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Le crash-test de l’après-crise
La pandémie de Covid-19 est en recul après une période de forte activité qui a constitué un ballon d’oxygène sans précédent pour l’économie de l’officine. Comment réagira le secteur, tandis que parallèlement des difficultés s’accroissent : manque de personnel, tensions et ruptures d’approvisionnement, inflation, etc. ? Ce début d’année est scruté en quête du moindre indice.
La décrue de la pandémie de Covid-19, annoncée depuis plusieurs mois, est amorcée. En décembre dernier, où les épidémies de grippe, de bronchiolite et de Covid-19 se sont télescopées, le chiffre d’affaires (CA) lié au Covid-19 a décroché de 84,2 % par rapport à décembre 2021, entraînant du même coup une diminution du CA global mensuel de 3 % (source : Iqvia). Lissée sur 12 mois (de janvier à décembre), la baisse du CA « Covid-19 » est de 18,73 %, générant pour l’officine un manque à gagner de 315 M€ par rapport à l’année record de 2022 (7,886 Md€ de marge sur le remboursable, dont 1,684 Md€ de marge « Covid-19 »).
Cette décrue intervenant en fin d’année, elle ne pèsera pas vraiment sur les résultats de l’année écoulée.
Le choc des frais de personnel
L’activité, la marge et la rentabilité ont encore atteint des niveaux exceptionnels en 2022. L’économie de l’officine a été porteuse, mais maintenant la musique pourrait changer. Dans cette hypothèse, les gains engrangés suffiront-ils à assurer ses arrières ?
« La marge a augmenté en 2022, bien plus fortement que celle des charges d’exploitation (charges externes et frais de personnel), conduisant à une hausse encore significative de la rentabilité, mesurée par la performance commerciale et de gestion (+ 10,52 % en moyenne dans l’échantillon étudié, à 460 k€). La situation financière des pharmacies s’est à nouveau renforcée », constate Olivier Delétoille, expert-comptable du cabinet AdequA, dans ses statistiques (voir « Repères »).
Et pourtant, les nuages s’accumulent depuis l’an dernier. « Les frais de personnel sont en hausse en valeur de 13 % et absorbent 35 % de la marge. Ainsi, avec deux augmentations de la valeur du point sur l’année 2022 (+ 6,09 % en cumul), le coût horaire chargé moyen par pharmacien adjoint est passé de 43,36 € en 2021 à 45,25 € en 2022, et celui du préparateur de 24,09 € à 26,18 € », observe-t-il. La revalorisation des grilles salariales obtenue fin 2022 influera sur les salaires et les charges durant toute l’année 2023. « Cependant, en volume, avec le désamorçage de la pandémie de Covid-19 et des activités qui y sont liées, le recours aux heures supplémentaires, aux CDD et autres personnels supplétifs sera moindre, de sorte que l’évolution des charges de personnel sera peut-être maîtrisée en valeur », nuance Olivier Delétoille.
Autre élément rassurant : la consolidation des fonds propres et de la trésorerie (représentant en moyenne 13 % du CA en 2022, contre 9,57 % en 2021, selon les statistiques AdequA) pendant les années Covid-19 devrait permettre d’absorber les effets de l’inflation sur les frais de personnel. « Malgré cela, je ne suis pas certain que toutes les pharmacies soient en capacité de proposer ou de garantir les mêmes salaires cette année qu’en 2022, les titulaires vont devoir se montrer très vigilants », craint Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Il s’attend à une année 2023 difficile pour une partie du réseau. « Certaines officines risquent de mal terminer l’année parce qu’elles n’auront plus une progression d’activité suffisante pour couvrir la hausse de leurs coûts fixes et l’inflation », ajoute-t-il. Les pharmaciens vont devoir s’y préparer. « La fin de la crise sanitaire conjuguée à la hausse des charges d’exploitation devrait conduire en 2023 et en 2024 à un retour à la normalité avec des rentabilités proches de celles de 2019 en valeur », prévoit Olivier Delétoille.
Booster les nouvelles missions
Selon le président de l’USPO, les piliers de l’économie officinale doivent à l’avenir être identifiés dans les nouvelles missions dont la liste ne cesse de grossir.
Au vu des difficultés d’appropriation de certaines d’entre elles, la nouvelle convention pharmaceutique aurait-elle trop chargé la barque sans tenir suffisamment compte des limites actuelles des pharmacies ? « Les tâches qui s’ajoutent nécessitent un renforcement des qualifications et des compétences, des embauches et, par conséquent, augmentent la masse salariale, souligne Joël Lecoeur, expert-comptable du cabinet LLA et président du groupement CGP. Or, l’inflation et la difficulté de recrutement renchérissent le coût salarial, et ont donc une forte incidence sur la rentabilité. » Par ailleurs, la crise sanitaire a lessivé les équipes qui ont d’autant plus de mal à régénérer de l’énergie qu’elles sont en manque d’effectifs.
Colosse aux pieds d’argile
L’éclipse du Covid-19 et l’inflation montrent combien l’équilibre économique de l’officine reste finalement plus fragile qu’on ne le pense. « L’activité “Covid-19” n’est pas répartie de manière homogène, les pharmaciens qui n’ont pas pu ou voulu s’investir dans les tests antigéniques (TAG) et vaccinations contre le Covid-19 ont évolué l’an dernier en dessous de l’inflation », constate Julien Chauvin, président de la commission études et stratégies économiques de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Cette observation invite à redoubler de prudence. « Les six prochains mois de l’après-Covid pourraient potentiellement être le “crash-test” de l’économie officinale », redoute Philippe Besset, président de la FSPF. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l’Assurance maladie, estime aussi que cette période préalable aux négociations est nécessaire. « Il faut attendre pour pouvoir faire un diagnostic plus à froid de l’économie de l’officine », a-t-il expliqué le 30 janvier, lors de la soirée de clôture du tour de France de la FSPF consacré aux nouvelles missions.
Que deviendra l’activité sans celle du Covid-19 ? « Nous naviguons actuellement entre deux eaux, nous allons donc scruter attentivement et minutieusement les évolutions jusqu’en septembre, au moment où nous ouvrirons les négociations du volet économique avec l’Assurance maladie. » Une inconnue qui, selon la FSPF, va jusqu’à introduire le doute et remettre en cause l’assertion qu’il manque 15 000 emplois en pharmacie (8 000 préparateurs et 7 000 pharmaciens adjoints).
Deux revalorisations en ligne de mire
Anticipant un retour à la situation d’avant-Covid, les partenaires conventionnels sont tombés d’accord pour que 2019 (et ses 6,8 Md€ de rémunération sur le remboursable) soit l’année de référence pour discuter des revalorisations de la rémunération. « Les premières bases ont été jetées sur ce chemin qui doit nous mener à la signature d’un avenant économique, espère Philippe Besset. Nous devrons prendre en compte ce qui s’est passé pendant la crise sanitaire, regarder les missions de santé publique qui ont été pérennisées et les autres champs d’investissement des deniers de l’Assurance maladie dans le réseau officinal. » Au cours des discussions à venir, Pierre-Olivier Variot veut également tirer un trait sur les années Covid. « Les négociations en cours avec le ministère de la Santé et le volet santé du Conseil national de la refondation appellent à développer et à concrétiser le partage d’actes et d’activités entre médecins et professionnels de santé, tout me laisse à penser que nous sommes proches du but. »
A priori, deux dossiers seront sur la table des négociations. « Il y a, d’une part, la revalorisation de la rémunération par rapport à 2019 en fonction de l’inflation. Elle serait, selon nos calculs, de l’ordre de 10 % environ, dévoile le président de la FSPF. D’autre part, il faut étudier l’attractivité de l’officine et les possibilités de l’entreprise à fonctionner, en d’autres termes, redonner des marges de manœuvre pour lui permettre d’embaucher et d’être à la hauteur de ce que veulent nos autorités de santé et de ce qui sera prévu dans le Conseil national de la refondation », conclut-il. Ces marges de manœuvre doivent provenir, d’après lui, de la création de quatre nouveaux honoraires qui seront soumis à discussion avec Thomas Fatôme : un honoraire de dispensation pour le renouvellement d’ordonnances expirées de patients chroniques, s’appuyant sur la proposition de loi de la députée Stéphanie Rist, à savoir mois par mois et pendant trois mois ; un honoraire pour les dispensations protocolisées ; un honoraire de dispensation pour les interventions pharmaceutiques réalisées sur les ordonnances en faveur du bon usage du médicament ; un autre pour la continuité des soins assurée par la pharmacie située dans un territoire de désert médical.
À RETENIR
Avec le recul de l’épidémie de Covid-19, la pharmacie devrait perdre un chiffre d’affaires (CA) conséquent en 2023.
Bien que le secteur officinal entame l’année avec une situation financière renforcée par le CA réalisé en 2022, il n’est pas certain d’être à l’abri des difficultés : son économie pourrait être plombée par la hausse des frais de personnel et les effets de l’inflation.
Syndicats et Assurance maladie attendent de voir l’évolution de l’économie officinale sur le premier semestre 2023 pour lancer les négociations sur la revalorisation de la rémunération.
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