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HONORAIRES ET TRANSPARENCE AU MENU

Publié le 2 novembre 2013
Par Loan Tranthimy et Laurent Lefort
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Réunis au Congrès national des pharmaciens à Lyon les 26 et 27 octobre, les confrères, inquiets sur l’avenir officinal, cherchent des réponses sur les réformes en cours (honoraires de dispensation, contrats de coopération commerciale…). Compte rendu.

Depuis quelques mois, des confrères dans mon secteur sont menacés de faillite. J’ai fait la grève des gardes pour faire avancer les négociations sur les honoraires. Va-t-on aboutir ? », confie Michèle, pharmacien à Sète (Hérault). Didier, installé à Ecouen (Val-d’Oise), raconte : « Mon chiffre d’affaires est en berne et le gouvernement va encore taper sur les génériques, qui constituent une partie importante de mon activité. Ce n’est plus acceptable. » L’inquiétude est palpable dans les allées du Congrès national des pharmaciens.

Face à une dégradation économique et financière de l’officine, la profession pourra-t-elle supporter encore longtemps les ponctions automnales du PLFSS ? Cette année encore, le médicament reste le premier contributeur du plan de réduction des dépenses avec une facture à 960 millions d’euros dont 605 millions sur les génériques. « C’est un niveau jamais atteint ! », déplore Philippe Gaertner, président de la FSPF, qui rappelle que la baisse de la marge annuelle est estimée à 10 000 euros par pharmacie. Pour ne plus subir ces mesures d’économies qui risquent de mettre à mal le réseau officinal, il devient urgent de déconnecter pour partie les revenus des pharmaciens de la dynamique des médicaments remboursables.

C’est l’une des promesses portées par la convention pharmaceutique signée le 4 avril 2012. Après seize mois de blocage, la signature d’un avenant avec l’Assurance maladie sur des honoraires de dispensation déconnectés des prix et des volumes semblent être possible. Les pharmaciens présents au Congrès peuvent apprécier deux signaux positifs. Le premier vient du ministère de la Santé. Absente pour la seconde année consécutive – ce qui a été très critiqué – Marisol Touraine, dans un message lu par Thomas Fatome, directeur de la Sécurité sociale, se dit « confiante » quant à l’issue de la prochaine réunion conventionnelle qui doit se tenir le 13 novembre. Le second signal vient de la FSPF, Philippe Gaertner estimant « qu’un accord est possible ». La proposition qui convient au syndicat est bien celle instaurant des honoraires à la boîte de 1 € associés à des honoraires de 0,50 € pour la dispensation des ordonnances de 5 lignes et plus, assortie d’une révision de la marge dégressive lissée (MDL). Ce système ferait passer 47 % de la rémunération en honoraires. En clair, 2,5 milliards d’euros sur les 5,3 milliards de marge sur les médicaments remboursables vont être basculés dans le champ conventionnel, alors que la convention pharmaceutique prévoit d’aller jusqu’à 25 %.

Pour le président de la FSPF, cet accord constitue une première étape. La prochaine séance de négociation sera utile pour effectuer « un travail d’ajustement » avec l’Assurance maladie. Philippe Gaertner évoque trois pistes lors d’une conférence de presse. D’abord, il faut évaluer les répercussions économiques sur l’officine. Selon la FSPF, 10 % des officines sont perdantes dans ce scénario. « Il s’agit des structures qui dispensent des produits à prix élevés. Il y en a par exemple à Paris du fait de l’importance des structures hospitalières », confie Philippe Gaertner. Il souhaite ensuite que la rémunération soit davantage déconnectée des volumes, en privilégiant « des honoraires par ordonnance » plutôt que par boîte. Dernière piste : l’introduction d’honoraires spécifiques d’intervention auprès du prescripteur entraînant une modification de l’ordonnance et, en cas de délivrance de traitements de substitution aux opiacés, pour donner « plus de sens à l’acte du professionnel de santé ». Philippe Gaertner évoque un montant de 5 euros pour chaque intervention du pharmacien aboutissant à la modification de l’ordonnance.

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Générique, même transparence

Autre sujet d’inquiétude : la réforme des contrats de coopération commerciale. Le détonnant article 40 du PLFSS 2014, voté vendredi 25 octobre, prévoit que « tout fournisseur des officines de spécialités génériques […] est tenu de déclarer au CEPS les montants totaux, par année civile et par spécialité pharmaceutique, des chiffres d’affaires hors taxes réalisés en France et des remises, ristournes et avantages commerciaux et financiers assimilés de toute nature, y compris les rémunérations de services […] consenties […] au titre de ces spécialités pharmaceutiques remboursables aux officines ». Les élus ont aussi adopté un amendement de Christian Paul, rapporteur pour l’Assurance maladie, qui relève le plafond légal des remises de 17 % à 50 % du prix fabricant hors taxes ou du tarif forfaitaire de responsabilité (TFR). Un arrêté ministériel fixera le nouveau taux, pas forcément annuellement d’ailleurs, en théorie entre 0 et 50 % et dans la limite de ce plafond. Dans l’attente de cet arrêté – ce qui prendra quelques mois –, les députés ont voté le maintien du taux de remise à 17 %.

C’est dans ce décor de série « Gé » que Philippe Gaertner a affirmé que les contrats de coopération commerciale avaient permis de stabiliser l’économie officinale, mais pas de faire bondir les résultats. Se positionnant en faveur de la démarche de transparence de l’article 40, saluant l’adoption d’une modification du plafond, réaffirmant qu’il n’y avait pas lieu de faire disparaître la coopération, défendant la position que libérer totalement les remises dans un système à prix administrés conduirait tôt ou tard à une libéralisation des prix, il a également jugé qu’il fallait rééquilibrer le poids du générique dans la rémunération totale de l’officine (en gros, 25 % de la rémunération totale mais 13 % du CA). Et, samedi 26 octobre, lors d’une table ronde, il a évoqué la possibilité d’intégrer une partie de la rémunération issue des génériques dans les honoraires. Mais, sur cette même table ronde, la prise de position la plus véhémente est venue de Pascal Brière, président du Gemme (« Générique même médicament »). « On ne peut évidemment pas être contre la transparence, mais, de toute façon, les coopérations apparaissent déjà dans vos comptes de résultats et dans les nôtres », assène-t-il. Expliquant que les chiffres d’août et septembre montrent que l’effet « tiers payant contre génériques » est terminé, Pascal Brière a exhorté les pouvoirs publics à prendre des dispositions plus fermes vis-à-vis des médecins. « Il faut contraindre le corps médical à adopter une prescription dans le Répertoire. Cela pourrait à terme permettre de dégager 2 milliards d’euros d’économies. » Une sortie saluée par les applaudissements de la salle, mais nuancée par Philippe Besset. Le vice-président de la FSPF ne perd pas de vue le double enjeu de l’interprofessionnalité et des biosimilaires, lequel risque de s’accommoder assez mal d’un tel rapport de force : « Il nous faut une convention interprofessionnelle et, qu’il s’agisse de génériques, de biosimilaires, ou de parcours de soin, c’est par ce biais que nous réglerons les difficultés sur le terrain », conclut-il.

www.lemoniteursdespharmacies.fr

Retrouvez dans les archives les articles « Honoraires de dispensation : l’Assurance maladie ébranle l’intersyndicale » (Le Moniteur n° 3003) et « Pourquoi le modèle « générique » doit changer ? (« Le Moniteur n° 3001).

Honoraires : quelle proposition de la CNAM est la plus intéressante ?

Le cabinet Cohésio Bretagne (groupe CGP) a modélisé, sur 4 pharmacies de taille différente, la marge qui ressortirait des deux propositions faites par la CNAM le 10 octobre dernier aux syndicats, comparées à la marge actuelle. Rappelons que la première proposition revalorise le forfait à la boîte à 0,60 € et limite les marges sur les médicaments les plus chers à 8,25 % entre 22,90 € et 150 € et à 4 % entre 150 et 2 000 € et que la seconde se compose d’honoraires à la boîte de 1 € majorés de 0,50 € pour les ordonnances de plus de 5 lignes et d’une modification de la marge dégressive lissée (25,5 % entre 1,84 et 22,90 €, 9,1 % entre 22,90 et 150 € et 4 % au-delà de 150 €). Sur le plan méthodologique, le cabinet Cohésio a calculé la marge des génériques et des princeps dans chaque tranche de MDL à partir du nombre de boîtes de spécialités remboursables délivrées par pharmacie. La majoration pour ordonnance complexe n’a pas été prise en compte pour des raisons techniques.

Les extractions ont été réalisées à partir des statistiques de gestion commerciale (LGPI, Winpharma…). Les 4 pharmacies réalisent respectivement un CA vigneté de 677 179 €, 750 963 €, 1 159 100 € et 1 749 576 €. L’étude met en évidence que la première proposition n’améliore la marge que de 0,78 % à 1,44 % de son montant actuel, ce qui reste très en deçà de l’objectif économique des honoraires fixé à l’origine, à savoir compenser avec les autres mesures conventionnelles la perte de marge brute liée à la baisse des prix industriels, à hauteur de 700 M€ pour 2013.

La seconde proposition, en revanche, y parvient mais ne permet pas complètement de compenser la perte de marge cumulée avec celle de 2014, soit 982 M€. Il manquerait 0,07 € par boîte pour y arriver. La seconde proposition de la CNAM apparaît donc cohérente par rapport aux besoins économiques de l’officine, mais pas totalement satisfaisante.

François Pouzaud

Dispensation à l’unité : la FSPF ouverte à l’expérimentation

« Un médicament sur deux n’est pas consommé » : sous-entendu, entraînant une pollution, des gaspillages et de l’automédication. C’est l’argumentaire, très contesté par les professionnels, soutenu en septembre 2013 par Marisol Touraine pour annoncer l’expérimentation de la dispensation à l’unité. Lors du vote du PLFSS 2014, les députés ont donné le feu vert à l’expérimentation de la vente à l’unité de certains antibiotiques dans 200 officines volontaires. En attendant la publication d’un décret qui fixe les modalités de cette expérimentation, la nouvelle divise le monde de l’officine. A commencer par les syndicats. Alors que l’USPO réitère son opposition contre la dispensation à l’unité « qui ne résoudra ni le problème de gaspillage de médicaments, ni celui de l’antibiorésistance », la FSPF se déclare prête à accompagner le dispositif. Au cours du Congrès, Philippe Gaertner, président de la FSPF, a clarifié sa position : « Je ne dis pas que je suis favorable à la vente à l’unité. Mais lorsqu’on nous dit que c’est dans une logique de santé publique, alors j’accompagne. » Estimant que la dispensation à l’unité ne permettra pas à l’Etat de réaliser des économies sur les médicaments mais pourra avoir un effet sur l’observance, il voit aussi dans ce test une bonne occasion d’évaluer l’impact économique de cette dispensation pour les officines. « Il faut définir clairement les règles avec l’Etat. Car aujourd’hui, si les confrères sont contre, c’est parce personne ne leur a dit comment ils le feraient et combien ils seront rémunérés », estime Philippe Gaertner, qui reconnaît un autre avantage à cette expérimentation. « On a la possibilité d’évaluer un modèle opérationnel : traçabilité, sécurité et rémunération. Et cela peut nous servir d’exemple dans le cadre des préparations des doses à administrer », dont le décret est toujours en attente de publication.

L.T.