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Un siècle de contre-pouvoir
En un siècle, les associations de patients ont fini par devenir un vrai contre-pouvoir dans le domaine sanitaire face aux pouvoirs publics, aux scientifiques et aux fabricants. Une véritable révolution culturelle dans le monde de la santé.
Héritières de la célèbre loi 1901, dont on fête cette année le centenaire, les associations de patients, de familles de patients ou d’usagers de la médecine sont plus vigoureuses que jamais. En un siècle, elles ont connu un essor tel qu’elles constituent désormais un acteur du monde sanitaire à part entière pesant de plus en plus sur les orientations de la politique de santé publique, la recherche ou encore la stratégie des grands laboratoires pharmaceutiques… Le Téléthon, organisé par l’Association française contre les myopathies les 7 et 8 décembre dernier, en est un exemple.
Mais leur ascension a pris du temps. La loi du 1er juillet 1901, qui leur offrait un formidable espace de liberté d’expression, ne leur a pas pour autant donné un coup d’accélérateur car il existait déjà des oeuvres caritatives. « La première association que nous ayons identifiée est la Société de charité maternelle de Paris, créée en 1 784 et reconnue d’utilité publique en 1811 », explique Bernard Tricot, éditeur de L’Annuaire des associations de santé.
Il faut attendre les années 80 pour que ces associations trouvent une véritable légitimité et constituent un contre-pouvoir efficace vis-à-vis du dogme scientifique et du pouvoir décisionnel des politiques. « La crise du sida marque véritablement un tournant dans l’histoire des associations de santé, remarque Bernard Tricot. Sont alors apparus des comportements associatifs nouveaux. Face à l’absence de réponse de la médecine et des pouvoirs publics, les malades ont agi sur trois domaines : la revendication de la reconnaissance de leur état, la prise en charge de la maladie et le droit à indemnisation. » Avec parfois le désespoir de ceux qui n’ont plus rien à perdre et à qui l’on ne propose aucune solution, les adhérents de ces associations montent des actions coup-de-poing ou des manifestations très médiatisées. Fortes des résultats obtenus, d’autres associations plus anciennes comme l’UNAPEI (Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales) ou l’Association des paralysés de France entrent dans la mêlée et organisent elles aussi de grandes manifestations pour être entendues.
Le ton est donné, les patients et leurs familles revendiquent une participation active aux prises de décisions médicales ou politiques qui les concernent. D’objet, le patient devient acteur et utilise l’association comme vecteur de communication. Selon un rapport publié par l’ordre des médecins, le nombre de ces associations serait passé de 100 en 1980 à quelque 4 500 en l’an 2000… Des chiffres sans doute sous-estimés selon Bernard Tricot pour qui il y en aurait aujourd’hui vraisemblablement 10 000 !
Orientées sur une pathologie, ayant pour but le soutien des familles, le financement de la recherche, une meilleure prise en charge ou la mise en place d’une politique de prévention, ces associations ont des objectifs très divers qui dépendent d’abord de l’histoire personnelle de leurs créateurs. Tout comme leur développement et leur pouvoir, largement liés aux compétences et à la volonté de leurs dirigeants. Certaines sont devenues de véritables entreprises ; d’autres, bien que constituées d’un nombre restreint d’adhérents, peuvent peser sur les décisions gouvernementales. « Le Lien sur les infections nosocomiales compte à peine une vingtaine d’adhérents, pourtant son responsable possède un certain crédit auprès des autorités grâce à sa culture, sa vision claire des objectifs qu’il poursuit et sa façon synthétique de les exprimer », note Bernard Tricot.
Les associations ont leur propre conseil scientifique de spécialistes
Se faire entendre nécessite en effet d’acquérir la légitimité de par son statut de patient mais aussi suffisamment de crédibilité. Pour ce faire, quasiment toutes les associations font appel à un conseil scientifique de spécialistes.
Les Etats généraux de la santé, organisés par Bernard Kouchner en 1998 et 1999, ont constitué un révélateur important quant aux attentes des associations et une nouvelle étape de leur histoire. Leurs revendications se sont en effet élargies, leurs membres souhaitant dorénavant une prise en charge globale non plus uniquement de leur pathologie mais aussi du contexte social dans lequel ils vivent, affecté par le fait même d’être malade. Parallèlement, les professionnels de santé se sont montrés prêts à reconnaître les associations comme des partenaires à part entière. C’est ainsi que s’est concrétisée la nouvelle loi sur les droits des malades largement étayée par les revendications exprimées lors des Etats généraux, et qui énonce notamment que, au plan judiciaire, les associations agréées peuvent se porter partie civile « en ce qui concerne les infractions portant préjudice à l’intérêt collectif des usagers du système de santé ».
Recherche, santé publique, prix et prise en charge des médicaments, droit des malades… Sur tous ces dossiers, les associations de patients ont fait avancer les choses, comme nous le rappellent les responsables de l’Association française contre les myopathies (AFM), AIDES et la Ligue contre le cancer.
Créée en 1958, l’AFM compte aujourd’hui quelque 2 000 bénévoles permanents et près de 500 salariés pour un budget annuel de 500 millions de francs. Cette association, dont la vocation est restée tout au long de son histoire le financement de la recherche, trouve sa pleine mesure en organisant le premier Téléthon en 1987. Le résultat dépasse toutes les espérances et le média télévision s’avère redoutable d’efficacité… « Pour ce premier Téléthon, nous avons tous été surpris par la générosité du public. Nous pensions récolter trente ou quarante millions, les dons se sont élevés à près de deux cents millions, se souvient le président de l’AFM, Eric Molinié. Cela a été la deuxième étape clé de l’association après sa création. La troisième est celle de la première guérison par thérapie génique, en 2000. La force de l’AFM réside dans le fait qu’elle est constituée de malades et de familles de malades qui ont dès le début déployé toute leur énergie pour être reconnus, rompre l’exclusion et chercher des solutions thérapeutiques. L’irruption de la génétique comme moyen thérapeutique nécessitait des moyens financiers sans commune mesure avec ce que l’on avait connu auparavant, c’est ainsi qu’a pris forme le Téléthon. A l’avenir les coûts financiers nécessaires à la recherche vont être énormes, nous ne pourrons tout assumer, il faudra faire des percées dans tel ou tel domaine pour montrer qu’il est possible de progresser et donner l’exemple à d’autres essais. »
L’un des objectifs majeurs des associations de patients réside dans la constitution d’un lobby suffisamment fort pour peser sur les décisions politiques. En la matière, l’histoire des associations de lutte contre le sida et plus particulièrement celle de AIDES, la plus ancienne, est exemplaire. Créée en 1984, elle est reconnue d’utilité publique en 1990. Parmi ses actions : la participation active aux campagnes de prévention du Comité français d’éducation sanitaire, la réduction des risques auprès des usagers de drogues, notamment par le ramassage des seringues, la revendication de la mise à disposition des traitements en ATU avant la fin de la phase III des essais cliniques, une participation active à la nouvelle loi sur les droits des malades.
S’internationaliser pour mieux influencer les grands laboratoires
AIDES se mobilise aussi à l’international pour que les laboratoires pratiquent des prix en adéquation avec la réalité économique des pays en voie de développement. « En 1984, lors de la création d’AIDES, il s’agissait d’offrir un espace de parole, une structure d’échange face à l’absence de réponse adéquate du monde médical et des pouvoirs publics, explique son président Christian Saout. Nous sommes la plus ancienne association de lutte contre le sida ; elle fonctionne avec un budget annuel de 130 millions de francs grâce à l’appui de 1 000 bénévoles et 400 salariés. Aujourd’hui nos objectifs ont considérablement évolué avec l’arrivée sur le marché de la trithérapie. Avant nous accompagnions les malades jusqu’à la mort, aujourd’hui nous sommes une passerelle vers la vie. Notre travail porte par exemple sur l’insertion professionnelle. Si nous gardons une tradition protestataire, nous sommes toutefois passés de l’expérience à l’expertise et de l’expertise à la contribution. Toutefois, à chacun son rôle : à l’Etat de mener de grandes campagnes de santé publique et aux associations de se déployer sur le terrain. Notre pouvoir reste cependant limité : depuis trois ans tous les indicateurs montrent une recrudescence de l’épidémie sans qu’aucune campagne de prévention ne soit relancée. »
La Ligue contre le cancer constitue sans nul doute l’une des plus importantes associations de santé au regard de ses quelque 630 000 adhérents. Née en 1918, elle a longtemps eu pour vocation le soutien de la recherche. Elle symbolise aujourd’hui parfaitement la véritable révolution culturelle opérée par les associations qui ont su hisser le patient au rang de partenaire pour les pouvoirs publics comme pour les professionnels de santé.
L’avenir conditionné par la prochaine loi parlementaire
« Nous sommes aujourd’hui à un tournant de notre histoire qui constitue aussi un retour aux sources, confie le Pr Henri Pujol, président de la Ligue contre le cancer. Les Etats généraux des malades atteints du cancer, en novembre 1998 et 2000, étaient empreints d’une grande charge émotionnelle, les malades se sont enfin exprimés. S’il existe une grande diversité sociologique, ils ont montré aussi une communauté de besoins. Le premier, qui constitue un véritable virage sociologique, une révolution culturelle, est celui de l’information. Les cancérologues jusqu’ici avaient tendance à penser que les malades ne voulaient pas savoir… La Ligue est partie prenante pour bon nombre de décisions ministérielles. Nous travaillons en partenariat avec la Fédération hospitalière de France sur l’amélioration de la prise en charge hospitalière. Avec la Fédération de lutte contre le cancer, nous cherchons à développer des vecteurs d’information pour le patient, en particulier sur les traitements actuels. Enfin, nous participons aux recherches pédagogiques de concert avec les facultés de médecine pour améliorer la formation des médecins sur le thème de la prise en charge globale du patient cancéreux. Considérer que le patient est en opposition avec la médecine est totalement révolu. Il a compris qu’il était un partenaire dans la lutte contre sa maladie. La confiance dont bénéficient les professionnels de santé ne se décrète plus, elle se mérite… »
Si les associations de santé ont acquis ces vingt dernières années une véritable crédibilité et une influence certaine, leur avenir est largement conditionné par la très prochaine loi débattue par les parlementaires, comme l’explique Bernard Tricot : « Jusqu’ici les associations avaient surtout besoin de reconnaissance car les professionnels de santé ne les prenaient guère au sérieux. De plus elles n’avaient pas toujours conscience de la richesse des informations qu’elles détenaient pour les médecins et les chercheurs. » A ce propos, Bernard Kouchner, dans son plan triennal de lutte contre le sida, vient d’annoncer que les malades eux-mêmes seront associés au processus de signalement des effets indésirables. Ainsi, dès 2002, le sida deviendrait le premier domaine dans lequel les patients seront directement associés au dispositif national de pharmacovigilance.
« La loi de démocratie sanitaire devrait apporter aux associations une véritable reconnaissance de leur rôle de représentation auprès des instances publiques mais aussi de leur action sur le terrain. Parallèlement, les professionnels de santé leur feront de plus en plus appel en tant que partenaires. Elles devraient donc bénéficier d’un contexte très favorable à leur essor. Mais cette évolution soulève également quelques questions : sur quels critères pourront-elles être agréées ? Comment assurer la formation de leurs membres à la compréhension du système de santé ? », conclut Bernard Tricot.
S’il apparaît clairement que les associations de santé évolueront vers une plus grande professionnalisation, tout comme historiquement l’ont fait les syndicats, on peut alors se poser la question de leur capacité de mobilisation. Enfin, une question reste en suspens : les associations ne seront-elles pas tentées de s’intéresser de plus près à la distribution du médicament, comme c’est déjà la cas pour les diabétiques ? (Lire ci-après l’interview de Sharon Fontaine Terry, vice-présidente de la plus grande association de malades au monde.)
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