettent au point des stents « tricotés » pour vasodilater artificiellement le vaisseau lors d’une angioplastie. Habituellement fabriqué en métal, ce corps étranger demeurant en place dans l’artère a comme conséquence la création de tissu cicatriciel. Conçu en fibre textile, il sera à la fois solide et souple, et contrairement au métal, évitera la formation de tissu cicatriciel, s’effilochera une fois sa mission accomplie. Il devrait être disponible dans l’année ! Dans le cadre du même appel à projet, s’est distingué PressCise, pansement innovant, notamment pour le traitement des varices, résultant de la combinaison d’un matériau textile et d’un système d’indicateurs visuels… L’un de ses objectifs est d’offrir une pose facile, à la portée de tous. Commercialisation attendue dans les prochains mois.

Autre exemple, la recréation des organes à partir de matériaux synthétiques. Un laboratoire allemand travaille sur la fabrication de peau artificielle. Les programmes du pôle de compétitivité rhônalpin Techtera (3), concernent des dispositifs médicaux innovants pour la réparation et régénération des tissus mous situés au niveau de la paroi abdominale (dispositif tricoté) et au niveau des tissus péridentaires et péri-implantaires (non tissés).

« Un gilet de capteurs à fibres optiques a été testé dans un scanner IRM »

Autre champ d’application très prometteur, l’intégration de capteurs dans ces textiles pour surveiller les battements de cœur et la pression de contention grâce à des cartes électroniques intégrées, autant de produits à développer dans la gestion des maladies chroniques. « L’avantage du textile, c’est qu’il est confortable et peut couvrir tout le corps pour autant de points de mesure », argumente Philippe Guermonprez. Citons ainsi le projet Chronious, en partie financé par l’Union européenne, testé en Espagne et Italie avant d’être étendu, qui s’adresse aux professionnels de santé et aux patients atteints de maladies pulmonaires obstructives chroniques et d’insuffisances rénales chroniques. Des capteurs fixés sur un tee-shirt et d’autres objets périphériques placés au domicile du patient (balance numérique, glucomètre, tensiomètre, spiromètre, capteur de qualité de l’air) récoltent des données de santé mais aussi environnementales, transmises au médecin par un mobile (téléphone ou ordinateur portable). Le système permet un suivi à distance du patient qui précise par exemple ses prises alimentaires ou médicamenteuses. Philippe Guermonprez cite également un système de monitoring mesurant la respiration et le rythme cardiaque par fibre optique pour surveiller les personnes qui, lorsqu’elles passent un scanner, peuvent perdre conscience, paniquer… « Dans un scanner, le champ magnétique intense empêche d’y loger du métal. Or la plupart des capteurs nécessitent de l’électricité, donc des parties mécaniques. Les fibres optiques sont des capteurs idéaux dans ces conditions ; un gilet de capteurs à fibres optiques a été réalisé et testé dans un scanner IRM. »

Enfin, des traitements en luminothérapie – transmis par les textiles – intéressent les industriels. C’est le cas de bonnets tissés en fibres optiques transmettant des UV, lesquels vont activer des médicaments anticancer, testés dans le cadre hospitalier. Cédric Brochier, issu d’une lignée de soyeux lyonnais, a mis au point, au sein de Brochier Technologies (4), un traitement pour la jaunisse du nourrisson : « Le tissage de fibres optiques polymères, connectées à une source LED, des diodes électroluminescentes, permet d’obtenir une surface lumineuse mais non chauffante. » Les fibres sont tissées sur des jacquards, autrefois utilisés pour la soie. « L’innovation textile dans le domaine de la photothérapie porte sur un “pad” émettant de la lumière bleue (sous la forme de drap lumineux ou de “gigoteuses lumineuses”) pour le traitement de la jaunisse du nourrisson ou de la maladie rare de Crigler-Najjar », poursuit Cédric Brochier.Le prototype, testé à l’hôpital Trousseau à Paris, a fait ses preuves d’efficacité et promet d’envisager la fin des rampes lumineuses et un retour à la maison rapide.

Avec le même procédé de LED collées sur le textile, Philips commercialise le Blue Light, une ceinture lumineuse lombaire antidouleur. « On peut penser aussi à des vêtements qui émettent de la lumière pour combattre le stress ou le décalage horaire », complète Philippe Guermonprez.

(1) Up-Tex est un « pôle de compétitivité » textile, initiative de l’Etat pour améliorer le dynamisme des entreprises. Accolé à Up-Tex, le CETI est un centre de recherche possédant des machines permettant de réaliser des prototypes préfigurant un lancement commercial, ce que ne pouvaient faire jusque-là les petites entreprises, faute d’accès à l’investissement.

(2) Les perspectives d’utilisation des smart textiles pour le maintien à domicile (http://bit.ly/17oVuyb).

(3) http://bit.ly/152pejX

(4) http://www.brochiertechnologies.com/

Fonctionnalités des smart textiles dans le secteur de la santé

Cicatrisant

Délivrance de médicaments

Suivi des signes vitaux

Thermorégulation

Suivi des espèces moléculaires

Répulsif

Antibactérien

Détection des infections

Détection des chutes

Communication avec du personnel soignant

Orthèse

Implants

Diagnostic prénatal